"Pour l'instant, on n'est pas à l'aise avec ça" : les mentalités progressent mais la maternité reste un sujet tabou chez les sportives de haut niveau
À l'occasion de l'opération "Sport Féminin toujours", le ministère des Sports publie vendredi un guide de la maternité à destination des athlètes de haut niveau. Le sujet reste encore délicat, même si l'évolution est indéniable.
À l'été 1990, Maryse Éwanjé-Épée a 26 ans est, et de loin, la meilleure sauteuse tricolore. Finaliste aux Jeux olympiques de Séoul deux ans plus tôt, elle est incontestée en équipe de France. Mais à l'annonce de sa grossesse, c'est la rupture. "J'ai reçu très rapidement une lettre recommandé de mon partenaire puis de la fédération m'indiquant que je perdais ma bourse olympique et que je perdais mes partenariats, et que je les retrouverai quand je retrouverai l'équipe de France", raconte l'ancienne championne d'athlétisme.
"Mon entraîneur me filait en douce des tickets repas pour que je puisse aller bouffer de temps en temps à la cantine de l'Insep, mais sinon je n'avais rien."
Maryse Éwanjé-Épée, ancienne championne d'athlétismeà franceinfo
La judokate Clarisse Agbegnenou a annoncé, lundi 7 février, attendre son premier enfant. La double championne olympique a néanmoins assuré qu'elle serait de retour pour les Jeux olympiques de Paris en 2024. Le sujet est encore tabou : selon un sondage réalisé auprès de 700 athlètes féminines, 61% d'entre elles pensent qu'il est difficile de devenir mère pendant une carrière sportive.
En juillet 2021, la perchiste de 26 ans Ninon Guillon-Romarin, détentrice du record de France à 4,75 m, était tombée de bien plus haut en apprenant qu'elle ne faisait pas partie des 378 tricolores sélectionnés pour les Jeux olympiques de Tokyo. La Fédération française d'athlétisme assurait à franceinfo s'être basée uniquement sur les performances de l'athlète, qui avait accouché cinq mois plus tôt. Son club dénonce une "décision patriarcale et pleine d’injustice".
"Je savais que ça pouvait créer un conflit"
En 2019, Cléopâtre Darleux, gardienne du Brest Bretagne Handball, vit une grossesse certes plus sereine financièrement : son club lui maintient son salaire. Mais le regard et les mots des autres n'ont pas vraiment changé. "C'est jamais un truc qu'on annonce comme ça et qui passe tranquille, confie l'athlète. Pour l'instant, on n'est pas à l'aise avec ça. Je pleurais le matin même en y allant, je savais que ça pouvait créer un conflit, être vu comme limite une trahison."
"Je ne les avais pas prévenus avant de signer mon contrat, ça m'a peut-être porté préjudice."
Cléopâtre Darleux, gardienne du Brest Bretagne Handballà franceinfo
En 1992, Maryse Éwanjé-Épée, qui aura pris 33 kilos, saute 1,91 m. Elle ne parvient pas à réaliser les minima olympiques et est donc privée des JO de Barcelone pour un centimètre. En 2020, Cléopâtre Darleux, encadrée par des professionnels, retrouve un niveau exceptionnel et est sacrée avec les Bleus à Tokyo en 2020.
Un exemple pour rassurer les entraîneurs selon Carole Maître, gynécologue à l'Insep. "L'inquiétude pour l'environnement sportif était le retour au haut niveau, explique-t-elle, parce qu'il y a bien sûr une absence des compétitions pendant plusieurs mois, donc il faut les rassurer sur les capacités musculaires, cardio-respiratoires et techniques de la sportive qui ne vont pas changer et qui vont pouvoir se retrouver à 4 à 6 mois après l'accouchement."
Un encadrement physique qui progresse mais ça pêche encore côté logistique. "Comment peut-on aller en stage avec son bébé ou comment organiser au mieux des crèches adaptées et comment soutenir de façon pratique ces sportives ? Je pense qu'on a encore un petit chemin à faire", reconnaît Carole Maître. Selon l'enquête du ministère des Sports, l'année de naissance du premier enfant est désormais celle des meilleurs performances.
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