Comment le conflit social sur les retraites a permis de revigorer le syndicalisme étudiant
Présence massive dans les cortèges, universités bloquées, participation aux piquets de grève des travailleurs... Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, et particulièrement depuis l'usage du 49.3 pour faire passer le texte à l'Assemblée mi-mars, la jeunesse est sur tous les fronts. Pas moins de 500 000 étudiants et lycéens ont notamment battu le pavé le 23 mars, selon les organisations syndicales. Cinq jours plus tard, l'Union étudiante affirmait sur Telegram que 85 écoles et universités étaient "mobilisées", tandis que 450 lycées étaient bloqués.
L'image de nouvelles générations "dépolitisées" en prend pour son grade. En coulisse, les syndicats étudiants ont aidé à rajeunir les troupes en multipliant les appels à l'engagement et en structurant la mobilisation. Surtout, ils se sont affichés globalement unis dans ce combat contre le recul de l'âge légal à 64 ans. Parmi eux, trois apparaissent comme des leaders : la Fage (le plus réformiste, qui revendique 300 000 adhérents), l'Union nationale des étudiants de France (Unef, le syndicat historique) et l'Union étudiante (le petit nouveau).
Cette dernière, créée il y a quelques semaines, se veut plus radicale. Symbole d'une mutation qui s'est opérée ces derniers mois, elle réunit l'Alternative, fondée il y a six ans, et une quinzaine de sections dissidentes de l'Unef, minée par des luttes intestines. Une enquête du Monde (article pour les abonnés) a révélé début avril qu'une partie du bureau national dénonce des violences et une direction repliée sur elle-même.
"On veut capitaliser sur le conflit social"
Plus de deux semaines après la promulgation de la réforme des retraites, les principales organisations syndicales étudiantes, interrogées par franceinfo, veulent croire que le mouvement ne s'essoufflera pas, à commencer par le grand rendez-vous du 1er-Mai. "On appelle à un déferlement. On veut que ce soit une date forte du côté des étudiants", prévient Eléonore Schmitt, porte-parole de l'Union étudiante. "C'est important pour nous d'être présents car nous sommes les travailleurs de demain", rappelle Imane Ouelhadj, présidente de l'Unef. Le porte-parole de la Fage, Félix Sosso, affirme de son coté vouloir "marquer le coup" et souhaite aussi profiter de la fête du travail pour remettre le sujet des bourses au cœur du débat.
Les annonces gouvernementales en faveur de l'éducation n'y font rien. Une enveloppe de 500 millions d'euros a été débloquée fin mars par la ministre de l'Enseignement supérieur pour la rentrée de septembre, mais les concertations doivent se poursuivre jusqu'à l'été pour une réforme structurelle du système d'aides aux étudiants. "Cette annonce a été faite juste après le 49.3 et alors que nous étions beaucoup dans la rue... En continuant à répondre présent dans les cortèges, on maintient la pression" sur le sujet, juge Imane Ouelhadj.
Au-delà des retraites et de l'échéance imminente des bourses, les forces majeures du syndicalisme étudiant voient plus loin. "On veut capitaliser sur le conflit social et donner un débouché à cette colère-là", argue Eléonore Schmitt. D'ici la rentrée prochaine, l'Union étudiante lancera une grande campagne de syndicalisation pour donner envie aux jeunes de s'engager dans la durée. Du côté de l'Unef et de la Fage, on constate d'ores et déjà une hausse des adhésions.
"Il y a aussi des villes, comme Perpignan, où l'Unef renaît de ses cendres. Des étudiants se mettent à recréer des sections locales alors qu'elles n'étaient plus actives depuis des années."
Imane Ouelhadj, présidente de l'Unefà franceinfo
Outre les chiffres, la séquence des retraites aura, malgré elle, permis de donner "une image positive du syndicalisme auprès des jeunes", juge Félix Sosso. "Pendant le Covid-19, il y a aussi eu une grosse rupture entre les étudiants et la fac. A force d'être restés chez eux, certains n'identifiaient plus les structures présentes sur le campus", explique le porte-parole de la Fage.
