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Antisémitisme : "Je demande à mes enfants de rester discrets, de ne pas porter la kippa"

Les chiffres de l'antisémitisme sont en très forte hausse sur les sept premiers mois de l'année, selon des chiffres du Crif. Le rabbin Yeshaya Dalsace livre son témoignage.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des gens discutent devant une synagogue à Sarcelles (Val-d'Oise), le 21 juillet 2014, au lendemain de violences lors d'une manifestion en soutien à Gaza. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Ce sont des chiffres inquiétants. Selon le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui s'appuie sur les données du ministère de l'Intérieur, le nombre d'actes antisémites recensés en France sur les sept premiers mois de l'année a presque doublé (+91%) par rapport à la même période de 2013.

Contacté par francetv info, le rabbin Yeshaya Dalsace, de la communauté Massorti de l'Est parisien, apporte son éclairage sur la réalité de ces chiffres au quotidien.

Selon un communiqué du Crif, le nombre d'actes antisémites a presque doublé sur les premiers mois de 2014. Cela correspond-il à ce que vous observez ?

Yeshaya Dalsace : Je ne suis pas du tout surpris. Il faut se souvenir des événements de juillet. En marge de manifestations de soutien à Gaza, il y a eu des débordements à Paris, place de la Bastille et rue de la Roquette [où des affrontements ont eu lieu devant la synagogue], puis de nouveaux événements à Sarcelles [un commerce juif a été attaqué et une synagogue visée]Cela crée forcément un pic.

Avez-vous déjà été directement visé par un acte antisémite ?

Il y a quelque temps, on a brûlé ma voiture, dans le 20e arrondissement : un cocktail Molotov. Je ne sais pas qui l'a incendiée, ni pourquoi. Mais il n'y a pas eu d'autre voiture brûlée que la mienne. Elle était facile à repérer. Alors moi, comme bien d'autres, je demande à mes enfants de rester discrets, de ne pas porter la kippa ou d'autres signes à l'extérieur. Il est hors de question de se faire repérer. Comme dit le vieil adage : "Pour vivre heureux, vivons cachés."

Constatez-vous une aggravation des actes antisémites ?

Tous les actes antisémites n'ont pas la même gravité. Mais ceux de juillet étaient extrêmement graves. Rue de la Roquette, une meute a jeté des chaises en criant "à mort les juifs". Je connais des gens qui ont eu très peur en assistant à ce déchaînement de haine. C'était un spectacle ahurissant et très violent. Bien sûr, ce n'était pas toute la manifestation, mais c'est surprenant, aujourd'hui, en France, d'entendre un groupe hurler "mort aux juifs".

S'agit-il d'un phénomène nouveau ?

Oui, je crois. L'antisémitisme est un phénomène complexe. Comme la fièvre, il peut montrer, puis redescendre, mais il a quelque chose de durable.

Je distingue plusieurs catégories d'antisémitisme. Premièrement, l'antisémitisme français de droite. C'est celui de Jean-Marie Le Pen, celui des sous-entendus et des jeux de mots, comme "Durafour crématoire" ou le "détail de l'Histoire". Ce vieil antisémitisme de droite était au pouvoir sous Vichy. Depuis, il n'a pas fait grand mal. Il reste essentiellement verbal, et encore. Il existe toujours, mais depuis la seconde guerre mondiale, il est un peu tabou.

Deuxièmement, il y a l'antisémitisme d'ultragauche, qui débouche sur un discours antisémite : "les juifs, c'est l'argent", "le complot contre le peuple palestinien", etc. Lui non plus n'est pas récent.

Enfin, troisième catégorie, celle qui est nouvelle : un antisémitisme issu de couches islamistes et lié à la crise sociale, mais qui déborde sur une partie de la jeunesse. La nouveauté, c'est l'affaire Merah : on abat un enfant parce qu'il est juif. Même les nazis ne se permettaient pas en France - en Pologne ou en Ukraine, c'était autre chose - de tirer sur les enfants en pleine rue. Merah est la partie visible d'un phénomène plus vaste. Dans l'affaire de la tuerie du musée juif de Bruxelles, le suspect, Mehdi Nemmouche, a le même profil. Ce ne sont pas des gens qui, d'un seul coup, déraisonnent. C'est ciblé, réfléchi. Et puis, il y a aussi d'autres événements moins médiatisés : une agression ici, un jet de grenade là. 

Quelles sont les conséquences pour les juifs de France ?
 
Aujourd'hui, pour les juifs, au quotidien, le problème n'est pas l'extrême droite, ou le désagréable antisémitisme d'ultragauche. Non, il vient de l'islamisme et de groupes de jeunes. Cela crée un climat d'insécurité. A Toulouse, la communauté juive est ultrasurveillée, il y a des caméras partout, c'est Fort Alamo. Jusqu'où est-ce justifié ? C'est un cercle vicieux.
 

Il y a de plus en plus de gens qui parlent de partir. Et si ce n'est pas en Israël, c'est au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou au Canada. Un malaise très profond existe. Peut-être est-ce un peu exagéré, qu'on "se monte le bourrichon". Mais la France est devenue l'an dernier le premier pays d'aliyah (l'émigration vers Israël). C'est un vrai phénomène. On songe à partir, on regarde, on examine. Les gens se sentent mal à l'aise.

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