Interdiction du téléphone portable au collège : cinq questions sur l'expérimentation lancée à partir de septembre
Nouvelle annonce du gouvernement contre les "écrans". "Près de 200 collèges" vont expérimenter l'interdiction totale des téléphones portables à partir de la rentrée, a annoncé la ministre démissionnaire de l'Education nationale, Nicole Belloubet, lors de sa conférence de presse de rentrée, mardi 27 août.
A ce jour, l'utilisation du téléphone portable est déjà interdite par la loi dans les écoles et les collèges depuis 2018. Mais pas le portable lui-même qui "doit être éteint et rangé dès l'entrée du collège", rappelle le ministère sur son site. Franceinfo revient en cinq questions sur les contours de cette annonce.
1 Quel est l'objectif de cette interdiction ?
En interdisant les téléphones portables au sein des collèges, le ministère espère "prévenir les violences en ligne, limiter l'exposition aux écrans et faire respecter les règles encadrant l'usage des outils numériques". Il souhaite notamment une "amélioration du climat scolaire" en limitant "le harcèlement en ligne" et la "diffusion d'images violentes" que permettent les smartphones ainsi qu'un effet sur les "résultats des élèves" en éliminant une source de distraction en classe.
Nicole Belloubet a notamment invoqué les conclusions de la commission sur les écrans, créée à l'initiative d'Emmanuel Macron, pour dresser un état des lieux des connaissances scientifiques sur les effets des écrans et formuler des recommandations d'usage, notamment à l'égard des plus jeunes. Des histoires tragiques comme celle de Lindsay, qui s'est suicidée en mai 2023 dans un contexte de harcèlement au collège, remettent aussi régulièrement le sujet du harcèlement et du cyberharcèlement dans l'actualité.
2 Comment va se passer cette expérimentation ?
L'expérimentation sera menée dans 199 collèges volontaires et concernera près de 50 000 élèves, a annoncé la ministre de l'Education nationale en conférence de presse. Mais Nicole Belloubet n'a pas communiqué les noms des établissements concernés : "La liste sera stabilisée au moment de la rentrée", selon le ministère.
En avril, Nicole Belloubet évoquait sur France Inter son souhait d'une "pause numérique au collège" qui consisterait à "déposer son portable à l'entrée" de l'établissement scolaire. Concrètement, "chaque établissement met en place son propre protocole pour organiser les modalités de la 'pause numérique' en son sein, en lien avec le département dont il dépend, notamment dans son volet logistique", précise le ministère.
"Les établissements qui le peuvent utiliseront du matériel déjà présent dans l'établissement (des casiers par exemple). Pour les autres, les conseils départementaux ont été sollicités afin de participer à l'achat de matériel (casiers dédiés, pochette anti-ondes, etc.)", explique le ministère de l'Education nationale à franceinfo. "L'Etat ne participe pas au financement de cette expérimentation."
3 Quelles seront les sanctions en cas de non-respect ?
L'expérimentation "nécessite la modification du règlement intérieur de l'établissement", souligne le ministère de l'Education nationale. Ce texte modifié "devra indiquer les modalités techniques et organisationnelles de cette expérimentation". Mais il ne précise pas quelles pourraient être les sanctions pour les collégiens qui ne respectent pas cette interdiction.
Sur son site, en cas de non respect de l'utilisation du téléphone, le ministère appelle à "une réponse adaptée, individuelle et graduée", qui "peut prendre la forme d'une punition scolaire (devoir supplémentaire, heure de retenue, etc.), d'une confiscation de l'appareil désormais autorisée par la loi ou, pour les cas les plus graves, d'une sanction disciplinaire prévue par l'article R. 511-13 du Code de l'éducation".
4 Cette expérimentation va-t-elle être généralisée ?
"La généralisation de cette 'pause numérique' devrait pouvoir intervenir dès le mois de janvier 2025", a annoncé Nicole Belloubet en conférence de presse. Un calendrier très précis pour une expérimentation qui n'a même pas encore commencé, s'indigne le proviseur Nicolas Bonnet, membre du syndicat de chefs d'établissement SNPDEN-Unsa.
"[Nicole Belloubet] annonce d'ores et déjà que l'expérimentation va être généralisée en janvier. Or, le principe d'une expérience, c'est de l'évaluer pour ensuite se poser la question de la suite."
Nicolas Bonnet, membre du syndicat SNPDEN-Unsaà franceinfo
"On passe notre temps à évaluer les élèves, mais on est incapables d'évaluer nos réformes et mesures", dénonce le chef d'établissement. "On trouverait ça très problématique politiquement qu'une ministre démissionnaire généralise quoi que ce soit", déplore également Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges.
Selon le ministère de l'Education nationale, les collèges volontaires seront "encouragés à évaluer les effets" de l'interdiction, "notamment sur le climat scolaire, le bien-être et la réussite scolaire des élèves", en prenant notamment en compte "le point de vue de tous les acteurs de la communauté éducative (élèves, parents d'élèves, personnels de l'établissement, collectivités de rattachement)".
5 Quelles sont les réactions des professionnels ?
Si l'objectif de lutte contre le cyberharcèlement est souvent considéré comme louable, les avis des professionnels vont de l'optimisme prudent à la critique d'une "usine à gaz" dispensable. Parmi les sujets d'inquiétude, ils évoquent la lourdeur du dispositif nécessaire pour empêcher le moindre téléphone de passer les grilles. "Pour s'assurer que les élèves ont bien tous déposé leur téléphone et qu'ils n'en gardent pas un second sur eux, cela demanderait de les contrôler strictement à l'entrée. Pour être efficace, il faudrait la même vigilance que dans les aéroports", soulignait Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat enseignant Snes-FSU, dans Le Figaro en avril.
Si l'interdiction impose de récupérer les portables à l'entrée de l'établissement, "elle demandera des moyens financiers des collectivités locales pour acheter des casiers sécurisés et du personnel pour surveiller la dépose et la récupération desdits téléphones", insiste Jérôme Fournier, secrétaire national du syndicat d'enseignants SE-Unsa. "Par ailleurs, la responsabilité des établissements sera encore plus engagée en cas de vol ou de dégradation."
Quelle que soit la méthode, si l'interdiction est généralisée, "ce sera une énième casquette qui s'ajoute [pour les chefs d'établissement] et qui ne correspond pas à notre corps de métier", redoute Marie Tamboura, principale de collège à Montreuil et membre de l'exécutif national du SNPDEN-Unsa. "On reste perplexe", résume Abdelkrim Mesbahi, président de la FCPE. Le représentant des parents d'élèves espère également que l'interdiction n'empêchera pas les collégiens d'apporter un téléphone avec eux sur le trajet vers l'école, en particulier pour les jeunes ruraux qui doivent faire de longs trajets.
"On n'a déjà pas un professeur dans chaque classe ! Ça doit être ça le vrai sujet de l'Education nationale, on n'a pas besoin de mesurettes."
Abdelkrim Mesbahi, président de la FCPEà franceinfo
Surtout, il n'est pas sûr que l'interdiction des téléphones au collège ait un effet notable sur le cyberharcèlement. "En général, le cyberharcèlement se déroule en dehors du temps scolaire, quand les enfants utilisent leur smartphone ou tablettes chez eux, potentiellement hors du regard des parents", rappelle Samuel Comblez, directeur des opérations de l'association e-Enfance/3018. Mais il estime que "toute expérimentation est bonne à prendre. Et moins on a d'outil numérique dans les mains, moins on a la tentation de harceler et de risque de s'exposer."
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