Classement Pisa : pourquoi la France reste-t-elle une élève moyenne, alors qu'elle "met le paquet" sur le français et les maths ?

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
En dépit d'un apprentissage intensif des savoirs fondamentaux, notamment en mathématiques, les élèves français ne présentent pas de bons résultats dans ces matières par rapport à d'autres pays de l'OCDE. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Depuis sa nomination, le ministre de l'Education a fait de ces deux matières sa priorité. Pourtant, la France est déjà le pays de l'OCDE qui leur consacre le plus d'heures en primaire.

Davantage de cours de maths et de français pour rehausser le niveau des élèves. Voilà l'un des mantras de Gabriel Attal depuis sa nomination au ministère de l'Education nationale. Lors de sa conférence de presse de rentrée, il avait ainsi martelé sa volonté de "mettre le paquet sur les savoirs fondamentaux". Alors que la France est déjà le pays de l'OCDE qui consacre le plus de temps à ces matières en primaire (59% contre 41% en moyenne), ce volume horaire n'est pas synonyme d'excellence dans les résultats. Loin de là.

Selon la dernière enquête Pisa, publiée mardi 5 décembre, les résultats des élèves français de 15 ans se situent "seulement" dans la moyenne des pays de l'OCDE, avec un score de 474 points en mathématiques et en compréhension de l'écrit. Surtout, les résultats sont en chute libre depuis 2018, avec une baisse inédite dans la première discipline (-21 points), une tendance que l'on retrouve toutefois dans la plupart des pays membres. A titre de comparaison, l'Estonie, qui n'impose que 38% d'instruction dans les savoirs fondamentaux à ses écoliers, est classée première en mathématiques et deuxième en compréhension de l'écrit (hors pays d'Asie).

Une enquête TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) de 2020 est encore plus sévère à l'égard de la France, classée dernière au sein de l'Union européenne pour les maths en classe de CM1 et avant-dernière en 4e.

Des enseignements complémentaires

Beaucoup de chiffres et de lettres donc, mais peu de résultats. En France, "c'est une vieille lune de vouloir sans cesse recentrer sur les apprentissages fondamentaux", remarque Agnès Florin, présidente du Centre national d'études du système scolaire (Cnesco). Depuis septembre, deux heures par jour sont dédiées à la lecture en classe de CP, ainsi qu'une pratique renforcée pour les élèves en difficulté en CM1. Les élèves de CM2, eux, doivent produire un texte écrit par semaine. Au collège, une heure hebdomadaire de soutien en français et maths a été instaurée pour les élèves de 6e.

Gabriel Attal avait aussi lancé fin septembre une mission "exigence des savoirs", avec une priorité, là encore, sur le français et les maths. Il a détaillé mardi les mesures retenues. Le ministre de l'Education souhaite, entre autres, créer des groupes de niveau au collège dans ces matières. Les élèves les plus en difficulté pourront bénéficier de plus de temps que les autres. Ces heures "se feront à la place d'une partie d'une autre matière, en accord avec les professeurs et les familles", a précisé Gabriel Attal.

Suffisant pour élever le niveau général ? Qui dit "plus", ne dit pas nécessairement "mieux". Selon le sociologue Pierre Merle, spécialiste des questions d'éducation, il faut interroger la méthode pédagogique et les programmes pour en évaluer l'efficacité. Notamment en primaire, où l'on apprend à lire, écrire et compter. Le ministre de l'Education a justement fait un pas en ce sens. Il prévoit de revoir les programmes de la maternelle au CE2 en vue de la rentrée prochaine. Un travail similaire sera mené pour le CM1 et le CM2 d'ici la rentrée 2025.

"En CP et CE1, l'apprentissage de la graphophonologie [reconnaître à l'écrit des lettres isolées et des mots] n'est pas suffisamment systématisé", estime Pierre Merle. En compréhension de l'écrit, Agnès Florin pointe d'autres lacunes : "Les élèves français sont plutôt bien préparés sur des compétences comme 'dégager les idées principales du texte' ou 'expliquer et argumenter'. Mais sur d'autres, comme 'déterminer les perspectives de l'auteur' ou 'décrire le titre et la structure du texte', il existe un vrai retard par rapport à d'autres pays", illustre la présidente du Cnesco.

"La France est l’un des pays qui accordent le plus d’importance aux maths formelles par rapport aux maths de la vie courante."

Agnès Florin, présidente du Cnesco

à franceinfo

Les enseignants du premier comme du second degré sont loin de nier l'importance du français et des maths à l'école. Mais ces matières "ne doivent pas s'opposer à d'autres disciplines", juge Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. Selon Agnès Florin, il est très important de "donner du sens au travail scolaire". "Les préconisations européennes disent que l'acquisition de compétences va au-delà des savoirs en français et en maths, qu'il faut inclure d'autres disciplines ainsi que des pratiques culturelles et sportives", illustre la présidente du Cnesco. 

