Comment l'enseignement du changement climatique fait petit à petit son nid à l'école
"Il faut donner des clés aux élèves pour qu'ils comprennent la complexité du climat. Aujourd'hui, on trouve des aberrations sur internet. En parler en classe, c'est faire en sorte qu'ils ne tombent pas dans des certitudes ou des théories complotistes." Pour David Boudeau, président de l'Association des professeurs de biologie et de géologie, l'école a un rôle clair à jouer dans la lutte contre le changement climatique. Face à l'urgence, les projets pédagogiques sur le sujet gagnent en popularité ces dernières années.
Exemple avec la Fresque du climat : depuis sa création en 2018, 300 000 élèves ont été sensibilisés aux causes et aux conséquences du changement climatique grâce à l'outil, selon l'association. Du lundi 25 au vendredi 30 mars, une semaine sur le thème "J'peux pas, j'ai climat" est organisée par l'Agence du service civique et l'Agence de la transition écologique (Ademe), en lien avec l'association Unis-Cité. En appui des enseignants, des jeunes engagés viennent animer de courtes séances de sensibilisation des élèves.
Dans les programmes scolaires, la sensibilisation aux enjeux environnementaux a fait son apparition dès 1977 dans sous l'appellation "éducation à l'environnement". A partir de 2004, on a parlé d'éducation au développement durable (EDD), selon un rapport parlementaire sur le sujet rendu public en décembre 2023, porté par les députées Francesca Pasquini (Nupes) et Graziella Melchior (Renaissance). "A la suite d'une lettre de saisine du ministère de l'Education nationale, adressée au Conseil supérieur des programmes en 2019, des évolutions notables ont été introduites dans tous les cycles", précise Anne-Françoise Gibert, référente pédagogique "culture scientifique et durabilité" du réseau Canopé, chargé de la formation des enseignants.
En fin de maternelle, comme le prévoit le programme (PDF), il est désormais attendu que les enfants commencent à "adopter une attitude responsable en matière de respect des lieux et de protection du vivant". En langage adapté aux tout-petits, cela signifie par exemple éteindre la lumière en sortant d'une pièce ou jeter un emballage en carton dans la bonne poubelle. En terminale, les trois thèmes abordés dans l'enseignement scientifique sont liés au changement climatique : "Science, climat et société", "Le futur des énergies" et "Une histoire du vivant".
Un besoin d'interdisciplinarité
Face aux effets de plus en plus visibles du changement climatique, l'urgence se fait ressentir. Au lycée, "on évoque de plus en plus les rapports du Giec et les différentes COP", illustre David Boudeau. Mais l'enseignant constate que les conséquences sur la biodiversité restent "trop peu" présentes dans les manuels. Il observe aussi que l'interdisciplinarité est difficile à mettre en œuvre, alors que les enjeux climatiques peuvent infuser dans toutes les matières enseignées. "Au collège, les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), créés durant la réforme de 2015, disparaissent progressivement, car on n'a plus les moyens de les assurer", regrette David Boudeau.
"Les disciplines manquent de lien entre elles, y compris sur l'éducation au développement durable."
Anne-Françoise Gibert, référente pédagogique du réseau Canopéà franceinfo
Des syndicats, comme SUD Education, relèvent par ailleurs un manque de cohérence dans les manuels scolaires. Ils dénoncent un "verdissement des programmes" et réclament une "refonte en profondeur des programmes scolaires, qui cesse de faire de la croissance un modèle économique incontournable". Le syndicat critique des "solutions technophiles" présentées "comme seules issues à la crise environnementale", ce que contestent les rapports du Giec, qui soulignent l'importance de la sobriété et de la réduction de la consommation d'énergies émettrices de gaz à effet de serre.
Du concret pour rendre l'urgence réelle
Pour intéresser les enfants aux enjeux climatiques, une approche concrète est indispensable, selon tous les interlocuteurs interrogés par franceinfo. Depuis le début des années 2000, les circulaires sur l'école "encouragent les chefs d'établissement et l'ensemble de la communauté éducative à mettre en place des projets pédagogiques" autour du développement durable, note le rapport de Francesca Pasquini et Graziella Melchior. Mais l'impulsion donnée à ces projets dépend de la sensibilité de l'école et de ses professeurs, ainsi que du temps et des moyens mis à leur disposition pour s'en emparer.