Une "mécanique de solidarité"
Si ce n'est évidemment pas la première fois que les étudiants investissent le terrain social, une bascule s'est opérée dans ce conflit social lorsque le 49.3 a été dégainé par le gouvernement. "Il y a eu des mobilisations importantes lors des récents mouvements sur les retraites, ou encore la loi travail. Mais c'était effectivement moins marquant", constate Robi Morder, politologue et président du Groupe d'études et de recherche sur le mouvement étudiant (Germe).
"Depuis le XIXe siècle, cette dimension est constante chez les étudiants : dès que l'on porte, selon eux, atteinte à la démocratie et aux libertés, ils se soulèvent."
Robi Morder, spécialiste des mouvements étudiantsà franceinfo
La multiplication de liens directs avec les travailleurs autour des piquets de grève constitue l'autre particularité de la mobilisation étudiante actuelle, qui n'est pas sans rappeler Mai-68. "Il existe aujourd'hui une plus grande porosité entre ces deux groupes. A l'université, les enfants de salariés sont de plus en plus nombreux. La mécanique de solidarité n'est pas seulement idéologique, elle répond à des phénomènes sociaux extrêmement concrets", analyse Robi Morder.
Etudiants, mais aussi travailleurs précaires
Selon la dernière enquête sur les conditions de vie des étudiants, réalisée en 2020 par l'Observatoire national de la vie étudiante, 40% des étudiants exercent, en marge de leurs cours, une activité rémunérée pendant l'année universitaire. Imane Ouelhadj explique que, depuis le début des manifestations en janvier, ces jeunes "prennent part aux cortèges étudiants la semaine et défilent avec leur syndicat professionnel le samedi".
Cet emploi étudiant est décrit comme plus précaire et moins protecteur que par le passé. "Avant, on travaillait comme surveillant dans un collège, c'était adapté à l'emploi du temps et même comptabilisé pour la retraite. Aujourd'hui, ce sont les plateformes de livraisons qui emploient une main d'œuvre scolarisée, avec le statut d'autoentrepreneur", détaille Robi Morder.
Dès lors, ces jeunes participent plus vite aux batailles syndicales, de quoi provoquer une forme de désenchantement lui aussi précoce. "Quand on reprend les témoignages d'étudiants dans les années 1950 et 1960, ils avaient la conviction que faire des sacrifices durant leur jeunesse leur offrirait des lendemains meilleurs, relate le politologue. Désormais, le ressenti majoritaire, c'est que l'avenir n'est pas assuré".
Des dissensions sur la méthode
Dans ce contexte, les syndicats étudiants ont tout intérêt à faire front commun pour se présenter comme des représentants de la jeunesse les plus légitimes possible. Mais le conflit social autour des retraites illustre aussi des décalages, notamment sur les modes d'action. "Ce n'est plus le principe d'un syndicalisme étudiant qui est rejeté mais le 'comment' ?", note Robi Morder.
"Quelques jours avant le 49.3, on appelait à la radicalité et aux blocages des facs. L'Unef estimait qu'il fallait faire preuve de créativité. Selon moi, cela a été un aveu de faiblesse de leur part, on est dans un moment où il faut des marqueurs politiques forts", martèle Eléonore Schmitt. Du côté de la Fage, Félix Sosso ne perçoit pas le blocage comme une solution : "Evitons de faire la course à la radicalité."
"On a vu à l'Assemblée nationale que la 'bordélisation' de certains députés LFI avait ses limites."
Félix Sosso, porte-parole de la Fageà franceinfo
"Il y a une nécessité dans le syndicalisme étudiant d'avoir une unité. C'est ce qu'on a essayé de faire durant cette réforme, même si on n'était pas d'accord sur tout", rappelle la présidente de l'Unef, pour qui l'éparpillement ne sera jamais bénéfique. "Il faut quand même un syndicat majoritaire qui soit en mesure d'influencer les politiques publiques, soutient, elle, la porte-parole de l'Union étudiante. On a vocation à devenir le premier syndicat et dépasser la Fage, qui défend un apolitisme qu'on ne comprend pas."
Malgré les divergences de points de vue, le syndicalisme étudiant garde ses objectifs fondamentaux communs : se battre pour des conditions de vie dignes et se positionner sur les sujets de demain, comme les retraites. Pour Robi Morder, "on en revient à la charte d'Amiens [adoptée en 1906 par la CGT] et la double besogne du mouvement syndical : le quotidien et l'avenir".
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