Station spatiale Tiangong-1 : faut-il (vraiment) s'inquiéter de sa chute vers la Terre ?
Mis en orbite en 2011, le laboratoire expérimental Tiangong-1 semble désormais hors de contrôle. La station est suivie de près par les agences spatiales, qui tentent d'évaluer la date et le lieu de sa rentrée dans l'atmosphère.
Penser que le ciel va nous tomber sur la tête est sans doute un réflexe gaulois. Il n'empêche que la station chinoise Tiongang-1 ("Palais céleste") chute inéluctablement vers la Terre. Selon l'Agence spatiale européenne (ESA), elle va atteindre l'atmosphère entre le 29 mars et le 9 avril.
"L’altitude de la station varie entre 230 km à son périgée [point le plus près de la Terre] et 250 km à son apogée [point le plus éloigné] aujourd’hui, car l'orbite est elliptique", explique Stéphane Christy, expert au Centre d'orbitographie opérationnel (COO) du Cnes de Toulouse. "L’altitude de Tiangong-1 diminue de quelques kilomètres par jour. Nous sommes dans une phase à peu près linéaire, avec une tendance à l’accélération", explique-t-il, mardi 13 mars.
La France potentiellement concernée
En France, le COO est chargé de surveiller les objets qui passent dans un rayon de 400 à 1 000 km au-dessus de nos têtes, grâce notamment aux données du radar GRAVES, situé sur le plateau d'Albion, près de Carpentras (Vaucluse). "Les mesures radar nous permettent de réaliser une prédiction de l’évolution de la trajectoire." Cette trajectoire, toutefois, est insuffisante pour établir avec précision la date et le lieu de sa rentrée dans l'atmosphère, et donc la chute d'éventuels débris.
Par élimination, les manchots empereurs et les ours polaires n'ont aucun risque d'être atteints par un débris chinois. "L’inclinaison de l’orbite de la station chinoise est environ de 42,8°, explique Stéphane Christy à franceinfo. La zone concernée est donc une bande comprise entre les latitudes 42,8°S et 42,8°N." Plusieurs zones françaises sont potentiellement concernées, comme Perpignan, la Corse ou plusieurs territoires d'outre-mer.
Pour suivre l'entrée de la station chinoise en phase finale, le COO devrait passer en alerte renforcée à partir du 26 mars. A partir de cette date, il pourrait obtenir des mesures supplémentaires d’autres radars français, comme ceux de Solenzara (Corse) et de Captieux (Gironde), ou ceux de la Direction générale de l'armement situés dans le sud de la France. Des mesures seront également échangées avec les autres pays européens. En attendant, les plus inquiets peuvent suivre la progression de Tiangong-1 en temps réel, sur le site spécialisé Sat Flare (en anglais).
Une entrée dans l'atmosphère "non contrôlée"
Mis sur orbite en 2011, afin de transporter du matériel expérimental, ce premier laboratoire spatial chinois pèse environ 8,5 tonnes (contre 400 pour la Station spatiale internationale), avec un panneau solaire de chaque côté. Son cylindre mesure, lui, dix mètres de long pour 3,5 de diamètre. Sa durée de vie était initialement de deux ans, mais Pékin a prolongé son vol jusqu'à l'annonce de la fin de la mission, le 21 mars 2016. "L'orbite de vol du laboratoire est sous surveillance continue et étroite, précisait alors l'agence spatiale chinoise (en anglais), et il va descendre progressivement dans les mois à venir." Mais Stéphane Christy émet quelques doutes. "Les stations spatiales ont besoin d’être remontées de façon régulière en faisant des manœuvres pour les replacer sur leur altitude nominale, explique-t-il. Dans ce cas, on a constaté qu’il n’y a pas eu de manœuvre de maintien à poste depuis décembre 2015."
Les Chinois ont probablement perdu le contrôle de la station, mais ils ne vont pas le reconnaître publiquement.
Stéphane Christy, expert au Cnesà franceinfo
En temps normal, les rentrées atmosphériques sont calculées pour une altitude de 80 km, car c’est la hauteur typique à laquelle un objet commence à se fragmenter. Quelques minutes après, l'objet retombe sur Terre. La plupart de ces rentrées sont contrôlées, comme c'est le cas pour le vaisseau cargo qui ravitaille l'ISS. En agissant au bon moment sur plusieurs systèmes de poussée, il est possible de positionner le vaisseau au-dessus du Pacifique sud, quand il opère sa rentrée dans l'atmosphère.
Problème : si l'agence spatiale chinoise a réellement perdu le contact avec Tiangong-1, comme le pensent Stéphane Christy et le Cnes, elle ne peut plus agir sur ses moteurs. Impossible, dans ces conditions, de "choisir" la position de la station lors de la rentrée atmosphérique : celle-ci est alors qualifiée de "non contrôlée". Si ce cas de figure n'est pas rare, à en croire ce graphique de l'ESA, la station Tiangong-1 fait toutefois partie des structures les plus lourdes observées ces dernières années.
