Sondages de l'Elysée : ce qu'il faut savoir sur le procès impliquant plusieurs proches de Nicolas Sarkozy
Au début du quinquennat, la présidence avait commandé pour plusieurs millions d'euros d'enquêtes d'opinion à des entreprises dirigées par des conseillers politiques du chef de l'Etat.
Nouveau procès pour la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy. Onze ans après la plainte déposée contre X par l'association Anticor, l'heure des explications a sonné pour plusieurs membres du cabinet de l'ancien président jugés pendant un mois, à partir du lundi 18 octobre, pour "recel", "favoritisme" et "détournement de fonds publics par négligence" devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Parmi eux, Claude Guéant, déjà condamné dans l'affaire des primes en liquide de Beauvau et mis en examen pour "association de malfaiteurs" dans l'affaire du financement libyen de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy. Voici ce qu'il faut savoir de ce nouveau procès.
L'Elysée avait commandé des sondages sans faire d'appel d'offres
Tout commence en juillet 2009. En pleine présidence Sarkozy, la Cour des comptes, qui a obtenu en 2008 le droit de se plonger dans les finances de l'Elysée pour la première fois, publie un rapport qui pointe plusieurs irrégularités dans les commandes de sondages effectuées par le cabinet du chef de l'Etat, certaines enquêtes d'opinion portant sur des sujets tels que la grossesse de Rachida Dati ou l'éventualité d'un mariage entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni.
Selon les sages de la rue Cambon, plusieurs conventions de fourniture de sondages ont été signées sans respect des règles de concurrence. L'un de ces accords est conclu entre l'Elysée et deux entreprises de Patrick Buisson, alors conseiller politique du président. Un autre contrat lie la présidence à une entreprise de Pierre Giacometti, autre conseiller de Nicolas Sarkozy.
Aucun appel d'offres n'a été lancé pour ces contrats, selon la Cour des comptes, qui juge par ailleurs leur montant "exorbitant". Le contrat et ses avenants signés avec la société PubliFact a par exemple coûté 2,7 millions d'euros à l'Elysée. D'autres commandes sont passées à des instituts plus connus, tels qu'Ipsos ou l'Ifop, sans respecter les règles des marchés publics.
Grâce aux révélations de Raymond Avrillier, militant écologiste et ancien élu en Rhône-Alpes, qui est parvenu à obtenir le rapport, l'association Anticor porte finalement plainte en février 2010.
L'équipe rapprochée de Nicolas Sarkozy doit être jugée
Plusieurs membres de l'équipe rapprochée de l'ancien président de la République vont devoir s'expliquer devant les juges. Parmi eux, Claude Guéant, 76 ans, est renvoyé devant le tribunal pour "favoritisme" et "détournement de fonds publics par négligence". L'ancien ministre de l'Intérieur est soupçonné d'avoir "organisé" la signature des contrats avec les sociétés de Patrick Buisson et Pierre Giacometti, mais aussi d'avoir "ordonné" et "validé" d'autres sondages commandés directement par un membre du cabinet auprès d'Ipsos, de l'Ifop, d'OpinionWay et de TNS. Il encourt deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Autre personnalité connue à la barre : Patrick Buisson. Patron de la société Publifact, il est soupçonné d'avoir détourné 1,5 million d'euros au total. Selon Le Parisien, l'ancien conseiller a revendu à l'Elysée "des sondages commandés par des sociétés de presse en appliquant au passage une marge moyenne de 65,74%". Aujourd'hui âgé de 72 ans, il comparaît pour "recel de favoritisme" et "détournement de fonds publics", ainsi que pour "abus de biens sociaux", car il est aussi soupçonné d'avoir fait payer près de 180 000 euros de dépenses personnelles à ses sociétés. Il encourt sept ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende.
Pierre Giacometti a dirigé Ipsos de 1995 à 2008, année où il fonde sa société, GiacomettiPeron, qui conclut un contrat avec l'Elysée le 16 mars 2008 pour une mission de "conseil en stratégie" et "communication". Le Parquet national financier estime qu'en ce qui concerne ce contrat et ses avenants pour un total de 2,15 millions d'euros, le Code des marchés publics aurait dû s'appliquer. Pour l'infraction de recel de favoritisme, Pierre Giacometti, 59 ans, encourt donc cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende.
Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy pendant un an, a signé les contrats avec Publifact, l'entreprise de Patrick Buisson, et avec GiacomettiPeron. A l'instar de Claude Guéant, elle est donc poursuivie pour "favoritisme" et "détournement de fonds publics par négligence" et encourt deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Un autre membre du cabinet de Nicolas Sarkozy est jugé : il s'agit de Julien Vaulpré, conseiller technique "opinion", qui passait commande des sondages par mail ou téléphone auprès des instituts de sondage. A 46 ans, il comparaît pour "favoritisme" et encourt deux ans de prison ainsi que 30 000 euros d'amende.
L'institut Ipsos, poids lourd des études de marché et des sondages d'opinion, est aussi jugé pour "recel de favoritisme" concernant les sondages commandés par Julien Vaulpré, à hauteur de 1,5 million d'euros. Comme Publifact et GiacomettiPeron, les sociétés de Patrick Buisson et de Pierre Giacometti, l'entreprise risque au maximum 1,875 million d'euros d'amende.
Pour leur défense, les mis en cause ont justifié que les sondages de l'Elysée constituaient "une tradition" qui les dispensait d'appliquer les règles des marchés publics, rappelle Le Monde.
L'ancien président finalement présent
Protégé par son immunité pénale durant l'intégralité de son quinquennat, l'ancien chef de l'Etat n'a jamais été inquiété ni même entendu dans cette affaire. "Le président de la République ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite", selon l'article 67 de la Constitution. Mais, coup de théâtre, le président de la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris a ordonné le 19 octobre sa comparution comme témoin, au besoin "par la force publique", estimant son audition "nécessaire à la manifestation de la vérité".
Cité comme témoin au procès par l'association Anticor, qui a toujours considéré qu'il était le "grand absent" du dossier, Nicolas Sarkozy avait fait pourtant savoir qu'il ne se rendrait pas au tribunal, sur la base de cette immunité, selon les informations du Parisien et du Point. Déjà convoqué au cours de l'instruction, il n'était pas venu témoigner. L'ancien chef d'Etat est finalement attendu au tribunal comme témoin le 2 novembre.
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