Au lycée Averroès, un sentiment de "trahison" après les accusations d'islamisme
Accusé par un ancien professeur de philosophie de promouvoir l'islamisme, cet établissement lillois est au cœur d'une polémique. Francetv info s'est rendu sur place.
L'entrée des élèves se fait par un portail vert sans inscription, presque à la dérobée. Le collège-lycée Averroès, à Lille (Nord), est pourtant l'un des établissements les plus médiatisés de France, depuis qu'un professeur de philosophie, Soufiane Zitouni, a claqué la porte en l'accusant de promouvoir l'islamisme. Sa tribune publiée dans Libération a fait grand bruit et lui vaut aujourd'hui une plainte du lycée. Avant que le recteur ne le reçoive la semaine prochaine, francetv info s'est rendu sur place pour tenter d'y voir plus clair.
"On a été trahis par ce professeur"
Alors qu'il sort du bâtiment, un élève de seconde résume le sentiment de beaucoup d'étudiants : "On a été trahis. Quand il était là, ce professeur disait du bien des autres professeurs et maintenant, il nous accuse d'être antisémites. Il tient un double discours hypocrite." Aucun des élèves interrogés n'évoque l'existence de telles remarques discriminatoires. A les entendre, il s'agirait en fait d'une incompréhension. "Après Charlie Hebdo, il a lancé le débat en cours et nous a demandé ce qu'on pensait des juifs, mais comme ça, d'une manière provocante, ajoute un élève de seconde. Et quand quelqu'un n'était pas clair ou mettait du temps à répondre, il reformulait à sa manière."
Un sandwich à la main, une autre lycéenne ajoute : "J'étais choquée, même ma mère n'a pas compris. Il avait l'air heureux ici, il faisait plein d'activités. Il a même animé une table ronde avec un rabbin et ça s'était très bien passé, dans une bonne ambiance." Sauf que le professeur de philo, joint par francetv info, rappelle que la rencontre était filmée : selon lui, la direction était d'ailleurs passée dans les classes pour prévenir toute question offensante. Et puis, "ce rabbin a défendu une vision orthodoxe du judaïsme. Le prof d'éthique Sofiane Merziani a défendu une vision orthodoxe de l'islam. Il n'y a pas eu de débat. Tout ça, c'est une vitrine de dialogue interreligieux", assure Sofiane Zitouni.
Querelle sur la récurrence des remarques antisémites
Le 19 janvier, Soufiane Zitouni claque la porte de l'établissement, après avoir évoqué les attentats face à huit jeunes filles de terminale, en cours de philo. Quand nous évoquons cette journée avec le directeur, El Hassane Oufker, ce dernier convoque aussitôt une des élèves concernées, avec qui le clash avait été violent. S. quitte son cours d'histoire-géo et arrive aussitôt, avec une copie de la main courante déposée deux jours plus tôt contre l'enseignant.
Le professeur nous dit que des innocents ont été tués et je réponds qu'ils n'étaient pas innocents du point de vue des assassins. Il continue et qualifie les frères Kouachi de fous. Je dis que c'est trop facile d'expliquer ces actes par la folie. Mais en aucun cas pour les défendre.
Soufiane Zitouni confirme cet échange, mais précise que ladite élève s'était déjà illustrée par le passé en qualifiant les juifs de "race maudite" et en évoquant une activité humanitaire en faveur de l'organisation Etat islamique. Bref, ce jour-là, le débat tourne court. Le prof file dans le bureau du directeur adjoint, Eric Dufour, puis dans celui du directeur, El Hassane Oufker, pour évoquer son ras-le-bol. Il quitte le lycée sans assurer le cours suivant. Il n'est jamais revenu depuis.
Aujourd'hui, Soufiane Zitouni explique que ces passes d'armes étaient fréquentes. "Un jour, le leader des terminales ES a lâché des remarques sur la théorie du complot et sur le fait que les juifs contrôlaient les médias, avec un sourire entendu." La direction fait remarquer que le professeur n'a jamais signalé de cas litigieux. "J'aurais convoqué l'élève et il y aurait eu des sanctions", assure El Hassane Oufker. "C'est faux, totalement faux. J'avais déjà signalé le cas de l'élève précédente. Le directeur est allé la voir et, le cours suivant, j'avais 36 élèves fâchés contre moi parce que j'avais prévenu El Hassane Oufker. Et, souvent, j'évoquais ce ras-le-bol en salle des profs, avec qui voulait bien l'entendre."
