Pourquoi est-il hâtif de faire un lien entre vaccination et autisme ?
Une action de groupe contre quatre laboratoires doit être menée par des familles convaincues d'un lien entre la vaccination et l'autisme. Pourtant, cette relation de cause à effet n'est aujourd'hui pas avéréé.
Les antivaccins ne rendent pas les armes. Depuis l'annonce du gouvernement de rendre obligatoires 11 vaccins infantiles en 2018, les opposants à la vaccination se mobilisent. Une action de groupe contre quatre laboratoires pharmaceutiques doit même être menée en septembre par une centaine de familles convaincues de l'existence d'un lien entre vaccination et autisme, rapporte Le Parisien, lundi 24 juillet. Depuis une dizaine d'années, ce lien entre le vaccin ROR (Rougeole-Oreillons-Rubéole) et l'autisme est régulièrement mis en avant par ceux qui s'insurgent contre la vaccination obligatoire. Franceinfo explique pourquoi il est hasardeux de faire un lien direct entre les deux.
Parce que l'étude de départ a été manipulée
Les doutes sur le vaccin ROR sont partis d'une étude rédigée par le gastro-entérologue britannique Andrew Wakefield et parue dans la très sérieuse revue médicale The Lancet, en 1998. Dans son article, le médecin établit un lien clair entre l'autisme et le vaccin ROR. Dès sa publication, de nombreux scientifiques mettent en doute le sérieux de la méthodologie utilisée. Ainsi, les conclusions du docteur Wakefield "ne s’appuient sur aucune statistique et sur un échantillon exceptionnellement petit (12 sujets)", relève Le Monde. Par ailleurs, "l’étude n’a utilisé aucun groupe de contrôle", poursuit le quotidien.
Pour être validés, les résultats auraient dû être reproduits par d'autres scientifiques. Mais cela n'a jamais été le cas. En 2004, The Lancet publie même un communiqué réfutant totalement les conclusions de l’étude de Wakefield et de son équipe : "Ils ont délibérément sélectionné les données qui confirmaient leur hypothèse et ont falsifié les faits."
L'histoire ne s'arrête pas là. Entre 2004 et 2010, le journaliste d'investigation Brian Deer révèle, dans le Sunday Times (en anglais), l'existence de liens d'intérêts non déclarés entre Wakefield et une organisation d'avocats antivaccination, laquelle avait sponsorisé l'étude. Andrew Wakefield admet ces liens d'intérêts, tout en maintenant ses affirmations. Mais il est peu à peu lâché par les coauteurs de l'étude, qui se rétractent, rapportent nos confrères d'Allodocteurs. En 2010, le BMC (British Medical Council, l'équivalent de l'Ordre des médecins du Royaume-Uni) reconnaît Wakefield coupable de "nombreuses malhonnêtetés", de mise en danger de patients, de violation de l'éthique médicale. Il est radié à vie de l'Ordre des médecins.
Parce qu'aucune recherche scientifique ne lie l'autisme à la vaccination
A l'heure actuelle, aucune des études réalisées sur le sujet – parmi lesquelles cinq travaux américains indépendants – n'ont établi de liens entre le vaccin ROR et l'autisme. Dans un communiqué publié en 2003, l'OMS (Organisation mondiale de la santé) assure qu'il n'existe "aucune preuve quant à une association de cause à effet entre le vaccin ROR et l'autisme ou les troubles autistiques."
Une nouvelle étude, conduite par des chercheurs de l'Université de Sydney (Australie) en 2014, a récolté des données sur plus d'un million d'enfants. Les résultats ne permettent pas de lier les vaccins contre la rougeole, la rubéole, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche et le développement de l'autisme chez l'enfant, rapporte le Huffington Post. "Les données que nous avons étudiées montrent le manque de preuves pour conclure à un lien entre autisme, maladies autistiques et vaccination enfantine", explique l'un des auteurs, Guy Eslick.
