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Subutex : le médicament devenu le bon filon des narcotrafiquants

Comment le Subutex, vendu légalement en France, est-il devenu l'objet d'un trafic international ? Le comprimé, remboursé par la Sécurité sociale, peut être revendu 80 euros.
Article rédigé par Hélène Lam Trong
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Le subutex est facilement "détournable et trafiquable" d'après les spécialistes © RF-Mathilde Lemaire)

En France, c'est la substance la plus consommée dans les rues, après le cannabis et l'alcool : le Subutex. Ce médicament est remboursé par la Sécurité sociale et est utilisé par des dizaines de milliers de personnes. C'est aussi un produit, qui fait la fortune de certains narcotrafiquants.

 

La dernière affaire en date est celle d’Aurore Gros Coissy à l’Ile Maurice. C’est une étudiante dont on vous a déjà parlé sur France info, qui a été condamnée fin janvier à une peine très lourde: 20 ans de prison ferme, parce qu’on avait trouvé dans ses valises 1.600 comprimés de Subutex.

 

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A l’Ile Maurice, il y en a d’autres des Français poursuivis ou condamnés pour avoir introduit dans le pays ce traitement qui sert à se sevrer de l’héroïne. Autorisé chez nous mais interdit là-bas. Mais la différence avec Aurore, c’est qu’elle clame son innocence. Elle dit qu’elle a été piégée. Un collectif s’est même monté pour la soutenir, le collectif des victimes du détournement de médicaments. "Cette molécule est détournable et trafiquable ", explique, Farid Dekhli, le porte-parole du collectif. "Un comprimé subutex qui est remboursé par la Sécurité sociale peut être revendu 80 euros à l’Ile Maurice ".

La nature du Subutex gênante

Comment expliquer alors qu’un médicament remboursé par la Sécurité sociale atterrisse dans les mains de dealers et de toxicomanes, sans que les autorités n’y trouvent rien à redire ? Parce que les autorités c’est un peu comme si elles n’assumaient pas. Autour du Subutex il y a toujours eu une opacité, un flou, qui ont peut-être favorisé l’émergence d’un marché parallèle.

 

"Ces médicaments sont des drogues légales. C’est une vérité très politiquement incorrecte qui est impossible à dire aux Français" (Fabrice Olivet, directeur d’ASUD)

 

D’ailleurs le malaise vient de la nature même du Subutex : pas tout à fait un médicament comme les autres ni une substance illicite mais un peu une drogue quand même et qui se vend comme telle. Il est peut-être temps de cesser l’hypocrisie estime Fabrice Olivet, directeur d’ASUD, une association qui conseille les usagers de drogue : "Ces médicaments sont des drogues légales. Ils ont tous les ‘avantages’ des drogues sans avoir les inconvénients. C’est une vérité très politiquement incorrecte qui est impossible à dire aux Français. Aucune campagne d’informations et pire que ça, trois médecins sur quatre refusent de le prescrire ".

Des comprimés à la plus-value très importante

Dans quel cas vient la fuite ? A quel moment les comprimés sortent-ils du circuit légal et se vendent comme des substances illicites ? Pas à la source en tout cas à en croire le laboratoire qui fabrique le Subutex. Son porte-parole nous a juré au téléphone qu’aucun lot ne s’est jamais évanoui dans la nature.

 

C’est donc du côté des médecins et des pharmaciens que ça se passe. Ils ne sont pas nombreux à accepter de prescrire et délivrer du Subutex. Du coup, ils sont en première ligne si l’on peut dire. Il y a eu quelques condamnations, mais la plupart du temps, on ferme les yeux sur une carte vitale bidon, on fait quelques ordonnances de complaisance pour ne pas avoir d’ennui. Et puis, il y a les mules explique Agnès Cadet Taïrou, de l’Observatoire des Drogues et Toxicomanies (OFDT). Ces faux toxicomanes qui se font prescrire du Subutex pour le compte d’un grossiste,  bref des pressions de toutes parts. Car ce trafic, peut-être le plus lucratif du monde, aiguise tous les appétits.

Des milliers toxicomanes sauvés

Le choix des autorités, c’est de fermer les yeux, un peu. Car par ailleurs, en 20 ans de commercialisation, on peut le dire : le Subutex est un succès. Il a sauvé des dizaines de milliers de vies, il a permis à des milliers de toxicomanes de retrouver une vie normale, de fonder une famille, de travailler, de se réinsérer. Marianne Courné, de l’Agence de Sécurité du Médicament, est catégorique : c’est ça qui compte. "On compte 105.000 patients, ce qui représente douze millions de boîtes vendues par an. Le détournement existe mais il ne doit pas diminuer l’impact de la politique de substitution qui a montré des effets positifs indéniables ", explique-t-elle.

 

Dans sa prison à l’Ile Maurice, la jeune Aurore appréciera. Elle a toutefois un allié de poids : le fabricant du Subutex lui-même. Il va se porter partie civile dans son procès en appel. Car ce trafic international, en plus de faire potentiellement d’autres victimes collatérales chez des touristes, nuit à l’image du laboratoire. Le groupe Indivior vient de faire son entrée en bourse et n’aime pas vraiment l’idée d’être comparé à un fabricant de drogue. A tel point qu’il commercialise désormais le Suboxone, un autre substitut qui ne se pile pas, ne se sniffe pas, ne s’injecte pas non plus. Et donc ne se trafique pas. Il a cependant peu de succès, pour l’instant, car les usagers de Subutex, après 20 ans de succès, ne sont pas prêts à changer leurs habitudes.

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