Cyberharcèlement, accès au porno, filtre anti-arnaques... Ce que contient le projet de loi qui veut "sécuriser et réguler l'espace numérique"
Les "grandes plateformes de réseaux sociaux" devront, pour la première fois en France, "se soucier des conséquences qu'elles ont sur le monde". Voici la synthèse de Jean-Noël Barrot, le ministre délégué à la Transition numérique, à l'heure d'évoquer son projet de loi, le 19 septembre sur France Inter. Près de deux semaines plus tard, le texte visant à "sécuriser et réguler l'espace numérique" arrive à l'Assemblée nationale, mercredi 4 octobre.
Le gouvernement souhaite aller vite sur ce texte, passé en procédure accélérée. Lors des débats suscités pendant son examen par la commission spéciale, des membres de la majorité ont pourtant fait état de désaccords et plusieurs mesures nécessitent encore des précisions techniques pour leur mise en œuvre. Voici ce qu'il faut savoir sur le contenu de ce projet de loi avant son examen dans l'hémicycle du Palais-Bourbon.
Les principaux réseaux sociaux sommés d'être plus transparents sur leur fonctionnement
Le but est de "concrétiser dans notre droit français, un règlement que la France a porté l'année dernière et [qui] a été adopté par toute l'UE", détaille Jean-Noël Barrot. Le gouvernement français se devait en effet de transposer des dispositifs inclus dans le Digital Services Act et le Digital Market Act, deux textes qui résument les nouvelles règles du jeu de la Commission européenne vis-à-vis des géants du web.
Dix-sept plateformes (dont Google, Amazon ou Apple) devront désormais soumettre leurs algorithmes à un audit indépendant afin de vérifier que leur fonctionnement est conforme aux règles européennes. Ces entreprises devront également partager les données qu'elles collectent avec des chercheurs et rendre les processus de signalisation des contenus problématiques plus accessibles. Les utilisateurs de ces plateformes devront être plus précisément informés sur les rouages des algorithmes et le recueil de leurs données personnelles, notamment à des fins publicitaires.
Les réseaux sociaux concernés (dont Facebook, Instagram, TikTok ou Snapchat), qui réunissent plus de 10% de la population européenne, devront aussi se montrer plus proactifs face aux risques encourus par leurs usagers, faute de quoi elles s'exposeront à de lourdes amendes. Le ministre a donné l'exemple d'une application "comme TikTok" qui pourrait être sanctionnée à hauteur "de 600 millions d'euros" par la Commission européenne, soit "6% de son chiffre d'affaires mondial".
Des peines durcies pour les cyberharceleurs
Interrogé sur le suicide de Marie, victime de harcèlement à 15 ans, Jean-Noël Barrot s'est dit persuadé que de tels drames seront évités si ce projet de loi est adopté. Plusieurs mesures graduelles sont mentionnées dans ce texte afin de lutter contre ce fléau. La majorité mise sur un durcissement des sanctions judiciaires pour dissuader les auteurs, notamment une amende forfaitaire d'un montant minimum de 250 euros et qui pourra aller jusqu'à 600 euros. Lors de la présentation du plan interministériel de lutte contre le harcèlement fin septembre, Jean-Noël Barrot a aussi annoncé une "suspension de six mois à un an des réseaux sociaux pour les [élèves] cyberharceleurs".
Les juges pourront également prononcer des peines de "bannissement des réseaux sociaux" ou imposer aux harceleurs un stage de sensibilisation "au respect des personnes dans l'espace numérique", précise encore le projet de loi. Le ministre de l'Education, Gabriel Attal, a également évoqué une peine imposant un couvre-feu numérique à un mineur condamné pour cyberharcèlement. La mesure n'est pas présente dans le texte initial, mais peut faire l'objet d'un amendement.
Le gouvernement s'attaque également à la diffusion de "deepfakes", ces images et ces vidéos mettant en scène des personnes sans leur consentement. "Ces peines sont portées à deux ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende", propose le texte. L'article 5 prévoit d'alourdir encore cette peine en cas de "montage à caractère sexuel".
Un contrôle de l'âge pour accéder aux sites pornographiques qui reste à préciser
Le premier article du projet de loi charge l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de veiller "à ce que les contenus pornographiques" publics "ne puissent pas être accessibles aux mineurs". Selon le texte, un écran noir doit être affiché sur ces sites, jusqu'à ce que l'internaute souhaitant les consulter soit en capacité de prouver sa majorité pour accéder à la plateforme. Mais le projet de loi ne précise pas comment ces sites devront procéder pour vérifier l'identité de leurs utilisateurs, aujourd'hui anonymes en ligne. Dans les six mois après la promulgation du texte, l'Arcom sera chargée de clarifier, auprès des sites pornographiques, la façon dont ils vérifieront l'âge des internautes, sans empiéter sur leurs libertés individuelles.