"Il parlait à 60% de religion, à 40% de philosophie"
Certains professeurs reprochent à leur collègue de philo d'avoir beaucoup trop parlé de religion en cours, alors que ce n'était pas son rôle. "Mes élèves me disent qu'il était question à 60% d'islam et à 40% de philosophie", explique une professeure de français, qui s'interroge sur les intentions de son ancien collègue. "Depuis l'affaire, mes élèves sont choqués, perturbés en cours." Les enseignants du lycée ont pourtant défense de parler de religion et de politique, sauf pendant les cours prévus à cet effet. "Il m'est arrivé de faire un pont entre mon cours et l'islam, corrige Soufiane Zitouni, quand les élèves rejetaient la théorie de l'évolution. Là, j'ai cité le livre Réconcilier l’islam et la science moderne de l'astrophysicien Nidhal Guessoum, qui montre que cette théorie est compatible avec le Coran."
Soufiane Zitouni a pris au mot l'établissement Averroès, en lançant un travail sur le penseur andalou du XIIe siècle qui lui a donné son nom. Sauf qu'aucun ouvrage de l'auteur n'est disponible au CDI. "Enfin, Averroès n'est pas non plus l'alpha et l'oméga de la pensée", résume le directeur, qui précise que la bibliothèque comptait deux ouvrages, une biographie et un traité de droit. Lesquels ont été empruntés sans être rendus. Il est en revanche possible de lire des ouvrages de Tariq et Hani Ramadan, les deux frères très controversés pour leur vision de l'islam. "C'est vrai qu'ils font vendre", déclare le directeur, avant d'ajouter qu'il y a aussi des livres du romancier Yasmina Khadra.
"Un mélange des genres entre islam et politique"
Au-delà des éventuelles remarques antisémites, le débat porte également sur l'influence de l'Union des organisations islamiques de France. Son président est aussi à la tête de la fondation Averroès, qui gère le collège-lycée, même si la direction de l'école promet que l'établissement est totalement indépendant. Et quand bien même. "L'UOIF essaie de créer un islam de France indépendant depuis trente ans, au-delà de toute ingérence étrangère, détaille Eric Dufour. Soufiane Zitouni est venu avec des préjugés. Vous savez, ça me fait penser à Caroline Fourest qui accuse ses adversaires de tenir un double discours. A la lecture de sa tribune, on a l'impression qu'il a mené une enquête, en observant à la loupe l'établissement." Lequel a réclamé une inspection académique, prévue mercredi.
Selon Soufiane Zitouni, le président de l'UOIF, Amar Lasfar, aurait déclaré : "Un jour, il y aura aussi des filles voilées dans les écoles publiques françaises." "Et quand un imam vient avec une écharpe aux couleurs de la Palestine pour le prêche du vendredi, c'est un vrai mélange des genres entre islam et politique", poursuit le professeur de philo. Aujourd'hui, il n'en démord pas.
Continuons de jouer l'autruche, de faire semblant de ne rien voir, et nous courrons à la catastrophe avec de nouveaux Merah ou Kouachi."
Soufiane Zitouni a fait le tour des médias. Il se félicite d'être au cœur d'un sujet de dix minutes, prévu la semaine suivante sur Canal+. Le directeur adjoint de l'établissement, Eric Dufour, nous amène à son bureau. "Tenez, regardez le texto puéril qu'il m'a envoyé à 7h22 : 'Bonjour tout le monde, on me donne l'occasion de m'exprimer à nouveau ce matin sur Europe 1." Le destinataire a répliqué par un texte publié sur Mediapart. Avant cela, le professeur d'éthique Sofiane Merzani avait déjà écrit sur Le Plus de L'Obs.
Dans le lycée, l'inscription "salle d'attente" est écrite en deux langues, français et arabe. Loué par les médias pour son taux de réussite au bac, le seul établissement privé musulman sous contrat joue de son image : il est presque en opération portes ouvertes. Un journaliste indépendant algérien téléphone à l'accueil tandis que la presse défile, à tel point que des professeurs sont appelés en renfort pour répondre aux journalistes. Au moment de dire au revoir, le directeur lance "Alekoum salam". Et plaisante enfin un peu. "Oh la la, vous avez vu, j'ai dit 'alekoum salam', c'est grave, attention."
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