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"On ne voulait pas être ceux qui écorcheraient la légende Neyret" : trois policiers entendus au procès de l'ex-commissaire

L'ex-grand flic lyonnais Michel Neyret est jugé depuis le 2 mai devant le tribunal correctionnel de Paris. Trois policiers comparaissent pour les mêmes motifs. Ils ont été appelés à la barre mardi.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Michel Neyret devant le tribunal correctionnel de Paris, le 2 mai 2016. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

La police face à la justice. C'est l'image qui reste de l'audience devant le tribunal correctionnel de Paris, mardi 10 mai. Une police incarnée par des visages : le premier est rond, le deuxième plus creusé et le troisième agrémenté d'une barbe discrète en collier. Jean-Paul Marty, capitaine, Gilles Guillotin, commandant, et Christophe Gavat, commissaire. Les trois hommes sont à la barre. Et il y a, en arrière-plan, la figure de Michel Neyret.

L'ex-numéro 2 de la PJ lyonnaise les a entraînés dans sa chute. Tous sont renvoyés devant la justice pour "trafic de stupéfiants, détournement d'objet placé sous scellés et association de malfaiteurs". Car des écoutes révèlent que Michel Neyret a tenté de se procurer auprès de ses collègues de la résine de cannabis ayant fait l'objet de saisies. L'objectif était de rémunérer en nature des "tontons", ces fameux informateurs de la police. Cette pratique, encore fréquente selon les informations de francetv info, est au coeur du second volet de ce procès, entamé le 2 mai.

Michel Neyret, "un grand monsieur"

Jean-Paul Marty est le premier appelé à la barre. Il était chef d'un groupe au sein de la brigade des "stups" de Lyon au moment des faits. C'est le seul qui reconnaît avoir remis des stupéfiants à Michel Neyret. Il raconte comment il a saisi 296 kilos de cannabis avec une équipe, le 24 juin 2011. "C'était un vendredi soir, je pense." Comment il a constitué des scellés avec ses collègues jusqu'à 3 heures du matin. Et comment il a rangé dans son armoire trois "savonnettes" de cannabis oubliées dans la confection de scellés, en se disant "on verra demain". "J'ai fait une connerie, j'ai pas fait de PV à ce moment-là", regrette-t-il à l'audience.

Il dit avoir oublié la drogue pendant quelques jours. Jusqu'à ce que Michel Neyret lui demande : "Est-ce que la destruction s'est bien passée ? Est-ce que vous avez pensé à moi ?" "J'ai donné les trois plaquettes de cannabis que j'avais à ce moment-là pour donner le change et me libérer de la pression que j'avais", explique-t-il. Soit 300 grammes sur la totalité. Or, dans certaines conversations, il est question de "10 à 15 kg" de cannabis "récupérés" via le même procédé, soit bien plus.

Le capitaine de police précise que Michel Neyret n'était pas son chef direct. "C'était une période où notre cheffe était absente, elle était en congé maternité." Une période pendant laquelle Jean-Paul Marty a eu affaire à Michel Neyret, trois mois avant son arrestation. Le célèbre flic lyonnais n'avait pas encore perdu de sa superbe. "Un grand monsieur." Il était "autoritaire, certes, mais il prenait ses responsabilités", décrit Jean-Paul Marty.

"Des hommes vénéraient Michel Neyret, littéralement"

Face à ses anciens subordonnés, Michel Neyret retrouve un ton de supérieur hiérarchique et cette assurance qui lui valait sa réputation. "On recrute des informateurs et on les infiltre dans les réseaux. On les rémunère mais pas suffisamment", explique-t-il au président du tribunal, Olivier Géron. Alors le commissaire ajoutait des "récompenses" pour les indics. "J'assume totalement cette démarche illégale", assure-t-il. C'est sa méthode de travail, "sa vision personnelle". Il veut la transmettre.

J'ai mis la pression sur un certain nombre de fonctionnaires pour permettre de trouver des issues à des affaires magnifiques.