Benjamin Gentils, président de La Fabrique des communs pédagogiques, fait partie des fervents militants de l'école du dehors. L'association forme des cadres de l'Education nationale à cette pratique de l'enseignement en extérieur et son confondateur estime qu'"il n'y a pas à avoir un choix exclusif entre dehors et dedans, mais [que] l'extérieur reste une approche primordiale pour parler de l'éducation au développement durable". Les enfants peuvent ainsi aborder des questions environnementales de manière indirecte (faire des maths en comptant des insectes, par exemple), ou grâce à des activités directement liées aux enjeux climatiques.
Fin décembre, relate Benjamin Gentils, "dans une école à Bagnolet, des élèves ont réalisé des relevés de pollution grâce à un capteur. Ils doivent bientôt se rendre à la montagne et pourront comparer. On les met dans une position scientifique pour qu'ils prennent conscience des risques à proximité de chez eux, tout en abordant des notions du programme". Il assure que de plus en plus d'académies se montrent "intéressées" par l'initiative.
Dans celle de Poitiers, une demi-journée par semaine, près de 14 000 élèves ont classe dehors, dans la forêt, un parc ou encore la cour de récréation. Depuis la victoire municipale en 2020 de Léonore Moncond'huy (EELV), cette initiative d'éducation à la nature fleurit partout dans la préfecture de la Vienne. "On fournit à qui le veut un kit nature, comprenant une bâche pour s'asseoir en extérieur, des outils de jardinage ou encore des outils d'observation de la nature", illustre Hélène Paumier, adjointe éducation à la mairie de Poitiers, à laquelle chaque kit coûte entre 600 et 800 euros.
Une formation des profs insuffisante
Pour aborder aisément le sujet du changement climatique en classe autant que pour monter des projets pédagogiques, les enseignants sont en quête de connaissances. Dans leur rapport, Francesca Pasquini et Graziella Melchior pointent un accompagnement largement insuffisant des professeurs, qu'il s'agisse de leur formation initiale ou continue. Dans le premier degré en particulier, "les enseignants ont du mal à s'engager, car ils ont moins cette culture scientifique" sur les enjeux climatiques, note Anne-Françoise Gibert. Seuls 14% des professeurs des écoles ont reçu une formation universitaire scientifique, selon une étude de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies publiée en 2020 (PDF).
S'il existe de nombreuses ressources sur des plateformes destinées aux enseignants, comme Eduscol, Guislaine David, co-secrétaire générale du syndicat SNUipp-FSU, estime que la consultation de "fiches techniques dans l'urgence" ne peut pas se substituer à une formation au contact de professionnels. Selon Francesca Pasquini, les professeurs ressentent in fine "un manque de légitimité".
Pourtant, tous peuvent être concernés par les questions liées au changement climatique. Autant qu'un enseignant de SVT ou de physique-chimie, "un professeur de lettres est tout aussi légitime à en parler durant son cours", plaide Anne-Françoise Gibert. Durant le cycle 4 (5e, 4e et 3e), le thème "Imaginer des univers nouveaux" en français peut, par exemple, être une porte d'entrée. Signe que la transition écologique s'immisce dans toutes les matières, la technologie et l'enseignement moral et civique intègreront ses enjeux dès la rentrée 2024, a annoncé le ministère en juin.
Les objectifs d'une sensibilisation aux enjeux environnementaux à l'école sont de taille : réduire l'éco-anxiété des élèves, lutter contre la désinformation climatosceptique en ligne et, bien sûr, en faire des citoyens responsables. "Plus tôt on les sensibilise, plus tôt ils auront une conscience et pourront agir sur leur environnement", souligne Guislaine David. "Il ne faut pas oublier qu'ils peuvent devenir des décideurs plus tard : ingénieur, chef d'entreprise, responsable politique...", se projette même Francesca Pasquini.
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
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