Rentrée 2022 : comment faire si votre enfant souffre de phobie scolaire et redoute de retrouver sa salle de classe ?
En France, un enfant sur cinq éprouve de l'anxiété à l'idée de retourner à l'école. Il arrive que cette angoisse se transforme en "refus scolaire anxieux", une phobie qui peut éloigner l'élève de son établissement durant des mois.
La rentrée scolaire, jeudi 1er septembre, approche à grands pas. Si certains élèves trépignent à l'idée de retrouver leurs camarades de classe, pour d'autres, le mois de septembre relève du parcours du combattant. Impossible de passer le portail de l'établissement sans avoir le ventre noué, des migraines, voire des crises d'angoisse.
Ce refus d'aller en classe n'est pas à prendre à la légère. En France, un élève sur cinq est anxieux par rapport à l'école (document PDF) et la "phobie scolaire" touche environ 1 à 2% des enfants scolarisés, représentant 5% des consultations en pédopsychiatrie, selon les données recueillies par Laelia Benoit, pédopsychiatre et chercheuse à l'université de Yale (Etats-Unis). Avec la crise du Covid-19, le phénomène a pris de l'ampleur. L'Association phobie scolaire (APS) a vu le nombre de ses adhérents grimper de façon alarmante depuis 2019. "Nous avons accueilli 150 personnes par semaine depuis la fin du deuxième confinement jusqu'à maintenant", observe Odile Mandagaran, sa présidente. Comment faire face au problème si votre enfant est dans cette situation ? Franceinfo a posé la question à plusieurs spécialistes.
Qu'est-ce que la phobie scolaire ?
En psychiatrie, la phobie scolaire se traduit par un "refus scolaire anxieux". Cette notion fait référence à des "enfants qui, pour des raisons irrationnelles, refusent d’aller à l’école et résistent avec des réactions d'anxiété très vives ou de panique quand on essaie de les y forcer", selon la définition du neuropsychiatre Julian de Ajuriaguerra en 1974. Le plus souvent, ce trouble recouvre "de nombreuses manifestations telles que l'anxiété, le fait d'arriver en retard au cours et l'absentéisme partiel ou complet", complètent Laelia Benoit et Marie Rose Moro, pédopsychiatres à La maison de Solenn, à Paris, et coautrices de La phobie scolaire, retrouver le plaisir d'apprendre (éd. Vigot, 2020), avec Aurélie Harf.
Il est toutefois important de différencier la phobie scolaire de l'anxiété, beaucoup plus courante. Cette dernière concerne des jeunes "stressés avant la rentrée, ou par le fait de changer de classe", précise Laelia Benoit. "Ces comportements sont fréquents et n'entraînent pas de gêne durable pour l'enfant, rassure la pédopsychiatre. Deux ou trois semaines après la rentrée, ces élèves n'ont plus d'anxiété."
Avec sa collègue Marie Rose Moro, elles ont constaté que l'origine socioculturelle des enfants était déterminante pour établir un bon diagnostic. "On parle beaucoup plus de phobie scolaire dans Paris qu'en Seine-Saint-Denis, où les mots d'échec scolaire et de déscolarisation reviennent plus souvent", détaille Marie Rose Moro, faisant référence à une étude menée par Laelia Benoit sur les deux territoires. Elle déplore cette forme de "deux poids, deux mesures".
"Quand un bon élève ne va pas à l'école, on parle de suite de phobie scolaire, alors que quand c'est un mauvais élève, non."
Marie Rose Moro, pédopsychiatreà franceinfo
Quelles sont les causes de la phobie scolaire ?