De la persistance des inégalités

Depuis l'instruction obligatoire dès l'âge de 3 ans, Pierre Merle suggère aussi que "les programmes sont trop chargés" en maternelle. "Ils correspondent aux capacités cognitives des élèves moyens et bons. Les objectifs sont trop élevés pour les élèves faibles et peuvent déjà creuser les écarts", avance le sociologue. En classe, "les collègues de maternelle demandent plus de formation, en particulier sur l'apprentissage du langage, car il y a une difficulté à accompagner en même temps ceux qui viennent d'un milieu favorisé et ceux issus d'un milieu défavorisé", souligne Maud Valegeas, cosecrétaire fédérale de SUD-Education.

Dans son enquête Pisa, l'OCDE montre d'ailleurs que la France reste à la traîne en matière de réduction des inégalités scolaires. Les élèves issus de milieux socio-économiques favorisés ont obtenu des résultats supérieurs de 113 points à ceux des élèves issus de milieux modestes. C'est l'un des plus importants écarts de l'OCDE.

"Le système français est fortement ségrégué et l'absence de mixité sociale défavorise les élèves faibles."

Pierre Merle, sociologue

à franceinfo

Reste un facteur fondamental : plus les enfants sont épanouis à l'école, plus ils ont de chances de progresser. Or, la France reste l'un des pays où les élèves déclarent percevoir le moins de soutien de la part de leurs enseignants. "Les pays de l'OCDE dans lesquels les élèves se sentent plus soutenus" ont observé une "moindre baisse" de leurs résultats, a relevé Eric Charbonnier, responsable de l'étude Pisa en France, lors d'un point-presse lundi.

Pierre Merle met aussi en cause le système d'évaluation en France, pour partie responsable d'un stress à l'école, selon lui. Et le sociologue de critiquer la part encore importante des notes. Depuis la mise en place de Parcoursup, les lycéens sont par ailleurs nombreux "à passer à côté des cours" lors de la période des vœux, car "trop anxieux" à l'idée de la bascule post-bac, rapporte Sophie Vénétitay.

Même si Gabriel Attal a annoncé fin septembre la mise en place de cours d'empathie, dans le cadre du plan de lutte interministériel contre le harcèlement scolaire, la France est en retard sur le volet des compétences psychosociales par rapport à un pays comme le Danemark. "L'acquisition de ces compétences permet à l'élève de renforcer son estime de lui et son espérance de réussite. C'est par ce biais qu'il va ensuite se mobiliser davantage sur les apprentissages et maintenir ses efforts", relève Agnès Florin.

Améliorer le cadre scolaire

Il y a deux ans et demi, Benjamin Planche et Vincent Chavinier ont créé Osmose, une start-up qui propose aux enseignants du primaire des ressources pour développer les compétences psychosociales. Plus de 600 écoles en France ont déjà été parrainées. "Pour travailler sur la confiance, on propose par exemple 'l'arbre à succès' : l'élève dessine des feuilles au fur et à mesure de ses réussites. Cela peut être : 'Je sais faire du vélo tout seul'", explique Benjamin Planche. Professeure des écoles dans les Hautes-Alpes, Eloïse Griffard constate les bienfaits de ces outils sur ses élèves. "Collectivement, le climat de la classe s'est amélioré. Individuellement, ils sont plus concentrés et apprennent plus vite", assure l'enseignante.

De l'avis des professeurs comme des chercheurs, la clé d'un meilleur niveau scolaire réside avant tout dans un cadre propice aux apprentissages. Avec une conclusion du rapport Pisa qui interpelle : 67% des chefs d'établissement interrogés déclarent que l'apprentissage des élèves français est freiné par le manque d'enseignants (50 points de plus qu'en 2018). Parmi les pays de l'OCDE, seul le Cambodge fait pire.

"Il faut regarder les conditions dans lesquelles ils apprennent... Si elles sont difficiles, comment les faire progresser ?"

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

à franceinfo

Un rapport de 2022 publié par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) montre également que la France possède les classes les plus chargées de l'UE. Et sle dédoublement existe depuis 2017 en CP et CE1 en éducation prioritaire, Maud Valegeas exhorte à une continuité dans les autres classes : "La question du nombre d'élèves est centrale. Sans forcément passer par du dédoublement, on demande une baisse des effectifs à tous les niveaux." Sur le papier, une mesure aussi simple que deux et deux font quatre ?

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