Projet IXV : le mouton à cinq pattes de l'espace ?
L'Agence spatiale européenne a testé, mercredi, un nouveau petit vaisseau expérimental. Une étape clef pour son programme spatial.
IXV. Prononcez à l'anglaise : "I", "X", "V". Trois lettres sur lesquelles reposent les espoirs du programme spatial européen. IXV pour "Intermediate expérimental vehicle", soit en français "véhicule expérimental intermédiaire". Installé au sommet d'une fusée européenne Vega, la plus petite de la gamme Arianespace, ce petit avion spatial a décollé, mercredi 11 février, du pas de tir de Kourou (Guyane), pour un vol d'essai réussi.
Avec ce projet, l'Agence spatiale européenne (ESA) espère avoir enfin son propre vaisseau capable d'aller dans l'espace et de revenir sur Terre. Elle ne dépendrait plus ainsi des engins russes et américains. Mais pour ce faire, l'IXV doit résoudre une équation complexe.
La condition numéro 1 : réussir une prouesse technique
Ce n'est pas parce que les Russes et les Américains ont réussi à le faire dès les années 1960, qu'il est facile de faire revenir sur Terre un engin spatial. Surtout si l'on veut que le vaisseau puisse se poser comme un avion. "Le retour d'orbite est une des disciplines les plus difficiles à réaliser dans le domaine du spatial", souligne à l'AFP Giorgio Tumino, le responsable du programme IXV à l'ESA. "La rentrée dans l'atmosphère est une phase critique", précise Philippe de La Cotardière, journaliste scientifique, interrogé par francetv info.
L'IXV a la forme d'une chaussure, il est gros comme une voiture, long de 5 m, large de 2 m et pèse environ deux tonnes. Au cours de sa chute, l'IXV atteint une vitesse de 7,5 km/s, soit 27 000 km/h. L'énergie cinétique se transforme en énergie thermique et les températures peuvent grimper jusqu'à 1 700 °C.
En 2003, la navette américaine Columbia s'était désintégrée lors de sa rentrée dans l'atmosphère, entraînant la mort des sept membres d'équipage. Son bouclier thermique avait été endommagé au moment du lancement. Construit en céramique, fibres de carbone high-tech et liège, IXV doit pouvoir résister à de telles températures.
Si l'angle de rentrée dans l'atmosphère est trop important, le vaisseau risque de brûler. S'il est trop faible, l'IXV peut ne pas atteindre le point fixé pour son retour sur Terre. "Il y a le risque de rebondir sur les couches de l'atmosphère. D'autant que plus vous descendez, plus elles sont denses", ajoute le spécialiste. Protection thermique, système de guidage, aérodynamique... "Il faut bien contrôler tous les paramètres de ce retour", résume le journaliste scientifique.
L'IXV dispose de quatre petites fusées pour s'orienter en vol et de deux gouvernails horizontaux lui permettant d'effectuer des virages pendant sa descente dans l'atmosphère. "L'IXV combine la simplicité d'une capsule et les avantages d'un véhicule ailé - la possibilité d'être contrôlé et manœuvré, sauf que ça coûte cher. L'IXV expérimente le principe du corps portant : c'est-à-dire qu'il crée sa propre portance, comme un avion, mais sans la présence d'ailes", synthétise l'expert.
La condition numéro 2 : ne pas coûter trop cher
Les cinq années de développement de l'IXV, conçu sous la maîtrise d'œuvre de Thales Alenia Space, à la tête d'un consortium d'une quarantaine de sociétés européennes, n'ont coûté que 150 millions d'euros. "Hors lancement", précise Philippe de La Cotardière. A l'échelle de la recherche spatiale, c'est un projet modeste. Et cela se ressent dans la conception de l'engin.
"La faiblesse des navettes américaines résidait essentiellement dans le coût de la maintenance entre deux missions et la fragilité des tuiles de protection thermique. Il fallait donc beaucoup de temps et d'argent pour remettre une navette en capacité de voler après une mission, explique Stéphane Dussy, ingénieur en charge du système avionique sur l'IXV dans Sciences et Avenir. L'idée, avec l'IXV, sera de mettre au point un design plus robuste et moins coûteux, qui se rapproche le plus possible du modèle de l'avion. C'est-à-dire qu'il puisse ne subir qu'un simple examen entre chaque vol et ne soit l'objet d'une maintenance plus lourde que ponctuellement."
"On est dans une perspective d'économies, analyse Philippe de La Cotardière. On n'a plus le formidable moteur de la rivalité entre Américains et Soviétiques propre à la guerre froide qui avait fait de la conquête spatiale un enjeu stratégique." Et permettait d'obtenir des moyens financiers considérables.
L'objectif à court terme : rattraper le retard technologique de l'Europe
"L'Europe excelle à mettre des satellites en orbite. Nous avons aussi un bon savoir-faire pour réaliser des amarrages" à la Station spatiale internationale, comme ça a été le cas lors de son ravitaillement, reconnaît le responsable du programme IXV à l'ESA, Giorgio Tumino. Mais nous sommes derrière les Américains, les Russes et même les Chinois en matière de rentrée dans l'atmosphère."
Les Russes sont aujourd'hui les seuls à pouvoir effectuer des retours sur Terre de cosmonautes grâce aux vieilles capsules Soyouz. Les Américains, eux, ont fait voler leur navette spatiale pendant trente ans, avant de l'abandonner en 2011. Mais elle a des remplaçants. La capsule Dragon, de la société américaine SpaceX, permet de ramener du fret. Et la Nasa a lancé, avec succès, en décembre, son véhicule expérimental Orion, dont la capsule est revenue sur Terre sans problème. Ce nouveau vaisseau d'exploration spatiale doit, à terme, transporter des astronautes vers Mars.
L'Europe, elle, doit se contenter d'emprunter les capsules ou navettes russes et américaines pour ramener des objets ou des astronautes sur Terre. "Les Européens ont toujours souffert de ne pas avoir leur propre véhicule spatial réutilisable. Et cela fait longtemps qu'ils ont des velléités", rappelle Philippe de La Cotardière. Dans les années 1980, la France puis l'Europe avaient ainsi travaillé à un ambitieux projet d'avion spatial Hermès destiné à transporter des astronautes. Mais il a été abandonné en 1993. "Il s'est avéré que c'était très coûteux et que cela posait beaucoup de problèmes techniques", résume ce spécialiste de l'espace.
L'IXV est son lointain descendant. Ses premières études de faisabilité ont été lancées en 2006 et l'appareil est en développement depuis 2009. L'enjeu est simple : "Si l'Europe veut bénéficier d'une autonomie complète dans l'espace, elle se doit d'avoir un véhicule réutilisable, capable d'aller dans l'espace et de revenir sur Terre", tranche l'expert.
L'objectif à long terme : assurer l'avenir de l'exploration spatiale européenne
L'avenir de l'IXV reste cependant flou. "Dans un premier temps, l'IXV aura probablement pour mission de rapporter uniquement des objets, des équipements ou des échantillons. En effet, il faudrait un budget beaucoup plus conséquent pour envisager de ramener un équipage sur Terre", reconnaît l'ingénieur. "Si on veut transporter des astronautes et du fret à bord de la Station spatiale internationale, il faudrait probablement agrandir ce prototype, ajoute Giorgio Tumino dans Le Figaro. Mais si nous décidons, un jour, de développer un système européen d'exploration de l'espace, nous devons développer cette technologie."
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