En 2015, une étude, publiée dans le Journal of American Medical Association (en anglais), va dans le même sens. Elle a suivi plus de 95 000 enfants pendant cinq ans. Parmi ces enfants, certains avaient des frères et sœurs plus âgés atteints d'autisme, ce qui constitue normalement un risque accru pour les suivants dans la fratrie, détaille Sciences & Avenir. Là encore, les recherches n'ont pas permis d'établir de lien entre le vaccin ROR et une augmentation du risque de développer un trouble du spectre autistique.
Parce que le vaccin ROR a une réelle utilité
L'étude de Wakefield a davantage marqué les esprits que son démenti quelques années plus tard. Et la défiance des parents envers la vaccination a fait son chemin. Résultat : on observe l'apparition et la multiplication de cas de rougeole, partout en Europe.
Entre 2008 et 2012, près de 24 000 cas de rougeole ont ainsi été déclarés en France, alors que le recours à la vaccination depuis les années 1960 avait presque permis de réduire les cas à zéro, signale Le Figaro. Cela a même conduit à 32 complications neurologiques et 10 morts. Le journal explique qu'avant la vaccination dans les années 1960, la rougeole "provoquait plusieurs centaines de décès chaque année et des milliers d'enfants en gardaient des séquelles neurologiques, des chiffres décuplés lors des fortes poussées épidémiques".
Selon le site Santé publique France, "85% des cas français sont observés chez des personnes non-vaccinées, dont des enfants de moins d’un an (15%) particulièrement à risque de complications, et qui, en raison de leur jeune âge, ne peuvent être protégés qu’indirectement par la vaccination de leur entourage". "On ne devrait plus parler de la rougeole", regrette auprès du Figaro Emmanuel Grimprel, chef du service de pédiatrie générale à l'hôpital Armand-Trousseau, à Paris. En 2015, la couverture vaccinale française atteignait 90,5% (une dose) et 78,8% (deux doses), selon l'InVS. Or, il faudrait qu'au moins 95% de la population recoive deux doses de vaccin pour que la maladie soit éradiquée.
Parce qu'on ne connaît pas les origines de l'autisme
"La vaccination combinée contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), ou encore les caractéristiques psychologiques des parents, ne sont pas des facteurs de risque", insiste de son côté l'Inserm. Il est vrai que certains cas d'autisme ont été détectés juste après la vaccination ROR. Mais, selon l'université de Genève (Suisse), il s'agit d'une coïncidence : "Il faut du temps pour que les signes typiques d’un autisme deviennent visibles, et c’est en moyenne vers 18–20 mois que les parents notent les premiers troubles du comportement. Comme plus de 95% des enfants reçoivent une vaccination rougeole-rubéole-oreillons (ROR) entre 12 et 24 mois, il n’est pas étonnant que des signes d’autisme puissent parfois apparaître juste après une vaccination", est-il détaillé.
Par ailleurs, l'Inserm rappelle que l'autisme est un trouble du comportement dont les origines sont "multi-factorielles, avec une forte implication de facteurs génétiques." Aujourd'hui, les recherches sont toujours en cours pour déterminer les causes de l'autisme. Une vaste étude conduite en Suède en 2014 et relayée par Le Monde indique ainsi que la responsabilité des gènes pourrait être aussi importante que les facteurs environnementaux. Selon les auteurs de l'étude, ces facteurs environnementaux pourraient comprendre le statut socio-économique du foyer, des complications à la naissance, des infections maternelles ou encore les médicaments pris avant et pendant la grossesse.
Si Véronique Dufour, pédiatre, membre du groupe de travail sur la vaccination au Haut Conseil de la santé publique, redoute les actions menées contre la vaccination obligatoire, elle comprend la détresse des parents d'enfants autistes. "Pour avoir assisté à des débats, des parents cherchent à tout prix une cause à l'autisme et ils se retournent vers quelque chose ou quelqu'un pour expliquer la maladie. C'est humain", concède-t-elle dans une interview à franceinfo. D'autant que, pour certains, chercher une cause à l'autisme est aussi une façon de mettre en lumière ce sujet sensible.
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