Elles sont multiples et dépendent aussi de l'âge de l'enfant. "La phobie scolaire est très complexe, explique Marie Rose Moro. Soit l'enfant ne peut pas envisager de quitter sa maison - ce qui est arrivé après le Covid par exemple -, soit il est fragile, déprimé, anxieux ou préoccupé par ce qu'il se passe à la maison." Selon les spécialistes, la cause la plus fréquente est le harcèlement scolaire. La moitié des élèves qui présentent une phobie scolaire ont été victimes de harcèlement ou de violences à l'école, d'après une étude en cours sur 2 000 parents d'élèves menée par Laelia Benoit.
En primaire et au collège, certains troubles peuvent également rendre la vie à l'école plus difficile. C'est le cas des troubles de l'apprentissage, appelés "dys" (dyslexique, dyspraxique...), des troubles du spectre autistique ou de l'attention, avec ou sans hyperactivité. Cela ne signifie pas qu'un enfant exposé à ces troubles développera forcément une phobie scolaire. Mais ces jeunes "sont en décalage, risquent d'être mis de côté par les autres enfants, d'être harcelés" ou de mal vivre leurs journées à l'école, signale Laelia Benoit.
Enfin, l'angoisse liée aux résultats et à la performance, plus présente chez les lycéens, peut aussi engendrer une phobie scolaire. "Dans ce cas-là, on peut préconiser d'arrêter d'évaluer l'adolescent pendant un moment", recommande Marie Rose Moro.
"L'école française est axée sur la performance et peut être très punitive dans sa manière de faire les choses."
Marie Rose Moro, pédopsychiatreà franceinfo
Que faire pour la prévenir ?
La rentrée de septembre est synonyme de changements. Pour les enfants anxieux, Marie-Christine Combes Miakinen, référente Ile-de-France de l'Association phobie scolaire, conseille de préparer la rentrée en famille, d'acheter les fournitures scolaires ensemble. En tant que parents, il faut "essayer de contenir sa propre angoisse pour ne pas en rajouter".
Laelia Benoit préconise même d'organiser une sorte de "répétition générale". Comprendre : mettre un réveil, prendre son petit déjeuner, faire son cartable, aller jusqu'à l'école accompagné de ses parents ou de la fratrie. Ensuite, l'enfant peut faire une activité plaisir en famille.
Autre conseil prodigué par la pédopsychiatre : se coordonner avec les amis et se présenter devant l'établissement une demi-heure avant le début de la classe. Parents d'élèves et enfants peuvent ainsi discuter de leurs vacances et prendre le temps de se "réapprivoiser". Une manière de "transformer l'école en un lieu plus chaleureux où on a plaisir à se retrouver et à se donner des nouvelles", souligne Laelia Benoit.
Quels sont les signes qui peuvent vous alerter ?
Avant d'en arriver à la phobie scolaire, les parents (ou le corps enseignant) peuvent déceler des signes d'anxiété, comme des retards en classe, des absences, des visites fréquentes à l'infirmerie ou des maux de tête ou de ventre. "Surtout chez les plus petits, souligne Laelia Benoit, qui ont du mal à dire qu'ils ont peur ou qu'ils sont angoissés."
Il est important de repérer la fréquence de ces symptômes. Dans les cas de phobie scolaire, ils se répètent le dimanche soir, le lundi matin ou à la fin des vacances scolaires, quelques jours avant le retour à l'école. Généralement, des pics sont observés au retour des congés de la Toussaint et de Noël.
Que faire si votre enfant refuse d'aller à l'école ?
La première chose à faire est de prendre rendez-vous avec votre médecin généraliste pour vérifier qu'il n'y a pas un souci de santé (problème de vue, anémie...). Les parents peuvent également solliciter un rendez-vous avec l'enseignant et un bilan avec un orthophoniste. Une fois ces pistes écartées, Laelia Benoit préconise aussi d'échanger avec l'enfant, "voire lui faire des suggestions, parce que lui-même n'a peut-être pas compris" d'où vient le problème.
En cas d'absences répétées ou d'une incapacité de l'élève à aller à l'école, Marie-Christine Combes Miakinen recommande de couvrir ces absences avec des certificats médicaux. Et d'éviter à tout prix de le forcer.
