Lever du soleil, sommeil, sécurité routière... Cinq questions sur la fin annoncée du changement d'heure
A terme, les pays européens vont abandonner le changement d'heure. Reste à savoir quel fuseau adopter.
Une heure de plus, une heure de moins... Et s'il n'y avait plus besoin de remettre les pendules à l'heure ? Mardi 26 mars, les eurodéputés ont voté en faveur de la suppression du changement d'heure saisonnier, au printemps et en automne, à compter de 2021. "Les Etats membres garderont le droit de décider de leur fuseau horaire", précise l'institution.
En attendant, voici quelques clés pour y voir plus clair.
1Concrètement, à quelle heure le soleil se lèvera-t-il et se couchera-t-il ?
Le système actuel a été adopté alors que l'heure légale française était déjà en avance de 60 minutes sur celle fixée par le méridien de Greenwich. Conséquence ? Le territoire national est à UTC +2 (c'est-à-dire deux heures de plus que l'universal time coordinated, l'heure de référence internationale) en été et UTC +1 en hiver. Certaines associations (Ached, la Méridienne...) dénoncent donc une "heure d'été double" pendant sept mois, de fin mars à fin octobre. Elles souhaiteraient idéalement l'application de l'heure méridienne, mais réclament a minima la fin du changement d'heure et l'adoption de l'heure d'hiver (UTC +1).
Voici ce que donneraient les deux hypothèses dans les villes de Brest et Strasbourg (extrémité ouest et extrémité est du territoire).
• Si la France conserve l'heure d'hiver. L'été en serait tout chamboulé, comme en témoigne la situation au 20 juin. Le soleil se lèverait à 5h16 à Brest et à 4h26 à Strasbourg (au lieu de 6h16 et 5h26 à l'heure d'été) et pourrait vous chatouiller très tôt sous la couette. Il se coucherait à 21h21 à Brest et à 20h23 à Strasbourg (au lieu de 22h21 et 21h23 à l'heure d'été).
• Si la France conserve l'heure d'été. Dans ce cas, c'est l'hiver qui est modifié. Le 20 décembre, le soleil ferait son apparition à 10h06 à Brest et 9h18 à Strasbourg (au lieu de 9h06 et 8h18 à l'heure d'hiver), ce qui signifie que les petits Finistériens devaient attendre deux heures de cours pour voir le jour. Le soleil se coucherait à 18h24 (au lieu de 17h24) et à 17h34 à Strasbourg (contre 16h34). "Le lever du jour ne se produira qu'entre 9 heures et 10 heures, heure légale, soit bien après le commencement des activités, notamment celui des horaires scolaires", soulignait un rapport du Sénat à la fin des années 1990.
2Les frontaliers vont-ils devenir fous ?
Les pays de l'UE sont actuellement regroupés en trois fuseaux horaires différents : Europe occidentale (Portugal, Royaume-Uni et Irlande), centrale (17 pays) et orientale (8 pays). "Les Etats membres doivent décider eux-mêmes si leurs citoyens doivent vivre à l'heure d'été ou à l'heure d'hiver", a déclaré le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en septembre dernier.
Y a-t-il un risque de pagaille en Europe ? En adoptant l'heure d'été, la France afficherait pendant l'hiver une heure de plus que l'Allemagne, pourtant située plus à l'Est. "Cette situation constituerait une réelle difficulté pour l'organisation des transports et communications inter-européens", soulignait le Sénat dès la fin des années 1990. Le secteur des compagnies aériennes a d'ailleurs réclamé un peu de temps pour accorder ses violons. "Il nous dit qu'il leur faut au moins dix-huit mois pour se préparer", a déclaré Norbert Hofer, ministre des Transports autrichien.
