Comment parler de la Shoah aujourd'hui ?
Dans l'avion qui l'emmène en Pologne, Chloé semble un peu impatiente. Avant de préparer ce voyage, elle n'avait pourtant jamais entendu parler de la Shoah : "Je savais même pas ce que ça voulait dire Shoah ". Depuis, il y a eu un travail avec un ancien déporté notamment, ce qui n'a pas empêché certains élèves de son lycée professionnel de refuser de venir : "pour eux c'est pas normal qu'on aille pour des personnes juives et pas pour des personnes noires aussi qui ont connu l'esclavage ".
L'esclavage est pourtant au programme, rappelle Thierry Claes, leur professeur d'histoire, qui doit lutter contre l'influence des négationnistes et autres complotistes : "J'ai déjà entendu que les programmes d'histoire sont fait par des juifs... " Genre de choses qui semble désuette, lorsque l'on pénètre dans l'immense enceinte plane et froide d'Auschwitz-Birkenau.
"Elles sont parties, par la cheminée, le commando du ciel"
De ces baraques en bois il ne reste qu'une forêt clairsemée de cheminées en brique, quelques blocks de dortoirs ont toutefois été reconstitués, et c'est important de le savoir, souligne le guide Thierry Flavian. Il explique aux jeunes qu'ils devront décrire ce qu'ils ont vu, "ça fait taire tous ceux qui essayent de vous opposer des raisonnements négationistes et révisionnistes ".
Ce qui fait taire aussi ce type de raisonnements ce sont les mots d'Yvette Lévy, 88 ans, rescapée du camp où elle revient témoigner. Elle raconte ses trois mois sans se laver, la vermine et les poux, la dissentrie qui fait qu'on arrive toujours trop tard aux latrines. Et puis les réponses des co-détenues lorsqu'elle et ses amies les interrogent sur le sort d'autres déportées : "Souvent elles répondaient non non elles sont parties, par la cheminée, le commando du ciel, mais vous aussi vous y sortirez, c'est votre destinée, nous on comprenait pas bien au début quand on est arrivé ".
"L'enfer, on est dedans là"
Comprendre ce qui dépasse l'entendement, dans les longues allées du camp, Constantin est comme sonné : "C'est terrible de voir ça de ses propres yeux, l'enfer, on est dedans là ". Après être passé devant les ruines de la chambre à gaz numéro 5, Chloé aussi accuse le coup : "ça me donne des frisson s".
Stupeur et prise de conscience, encore accrue quand on pénètre en sous-sol, dans ce qui a servi de première chambre à gaz des sites d'Auschwitz. "Les enfants mourraient les premiers ", explique la guide. Une horreur qui s'incarne peut-être plus encore face aux montagnes d'effets personnels ayant appartenu aux déportés exposés derrière des vitrines : montagnes de valises, de chaussures d'enfants et même de cheveux rasés dès l'arrivée.
"Mes sentiments sont profondément atteints, maintenant que j'ai vu"
A la sortie de ces salles, le malaise est profond, quasi physique, et les esprits durablement marqués. Constantin en est sûr : "je suis écrasé, écrasé, c'est un cimetière quoi, c'est des tombes, mes sentiments sont profondément atteints, maintenant que j'ai vu, que j'ai senti, c'est impossible d'oublier ç a".
L'oubli c'est la hantise d'Yvette Lévy. Elle et ses amies déportées s'étaient fait la promesse de témoigner. Les plus de 200 visites scolaires qu'elle a faite à Auschwitz donnent un avenir à cette promesse.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.