Pourquoi une loi pénalisant l'antisionisme suscite des réserves
Des députés membres du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur l'antisémitisme veulent pénaliser l'antisionisme. Une proposition de loi qui provoque de vifs débats dans la classe politique.
"Quand on entend un des membres des 'gilets jaunes' qui hurle 'sale sioniste de merde', en fait il veut juste dire 'sale juif de merde'." Sylvain Maillard, député La République en marche à Paris et président du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur l'antisémitisme, a détaillé, lundi 18 février sur franceinfo, pourquoi il souhaitait pénaliser l'antisionisme avec d'autres députés. Alors que deux jours plus tôt ces insultes avaient visé le philosophe et écrivain Alain Finkielkraut, le parlementaire LREM a réfuté tout projet "de circonstance". Le groupe d'études doit se réunir mardi. Un tel texte suscite des réserves, y compris au sein de la majorité. Car légiférer sur cette question est complexe. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce qu'historiquement, c'est une idée politique
Antisémitisme et antisionisme : quelle différence existe-t-il entre les deux termes ? "L'antisémitisme est un délit, puni comme tous les racismes par les lois françaises. L'antisionisme est une opinion que chacun est libre d'approuver ou non", distingue le journaliste et écrivain Dominique Vidal, collaborateur du Monde diplomatique et auteur de l'essai Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron (éditions Libertalia).
"L'antisionisme est le fait de critiquer la pensée de Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, pour qui d'une part les juifs ne pouvaient pas s'assimiler, s'intégrer dans les sociétés dans lesquelles ils vivent et donc, secondement, il fallait un État pour que tous puissent s'y rassembler", précise l'historien à franceinfo. Cette pensée est ancienne : elle date de la fin du XIXe siècle, donc avant la Shoah.
"L'antisionisme est une pensée politique et n'a donc rien à voir avec le fait de développer la haine des juifs", relève Dominique Vidal. Pénaliser l'antisioniste, "ce serait comme si les communistes demandaient une loi pour réprimer l'anticommunisme ou si les libéraux demandaient une loi pour réprimer l'altermondialisme", estime-t-il. "On entrerait dans un processus totalitaire", dénonce-t-il.
C'est pourquoi Claude Goasguen, vice-président (LR) du groupe d'études, juge lui-même difficile d'élaborer une proposition de loi sur "une idée politique". Il a plaidé devant la presse pour une résolution sans valeur contraignante, qui serait comme "un coup de canon en Europe" et "montrerait au monde que nous sommes déterminés".
Parce que ce serait réprimer une opinion sur la politique d'Israël
Depuis la création d'Israël, une troisième notion, distincte, intervient dans le débat autour de l'antisionisme : le fait de critiquer la politique menée par le gouvernement israélien. "On doit pouvoir critiquer la politique de M. Netanyahu [le premier ministre israélien], comme on doit pouvoir critiquer une politique de théocratie islamiste sans passer pour un antimusulman ou sans passer pour un antisémite", a déclaré, lundi, le député LFI Éric Coquerel sur franceinfo. Il estime que "nous sommes typiquement dans une instrumentalisation" avec cette proposition.
"La politique d'Israël peut être évidemment critiquée, par contre l'existence d’Israël ne doit pas être critiquée", a rétorqué le soir même Sylvain Maillard. "C'est à la France insoumise de faire le ménage chez eux", a ajouté le député. Il estime qu'une partie de son groupe parlementaire et de ses militants "sont clairement antisémites et prônent une politique vis-à-vis d'Israël qui est avant tout une politique antisémite". "Nier l'existence d'Israël doit être pénalement poursuivable", insiste-t-il.
Mais le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, n'est pas exactement de cet avis. "Nier le droit d'Israël à exister est évidemment juste inacceptable et dissimule bien souvent une forme d'antisémitisme, c'est indéniable. Ensuite, faut-il pour autant prendre une loi qui pourrait laisser entendre que critiquer la politique d'Israël (...) pourrait être assimilé à un délit, [cela] va poser des problèmes de discussions interminables qui, à la fin, pourraient y compris nuire à la juste cause qu'est la lutte contre l'antisémitisme", a-t-il développé mardi matin sur BFM TV et RMC. Il s'est dit "réservé" face à la proposition de pénaliser l'antisionisme.
Parce qu'il existe déjà un "arsenal législatif"
Pénaliser ou pas l'antisionisme : la question se pose en raison des propos proférés à l'encontre d'Alain Finkielkraut. Mais pour l'historien Dominique Vidal, "aucune insulte n'est antisioniste", elle "est forcément antisémite". "Quand on lui dit 'sale sioniste de merde', on n'est plus dans la théorie politique. C'est juste purement raciste", explique-t-il.
Selon lui, les deux termes tendent à être confondus, c'est notamment à cause de l'emploi qu'en font Dieudonné et Alain Soral. Il explique à franceinfo qu'il s'agit d'un "passe-passe linguistique" pour leur éviter toute condamnation judiciaire. "A partir du moment où ils étaient poursuivis en justice pour leur incitation à la haine antisémite, ils ont changé de manière de s'exprimer. 'Juif' est devenu 'sioniste' et 'antisémitisme' est devenu 'antisionisme' dans leur discours", résume-t-il.
Annette Wieviorka, historienne française, spécialiste de la Shoah et de l'histoire des Juifs au XXe siècle juge "bizarre" l'idée de pénaliser l'antisionisme. "Nous avons tout un arsenal législatif. Ce n'est pas très difficile de voir qu'une insulte comme ça, c'est d'abord une injure. On a quand même des lois qui punissent l'injure. Je ne suis pas juriste, mais je pense que ce n'est pas très difficile de montrer que c'est une injure antisémite", estime-t-elle sur France Inter.
L'avis d'Annette Wieviorka, historienne, sur une #loi qui criminaliserait l'#antisionisme : "C'est une idée bizarre, on a tout un arsenal législatif, c'est pas très difficile de montrer que c'est une injure #antisémite" #le79Inter pic.twitter.com/nCByFcBDDe
— France Inter (@franceinter) 19 février 2019
"Aujourd'hui, il s'agit d'éradiquer l'antisémitisme. Notre arsenal législatif est tout à fait au point pour lutter contre ce mal", affirme Richard Ferrand. "De façon générale, je ne suis pas pour aller dans une sorte de course permanente vers la pénalisation des choses qui nous déplaisent", a aussi affirmé sur franceinfo le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer. "Il faut plutôt compter sur l'éducation, le débat, et puis il y a de toute façon dès aujourd'hui un antisionisme qui est bien sûr le masque d'un antisémitisme, mais qui peut justement se détecter comme tel".
"Si on regarde dans le détail, les insultes proférées sont très contradictoires. C'est de l'ancien nouveau", résume Annette Wieviorka. Emmanuel Macron a à son tour réagi mardi matin en déclarant "sans ambiguïté" qu'il "ne pense pas que pénaliser l'antisionisme soit une bonne solution".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.