La question est également valable pour les travailleurs frontaliers. "Si la France opte par exemple pour l'heure d'été et le Luxembourg, la Belgique ou la Suisse pour l'heure d'hiver, un décalage horaire d'une heure apparaîtra entre ces pays", souligne le chercheur Jacques Taillard. Conséquence ? Des milliers de travailleurs subiraient alors "un jet lag quotidien" synonyme de potentiels "problèmes de santé associés". La question a d'ores et déjà été évoquée dans le Grand Duché, dont les frontières sont traversées quotidiennement par 200 000 travailleurs.
Imaginer le Luxembourg avec des voisins comme l'Allemagne, la France et la Belgique et des fuseaux horaires différents, ce serait totalement catastrophique pour nous.
François Bausch, ministre du Développement durable et des Infrastructures du Luxembourgà l'AFP en octobre 2018
Un pays "déconnecté" des Etats limitrophes pourrait rencontrer "des inconvénients plutôt que des problèmes d'investissements supplémentaires", nuançait toutefois une étude de la société de conseil ICF (en anglais) remise à la Commission européenne en 2014. Le document étudiait plusieurs scénarios dans lesquels un Etat abandonnerait seul le système actuel, sans ses voisins. Il semble toutefois difficile d'imaginer des "îlots horaires" en Europe. En octobre dernier, le Premier ministre belge, Charles Michel, avait réclamé au micro de La Première une "concertation" entre les Etats – "cela aurait du sens, en tout cas en Benelux, en France et en Italie, [qu']on conserve le même fuseau horaire".
3Va-t-on consommer davantage d'énergie ?
Certains pays n'avaient pas attendu la crise pétrolière pour adopter ce système, comme le Royaume-Uni et l'Irlande, au sortir de la guerre, ou l'Italie en 1966. La France, pour sa part, a remis en place le système d'heure d'été en 1976 afin d'alléger la facture pétrolière dont le cours était en hausse après la crise – l'électricité était produite largement à partir de centrales au fuel lourd.
Et aujourd'hui ? Il est difficile d'évaluer les conséquences d'une telle mesure sur les usages thermiques, mais le système actuel permet bien d'économiser de l'énergie pour l'éclairage, selon une étude de l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, parue en 2010. Le changement d'heure avait permis d'économiser 440 GWh l'année précédente, soit la consommation d’électricité annuelle de la ville du Havre, ce qui représente une économie de 44 000 tonnes de CO2. Ce bénéfice tend toutefois à diminuer au fil des ans, en raison des progrès des lampes basses consommation. Conserver le système actuel devrait tout de même permettre d'économiser 340 GWh d'énergie pour l'éclairage en 2030.
De son côté, le Bureau de l'évaluation technologique du Bundestag allemand avait estimé que le changement d'heure permettait de diminuer de seulement 0,8% la consommation annuelle d'énergie des ménages allemands. "Des économies marginales pourraient être observées pour les ménages privés dans les deux tiers des études publiées", résumait un autre rapport (en anglais) mené par le service de recherche du Parlement européen. "Mais cela ne s'applique pas à la consommation industrielle", précisait encore l'experte Irmgard Anglmayer, auteure de l'étude.
Selon une analyse comparée parue en 2017, la fourchette de l'économie d'énergie liée au changement d'heure en Europe serait située entre 0,5% et plus de 2,5% – "le système du changement d'heure a des effets partout en Europe pour la consommation d'énergie". En résumé, la fin de ce système aura des conséquences limitées, mais réelles sur la consommation d'énergie européenne.
4L'heure d'été va-t-elle plomber notre santé ?
Les questions liées à la santé ont donné lieu à de vives controverses, notamment après des travaux parus dans le New England Journal of Medecine (en anglais) en 2008. Cette étude menée en Suède soulignait une hausse des infarctus du myocarde dans la semaine qui suit le passage à l'heure d'été, entre 1987 et 2006. Hypothèse la plus probable : "L'effet néfaste d'une privation de sommeil sur la santé cardiovasculaire." Une baisse – un peu moindre – était en revanche observée dans la semaine qui suit le passage à l'heure d'hiver.