Un lieu de dislocation inconnu
Ces rentrées atmosphériques non contrôlées posent souci, car les modélisations mathématiques de l'atmosphère et de la dynamique de l'objet ne sont pas encore suffisamment précises pour déterminer le lieu et la date de l'événement. Certaines ont déjà alarmé l'opinion – les exemples les plus célèbres restent Skylab (74 tonnes, rentrée semi-contrôlée, en juillet 1979) et Salyut-7 (40 tonnes, rentrée semi-contrôlée, en février 1991). "Dans ces cas, entre 20 et 40% de la masse de l'appareil peut heurter le sol", estime l'ESA. En septembre 2011, le satellite américain UARS avait ainsi suscité des craintes et la Protection civile italienne avait même recommandé aux habitants du nord du pays de rester chez eux, avant que l'engin ne s'abîme le lendemain dans le Pacifique sud.
"Même quelques heures avant la rentrée", la marge d'erreur peut correspondre à "une révolution orbitale complète". "Ramené sur un planisphère, cela représente une trajectoire de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres", indique Stéphane Christy. Suspense garanti jusqu'au dernier moment. Comme Tiangong-1 évolue à 7 km/s, la zone de retombée prédite se présente sous la forme d’un ruban très long et très étroit, même "à brève échéance" avant l'entrée dans l'atmosphère, précise le spécialiste.
Pour autant, inutile de paniquer. A ce moment-là, la station "va se disloquer et une grande partie des composants vont se consumer, poursuit Stéphane Christy. Si la météo le permet, on devrait même voir une boule de feu au moment où la station va brûler en entrant dans l’atmosphère." En 1990, vers 19 heures, plus d'un millier de témoins ont signalé en France une énigmatique lueur dans le ciel. Il s'agissait, en fait, de la rentrée atmosphérique d'un lanceur soviétique, expliquait le groupe du Cnes dédié aux phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan). Pour avoir un aperçu du phénomène, voici une vidéo de la rentrée atmosphérique du cargo AVT-1, en 2008.
"Le risque est minime"
Pour autant, il est probable que des parties de la station spatiale Tiangong-1 survivent à la désintégration. Dans le passé, des boules en titane d'environ un mètre de diamètre ont déjà chuté sur le sol, souligne d'ailleurs Stéphane Christy, évoquant les cas de lanceurs Ariane. "Des objets lourds tels que le Progress-M 27M et le Fobus-Grunt [2012], ainsi que quelques étages supérieurs de véhicules de lancement lourds, sont [déjà] rentrés sans être endommagés, ajoute l'ESA (en anglais). A partir d'une altitude de 110 km (...), l'atmosphère est assez dense pour que l'objet chauffe en raison de la résistance de l'air et décélère, entraînant sa désintégration. Dans le cas d'un satellite très compact et dense – et en présence notamment de matériaux à point de fusion élevé, comme l'acier inoxydable ou le titane – des fragments de l'objet peuvent atteindre le sol."
Pour Tiangong-1, il peut y avoir plusieurs impacts potentiellement éloignés dans le ruban identifié en amont. "Il n'est donc pas possible de détecter à coup sûr la retombée sur une ville particulière, mais le risque reste minime. Pour donner un ordre d’idée, à cette vitesse, il faut 2 minutes pour aller de Lille à Perpignan."
Des restes de la station spatiale chinoise vont-ils nous tomber sur la tête ? Pour l'expert du COO, le risque est marginal. "La surface [de notre planète] est principalement composée de mers et d'océans et une grande partie des terres est non habitée, rappelle Stéphane Christy.
La probabilité que la station retombe sur une ville est vraiment faible, voire presque nulle. Il n’y a jamais eu de blessé lié à la retombée d’un débris spatial.
Stéphane ChristyExpert au Cnes
Ainsi, l'ESA estime que le risque d'être touché par un débris est 10 millions de fois plus faible que le risque d'être frappé par la foudre sur une année.
Et si cela devait arriver, l'histoire du seul cas connu à ce jour devrait en rassurer certains. En 1997, alors qu'elle se promenait dans un parc de Tulsa, dans l'Oklahoma (Etats-Unis), Lottie Williams a été touchée par un débris métallique sur l'épaule gauche, après avoir aperçu une lumière dans le ciel. Un fragment authentifié ensuite par la Nasa comme provenant d'une fusée Delta-II. Mais "le débris était si léger qu'il l'a vraiment frappée comme une plume, ou une feuille flottant sur un arbre", avait alors commenté Nicholas Johnson, spécialiste des débris spatiaux à la Nasa, cité par ABC News (en anglais). Lottie Williams s'en est sortie sans aucune blessure. Malgré ce concours de circonstances astronomique, elle aurait sans doute préféré gagner au Loto…
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