La levée de l'anonymat en ligne a beaucoup agité les débats en commission spéciale, notamment au sujet du harcèlement sur les réseaux sociaux. Le rapporteur général du projet de loi, le député Paul Midy (Renaissance), a déposé des amendements lors de l'examen du texte en commission pour mettre fin à l'anonymat sur les réseaux sociaux, qui génère selon lui "un sentiment d'immunité". Paul Midy lui préfère le "pseudonymat", qui consiste à conditionner la création d'un compte, par exemple sur Facebook, à la certification de l'identité de son utilisateur, comme il l'explique sur franceinfo. Ceci afin que "les autorités puissent retrouver qui est la personne physique derrière le compte" si celui-ci commet des actes illégaux en ligne, précise-t-il.
Des membres de la commission, y compris au sein de la majorité, se sont opposés à cette proposition, jugée difficile à imposer aux plateformes et potentiellement liberticide. "Bien sûr que [l'anonymat] et le chiffrement sont difficiles à surmonter pour les forces de l'ordre, mais la solution ne peut pas consister à tout rendre transparent", nuance Eric Bothorel, député Renaissance des Côtes-d'Armor. La Quadrature du Net, association de défense des libertés sur le net, assure que le droit européen inclut "un principe de droit de l'anonymat en ligne". Le sujet sera de nouveau débattu à l'Assemblée puisque Paul Midy, après avoir retiré ses amendements lors de l'examen du texte en commission, les a de nouveau déposés pour les soumettre au vote dans l'hémicycle.
Une mention "caractère illégal" sur certaines vidéos pornographiques
Si les députés adoptent ce texte tel quel, les sites pornographiques devront également avertir leurs utilisateurs quand ils s'apprêtent à visionner des vidéos simulant "la commission d'un crime ou d'un délit" par "un message" annonçant le "caractère illégal des comportements" vus à l'écran.
Selon un rapport sur la "pornocriminalité" publié fin septembre par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, "90% des contenus pornographiques" se caractérisent par la présence de "violence physique ou verbale", ce qui les rend "pénalement répréhensibles".
Une dépublication "sous 24 heures" des contenus pédopornographiques
Les plateformes devront aussi se montrer plus réactives concernant la pédopornographie. Le projet de loi leur impose de dépublier, "dans un délai de vingt-quatre heures", les images et vidéos à caractère pédopornographique qui leur seront signalées par les autorités.
Si ce délai est dépassé, les responsables des sites concernés risquent une peine d'un an de prison et 250 000 euros d'amende. Si l'infraction se répète, le texte prévoit une sanction pouvant aller jusqu'à 4% du chiffre d'affaires annuel du groupe visé.
Une "identité numérique" pour tous les Français à l'horizon 2030
C'est une nécessité pour encourager la dématérialisation des démarches administratives. "L'Etat se fixe l'objectif que 80% des Français disposent d'une identité numérique au 1er janvier 2027", stipule notamment l'article 4. Cette ambition devra être portée à "près de 100%" d'ici le 1er janvier 2030.
Malgré sa mention dans le texte gouvernementale, le dispositif technique qui portera ce projet n'est pas précisé. Le gouvernement charge le Parlement d'évaluer la généralisation de ce dispositif "dans un délai de six mois". Plusieurs options sont encore sur la table, notamment France identité ou l'Identité numérique proposée par La Poste.
Un filtre anti-arnaques pour dénoncer les sites malveillants et prévenir les internautes
La mesure figurait dans le programme du second mandat d'Emmanuel Macron. Pour tenter de protéger les Français face aux multiples tentatives d'escroqueries par mail ou SMS, le gouvernement a d'abord songé à bloquer administrativement les sites identifiés comme malveillants. Cette option ayant été jugée trop restrictive par la Cnil, c'est finalement un "filtre" qui a été retenu.
Quand un internaute cliquera sur un lien dirigeant vers un site connu pour ses pratiques douteuses, en particulier pour du "hameçonnage", un message "clair, lisible, unique et compréhensible" devra être affiché par les fournisseurs d'accès à internet (FAI) et les navigateurs sous peine de sanctions. Ce texte avertira les internautes désireux d'accéder au site en question "du risque de préjudice encouru" afin d'éviter qu'ils deviennent les prochaines victimes de ces fraudes en ligne.
Les FAI et les navigateurs se montrent ouverts à sa mise en place, selon le député Eric Bothorel : "Ils n'ont aucun intérêt à ce que les utilisateurs ressentent un danger à aller sur internet. Ils aspirent, comme nous, à ce qu'on navigue dans un espace de confiance". Reste à savoir si le filtrage d'un site sera conditionné au dépôt d'une première plainte, mettant en cause ce site pour une arnaque. La date de déploiement du dispositif n'est pas mentionnée dans le texte, qui n'impose pas, non plus, de solution technique.
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