Les dettes de sommeil entraînent de nombreuses pathologies, connues et documentées. Elles peuvent être d'ordre cardiovasculaire (hypertension, AVC), métabolique (diabète de type II, obésité…), immunitaire ou inflammatoire. Plus largement, les chronobiologistes mettent régulièrement en garde l'opinion contre une trop grande désynchronisation entre lumière du jour et heure de l'horloge. "En imposant à l'horloge biologique un rythme qui n'est pas celui de la nature, on va exercer un stress sur l'ensemble des organes, résume Joëlle Adrien, directrice de recherche à l'Inserm. On a donc intérêt à ce que l’heure légale, soit la plus proche possible de l’heure solaire."
L'horloge biologique est le chef d'orchestre de nos organes et de notre cerveau. Passer définitivement à l’heure d’été est une aberration chronobiologique. Au lieu de faire une symphonie, on crée une cacophonie.
Joëlle Adrien, directrice de recherche à l'Insermà franceinfo
De nombreuses sociétés savantes ont donc pris position pour l'heure d'hiver permanente, parmi lesquelles la Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS), la société française de chronobiologie (SFC), l'European Sleep Research Society (ESRS) ou l'European Biological Rhythms Society. Ce choix favoriserait en effet "une meilleure synchronisation/harmonisation de nos horloges biologiques au calendrier solaire", écrit le chercheur Jacques Taillard dans la revue Médecine du sommeil, avec pour conséquence notable d'atténuer le "fameux jet lag social" – sortir tard et rester tard au lit le matin.
D'un point de vue chronobiologique, le meilleur choix serait d'adopter l'heure d'hiver permanente.
Jacques Taillard, ingénieur de recherche au CNRSdans la revue "Médecine du sommeil"
Gare donc à la douce illusion des longues soirées de juillet. Celles-ci ne peuvent durer toute l'année, même en conservant l'heure d'été. "En été, les gens sont plus heureux car cela correspond aux vacances, résume Joëlle Adrien. Les gens associent cet horaire à un bien-être, mais c’est aberrant à long terme."
5La mortalité routière va-t-elle augmenter ?
L'obscurité peut représenter un facteur de surmortalité routière et le passage à l'heure d'été pourrait donc avoir un effet positif. Mais la plupart des études menées sur la question nuancent pourtant cette hypothèse, rappelle le rapport d'Irmgard Anglmayer. Certaines, tout au plus, décèlent une hausse (entre 3,9% et 6,5%) du nombre de morts sur les routes lors de la première semaine ou quinzaine (étude en anglais) après le passage à l'heure d'hiver. Les auteurs avancent également l'hypothèse du jet lag pour expliquer cette hausse.
"Une députée nous disait que le changement d'heure entraînait une surmortalité de 40%, mais il s'agit d'un raccourci abusif", explique Anne Lavaud, déléguée générale de l'association Prévention routière. Ce chiffre correspond en effet à l'augmentation du nombre de morts pendant les cinq mois d'hiver, quand les jours sont moins longs. "On ne peut pas attribuer cette hausse au changement d'heure (...). Qu'on change ou non d'heure, les piétons continuent de s'habiller en noir ou en gris l'hiver et ils ne sont pas visibles”, déplore la déléguée générale. Selon elle, abandonner le changement d'heure ne devrait donc pas entraîner de surmortalité des piétons.
Chaque année, l'association profite en revanche du jour du passage à l'heure d'hiver pour inviter les piétons à porter des vêtements clairs ou assortis de bandes réfléchissantes. Cette date symbolique permet d'informer le plus grand nombre sur les dangers de l'hiver – la moitié des piétons tués chaque année ont été victimes d'un accident survenu entre octobre et janvier. Anne Lavaud confesse donc une inquiétude avec l'abandon du système actuel. "Nous n'aurons plus cette occasion pour parler des dangers de l'obscurité et lancer des campagnes. Il va falloir trouver une autre date."
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