"C'est comme un burn-out au travail. On ne va pas forcer l'adulte à assister au comité de direction tous les lundis."
Marie-Christine Combes Miakinen, de l'Association phobie scolaireà franceinfo
Il faut également créer "un triangle entre le pôle éducation, le pôle santé et le pôle famille, avec l'enfant au milieu", prône la référente de l'APS. Et si les parents sentent que le dialogue est difficile avec l'école, elle leur conseille "d'aller parler à l'équipe éducative accompagnés d'un parent d'élève élu. Il faut aussi repérer qui est l'allié, la personne avec laquelle le courant passe le mieux."
Comment et par qui vous faire aider ?
Dans un premier temps, les parents peuvent s'aider de la littérature jeunesse ou de dessins animés et de films d'animation. Il existe également des associations qui permettent de les aiguiller en fonction du problème rencontré par leur enfant.
Si les angoisses ou la phobie sont installées, il ne faut pas hésiter à consulter un pédopsychiatre qui connaît bien la question, ou un praticien qui propose des thérapies comportementales comme la sophrologie, la méditation, l'art-thérapie... Tout ce qui peut aider l'enfant à mieux cerner ses émotions et à les exprimer.
Toutefois, obtenir une consultation remboursée par la Sécurité sociale ou dans le secteur public peut être difficile. Dans les centres médico-psychologiques (CMP), le délai d'attente minimum est de six mois, selon un rapport sénatorial publié en janvier 2020. Dans le secteur libéral, sur ordonnance du médecin traitant, des séances chez un psychologue, référencé sur l'annuaire du dispositif Monpsy, peuvent être remboursées, dans la limite de huit par an. Mais tous les praticiens n'ont pas adhéré à ce dispositif. Trouver un pédopsychiatre peut également être compliqué, car 14 départements en sont dépourvus, révèle le rapport du Sénat.
Du côté des parents aussi, le besoin d'être soutenu peut se faire sentir. "Pour protéger la cellule familiale, le mieux est de se faire aider" en consultant soi-même ou en prenant contact avec une association, insiste la présidente d'APS, Odile Mandagaran.
"La phobie scolaire est un vrai tsunami qui emporte toute la famille. Du jour au lendemain, tout s'effondre. Les parents se sentent jugés, culpabilisés."
Odile Mandagaran, présidente de l'Association phobie scolaireà franceinfo
Quelles sont les alternatives possibles si votre enfant ne veut plus être scolarisé ?
Pour trouver la solution la plus adaptée, il faut voir "l'enfant avant l'élève", rappelle Marie-Christine Combes Miakinen. Et ainsi réfléchir de manière concertée à ce qui lui conviendra le mieux. Si l'enfant refuse catégoriquement de continuer sa scolarité dans un parcours classique, ou qu'il est trop en souffrance pour le faire, il est possible de suivre des cours à distance avec le Cned. Le dispositif d'accompagnement pédagogique à l'hôpital ou à l'école (Apadhe) permet, lui, un retour progressif en classe. Mais il reste sous-exploité. Selon Marie Rose Moro, 3 à 4% des cas de phobie scolaire aboutissent à une hospitalisation.
Il existe également des alternatives comme le parcours "soins-études" (réservé aux adolescents et aux jeunes adultes), qui permet une hospitalisation, totale ou partielle, tout en suivant un enseignement. Mais dans le cadre de soins psychiatriques, cette option n'est disponible que dans 26 structures en France. Autre option, l'école de la seconde chance, un parcours de formation gratuit et destiné aux jeunes de 16 à 25 ans en décrochage scolaire.
Enfin, les parents peuvent se tourner vers des écoles spécialisées, privées. Mais ces solutions représentent un important budget pour les familles. L'APS a évalué à 300 euros par mois le coût en surplus pour les foyers dont un enfant est touché par une phobie scolaire.
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