Une femme est tuée par son compagnon ou son ex tous les deux jours
- Julie Douib, 35 ans, L'Île-Rousse.
- Maureen, 29 ans, Houaïlou.
- Anonyme, âge inconnu, Papeete.
- Hilal, 30 ans, Vaulx-en-Velin.
- Nicole, 85 ans, St-André-les-Vergers.
Ces identités, recensées par le collectif Féminicides par (ex)-compagnons, représentent les cinq dernières victimes de féminicides en France pour l'année 2019. "On a décidé de se focaliser sur les féminicides conjugaux, car c’est dans sa propre maison qu’on est le moins protégée", précise l'une des membres du groupe, qui préfèrent garder l'anonymat en raison de menaces dont elles font l'objet. Depuis 2016, le collectif bénévole, très actif sur Facebook et Twitter, compte le nombre de femmes tuées au sein de leur couple ou après une rupture. Depuis le 1er janvier 2019, 30 femmes au moins ont perdu la vie. "Jusqu’à présent, le chiffre officiel, c’était une femme tous les trois jours. Depuis le 1er janvier 2019, on est passé à une femme tous les deux jours" explique la membre du groupe.
"Le passage à l’acte est souvent motivé par la séparation du couple"
Féminicides par (ex)-compagnons mène ce combat depuis 2016 sur les réseaux sociaux. Le but des bénévoles qui l'animent : rendre le fléau visible. "Le ministère de l’Intérieur publie une étude tous les ans sur les morts violentes au sein du couple, avec des formules du type « une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint… », mais ça ne visibilise pas assez le problème. Nous voulons que chaque victime soit nommée" ajoute la militante, qui souhiaterait par ailleurs des bulletins d'alerte plus fréquents. Mais quand le collectif tente d'interpeller sur Twitter le président de la République ou Marlène Schiappa sur ces points, leurs appels restent sans réponse.
Pourquoi employer le mot féminicide et non pas l’expression "homicide conjugal", largement utilisée ? Si le terme reste pour le moment absent du droit français, il a fait son entrée dans Le Petit Robert en 2015. On qualifie de féminicide un homicide perpétré sur une femme en raison de sa condition de femme. Les hommes représentant 88% des auteurs d’homicide conjugaux, le caractère misogyne de l’acte est quasi-systématique. De plus, "le passage à l’acte est souvent motivé par la séparation du couple (64,8%) et le désir de possession du partenaire [homme]" écrit dans une étude la psychiatre et légiste Alexia Delbreil, qui a consacré une thèse à ce sujet [1]. On peut donc légitimement employer le terme de féminicides pour la grande majorité des homicides conjugaux.
Faire le décompte chaque jour pour choquer
Par son décompte quotidien, Féminicides par (ex)-compagnons entend retenir l’attention du public. "Procéder ainsi, ça parle beaucoup plus. Les gens sont extrêmement choqués, il y a davantage de réactions" note l’administratrice de la page. Pour le moment néanmoins, c’est essentiellement la presse locale qui s’empare du sujet, parfois avec des termes qui créent le scandale. "Certains médias parlent de « crime passionnel », comme pour romancer les meurtres" s’offusque l’administratrice.
Autres obstacles à la lutte contre les féminicides constatés par les bénévoles du groupe : la relativisation des crimes et l’inversion de la culpabilité. Les internautes se demandent, bien souvent, pourquoi la victime n’est pas partie avant le meurtre. Un argument qui ne tient pas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, certaines sont sous l’emprise de leur conjoint et/ou en difficulté financière, parfois avec des enfants à charge. Ensuite, la séparation n’est aucunement gage de sécurité. "Même quand une interdiction d’approcher est décidée par la justice, certains ex-compagnons reviennent, ils passent outre la loi" indique l’administratrice de Féminicides par (ex)-compagnons.
La 30e victime recensée par le collectif, Julie Douib, a justement été tuée par son ex-conjoint à son domicile le 3 mars dernier. Selon plusieurs témoignages, la femme de 35 ans, harcelée et battue depuis deux ans, s'était rendue plusieurs fois à la gendarmerie pour porter plainte. Mais elle n'avait pas été prise au sérieux. D'après ses proches, la jeune femme craignait pour sa vie. Une enquête pour homicide volontaire sur l'ex-conjoint a depuis été ouverte, mais rien ne ramènera Julie à la vie.
"On leur a dit qu’il fallait se soumettre à leur mari"
Comment faire pour repérer les potentielles victimes en amont ? Pour Victoria Mizrahi, conseillère conjugale et thérapeute auprès de conjoints violents, on retrouve certains "clignotants" dans la gestuelle ou dans les attitudes d’une femme qui vient consulter, souvent sur la défensive. Des signes comme des arrêts maladie prolongés ou des maquillages prononcés pour cacher les coups peuvent également alerter. Malheureusement néanmoins, la plupart des victimes taisent leurs souffrances. "Ces femmes ont souvent reçu une éducation particulière : on leur a dit qu’il fallait se soumettre à leur mari. La notion de « devoir conjugal » est encore d’actualité", constate tristement Victoria Mizrahi.
Pour la conseillère conjugale, qui a été formée au Québec, la France devrait largement s’inspirer des stratégies de lutte contre les violences faites aux femmes mises en œuvre dans la province canadienne. "Il existe énormément de lieux d’accueil pour les victimes et les thérapies pour les femmes battues sont financées par l’Etat", note-t-elle. L'Etat finance aussi des programmes pour les hommes violents, obligatoires pour ceux qui sont passés à l’acte. Pour Victoria Mizrahi, qui a mis en place ces thérapies dès les années 1990, "la France a 20 ans de retard".
119 féminicides conjugaux en 2018
Au cours de l'année 2018, le collectif Féminicides par (ex)-compagnons a recensé 119 meurtres conjugaux d’hommes envers des femmes. Depuis la déflagration #BalanceTonPorc et #MeToo en outre, le groupe craint que ce chiffre n’augmente encore. "Les femmes revendiquent davantage leur liberté, mais elles ne bénéficient d’aucune protection quand elles quittent leur conjoint" développe l’administratrice. Pour elle, une stratégie globale de lutte contre les violences et les meurtres misogynes est à mettre en place. Pour cela, une meilleure écoute de la parole des femmes, notamment dans les commissariats et les tribunaux, ainsi qu’une redéfinition des normes de virilité dès la petite enfance sont nécessaires. "Il n’est pas normal qu’un petit garçon soit violent" assène-t-elle.
Un repérage en amont des conjoints violents est également indispensable, d’après la psychiatre et légiste Alexia Delbreil. "L’homicide conjugal est [...] commis par des hommes, devant la difficulté à accepter la perte de la compagne. Ce crime est souvent associé à la violence conjugale et à l’éthylisme chronique. La mise en évidence de ces profils permet de proposer des actes de prévention plus ciblés" précise-t-elle.
En 2016, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, seules 14% des victimes de violences conjugales ont déposé plainte. Parmi ces plaintes, on estime que 8 sur 10 sont classées sans suite.
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