Michel Neyret

devant le tribunal correctionnel de Paris

Parmi ces fonctionnaires, il y a Christophe Gavat, ex-chef de l'antenne grenobloise de la PJ et son adjoint, Gilles Guillotin. Ils sont mis en cause par des écoutes dans lesquelles ils expliquent à Michel Neyret avoir mis de côté des stupéfiants pour les informateurs. Mais à l'audience, ils disent avoir menti à l'ex-commissaire pour obtenir la tranquillité.

C'est compliqué de dire non à Michel Neyret avec tout ce qu'il représente. C'est un grand chef charismatique.

Christophe Gavat

devant le tribunal correctionnel de Paris

Pourquoi, alors, ne pas avoir prévenu d'autres supérieurs hiérarchiques ? "On ne voulait pas être ceux qui écorcheraient l'image, qui allaient abimer la légende Neyret", répond Christophe Gavat. "Est-ce qu'on sait que c'était un chef exigeant ? Oui. Qu'il mettait la pression ? Oui. Qu'il servait l'intérêt général ? Oui", renchérit lors d'une suspension d'audience son avocat, Emmanuel Daoud. "Des hommes vénéraient Michel Neyret, littéralement. C'était une réalité en 2011."

"Personnellement je n'ai pas eu d'indicateurs"

Christophe Gavat se dit dévasté par cette affaire : "Cela a été un tsunami personnel." Sa vie familiale en a pâti. Il a divorcé. Ses parents assistent à l'audience pour le soutenir. "C'est une famille catholique, unie, commente Emmanuel Daoud. C'est très dur, il se retrouve du jour au lendemain présenté comme un ripou." Deux écoutes téléphoniques le mettent en cause. "Mon erreur a été de dire : 'C'est fait la destruction et c'est fait la conservation'", regrette-t-il. "Personnellement je n'ai pas eu d'indicateurs. J'en ai inscrit deux à la PJ, je n'en ai pas eu besoin", argue-t-il.

Les policiers ne lâchent rien sur cette pratique autour des indics, connue, mais dont on sait peu de choses. Alors le président du tribunal s'énerve. "Je vais être franc avec vous : vous m'agacez un peu tous les trois. Malgré vos années de service, vous dites que vous n'avez jamais eu de discussion avec des collègues qui vous ont fait part de difficultés avec des informateurs..." "Ils ont toujours existé, finit par concéder Gilles Guillotin. Mais je n'ai pas eu à en gérer."

"Je voulais marquer une empreinte sur le banditisme à Lyon"

Si Michel Neyret ne fait pas mystère de cette pratique, pour autant, à l'époque, lui non plus ne la partage pas avec son responsable. Le président du tribunal insiste pour comprendre.

- "Pourquoi vous n'en parlez pas ?

- Parce que j'étais seul. La pression que je mettais sur les fonctionnaires était le reflet de la pression que j'avais sur les épaules.

- Ce n'était pas envisageable de demander à vos supérieurs hiérarchiques jusqu'où ils pouvaient vous laisser aller ?

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce que ma motivation était de faire marcher le service. J'avais la confiance de la direction pour cela. (...)

- Qu'est-ce qui vous permet de dire que votre stratégie est la bonne ?

- Je ne dis pas que c'était la bonne. Je dis que c'était ma vision personnelle. J'avais cette mission que je m'étais assignée. J'ai employé des moyens que la loi réprouve. Je n'ai pas de circonstances atténantues, c'est pour ça que je suis là aujourd'hui."

Avec, à la clé, le succès. C'était une "pure approche personnelle pour avoir des résultats." "Mon objectif était de faire tomber les voyous", insiste-t-il. "Je voulais marquer une empreinte sur le banditisme à Lyon", reconnaît-il. Une obsession de la réussite qui finira par précipiter sa chute. Dans laquelle il a aussi entraîné ses collègues, ce qu'il n'assume plus aujourd'hui.

Je sais que j'ai commis des fautes pénales et je l'assume complètement. Je m'en excuse encore une fois auprès de mes collègues. C'est un poids qui me pèse.

Michel Neyret

devant le tribunal correctionnel de Paris

Un poids qu'il prend sur ses épaules face à ses collègues, donnant plus que jamais l'image d'un policier brillant, qui s'est enfermé dans sa solitude.

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