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Réforme du lycée professionnel : "Si on tombe sur une mauvaise entreprise, ça peut être un enfer", redoutent des lycéens face à l'idée de stages plus longs en entreprise

Des syndicats d'enseignants organisent jeudi une nouvelle journée de grève pour exiger le retrait d'un projet de réforme voulu par Emmanuel Macron. Qu'en pensent les premiers concernés ? franceinfo leur a posé la question devant un lycée du Val-d'Oise.
Article rédigé par franceinfo - Thomas Giraudeau
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Devant le lycée professionnel Gustave Eiffel d'Ermont (Val-d'Oise), les jeunes confient avoi reffectué des stages plus ou moins utiles. (THOMAS GIRAUDEAU / FRANCEINFO)

Une nouvelle journée pour se faire entendre. Après une première grève assez suivie le 18 octobre, les enseignants de lycées professionnels sont en grève. La grande majorité des syndicats d'enseignants des lycées professionnels, à l’exception de la CFDT, organisent jeudi 17 novembre une nouvelle journée de grève et des manifestations dans plusieurs villes pour exiger le retrait d'un projet de réforme voulu par Emmanuel Macron. Cet appel à la grève, qui devrait entraîner la fermeture de nombreux établissements, a été lancé par huit organisations dont les principaux syndicats du secteur.  

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Dans une rare alliance intersyndicale, ils dénoncent cette réforme de la voie professionnelle, lancée par Emmanuel Macron dès sa campagne présidentielle, et notamment l'augmentation prévue du temps de stages d'au moins 50% qui réduirait les heures d'enseignement général. Franceinfo a pu rencontrer ces lycéens, directement concernés, qui s'interrogent sur cette réforme et leur avenir.

"Quand on est jeune, on a des clichés en tête"

Comme Mathieu, qui, en classe de Seconde et de Première, a passé trois mois en stage avec les pompiers, la police municipale, la sûreté ferroviaire... Ses expériences ont fait grandir l'élève en Bac Pro Métiers de la Sécurité : il s'est confronté à la réalité du terrain. "Dans notre secteur, la sécurité. Quand on est jeune, on a des clichés en tête. On pense que ça va se passer comme dans les films. Et en fait, c'est pas du tout la même chose. Ca nous fait mûrir, on devient carré. Par exemple : comment gérer des conflits. On se dit que c'est facile, qu'on va arrêter la personne. Mais, en fait, sur le terrain, on va stresser, pas savoir quoi faire. On apprend des choses qu'on ne va pas forcément apprendre au lycée."

"En police municipale, j’ai fait des patrouilles, fait traverser des enfants, mis des contraventions. Et j’ai aussi été avec la brigade cynophile", complète Célia, une de ses camarades. Mathieu serait donc plutôt pour faire plus de stages : tous ceux qu'il a réalisé lui ont été utiles. Mais d'autres ont eu un peu moins de chances comme Dorian, en Bac Pro Métiers de l'Électricité. "Globalement, je suis bien tombé. J’ai travaillé avec un artisan, il m’a montré beaucoup de techniques, j’ai fait plein de tâches différentes : de l’éclairage, du tirage de câbles, des rénovations électriques. Mais durant quatre semaines, j’ai fait un autre stage dans une grande entreprise. Et là, ça a été beaucoup compliqué", regrette-t-il. 

"Ils n’avaient pas beaucoup de boulot à me donner. Je n’ai pas du tout fait d'électricité, mais de la rénovation de moquettes dans un bâtiment. J'ai juste décroché de la moquette du sol. Si on tombe sur une mauvaise entreprise, ça peut être un enfer"

Dorian, lycéen en Bac Pro Métiers de l'Électricité

à franceinfo

"On a besoin de ces bases avant d’aller en entreprise !"

Un bilan très mitigé, que partage également Kendra. Depuis deux ans, dans chaque entreprise où elle a pu passer, l'histoire se répète pour cette élève de Terminale en Bac Pro Gestion des Organisations. "J'ai fait un stage en auto-école. Je n’ai pas appris grand-chose à part faire du tri de papiers. A la SNCF, idem. J'ai fait du tri... Et pareil dans une autre entreprise. Donc augmenter les périodes de stage alors qu'on n'y apprend peu, je trouve cela un peu inutile ! J’apprends davantage ici, en cours."

Et puis, si les stages durent plus longtemps, il faudra trouver les entreprises qui accepteront d'encadrer les lycéens, les former une, deux, trois semaines de plus. Pour Charles, 17 ans, c'est déjà un casse-tête aujourd'hui : comment effectuer ses 5 mois de stage, répartis sur les 3 ans de son Bac Pro Métiers de la Sécurité ? "Souvent, soit on n’a pas de réponse, soit on nous répond au dernier moment qu'ils ne peuvent pas nous accueillir. On nous refuse aussi parce qu'on est mineur. C'est beaucoup plus dangereux. D'un point de vue légal, s'il nous arrive quelque chose, ça va poser beaucoup de problèmes. J’ai essuyé beaucoup de refus !", note-t-il. 

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Les jeunes rencontrés craignent aussi que les stages en plus remplacent une partie de leurs cours. On ne touchera pas aux enseignements généraux : le français, l'histoire-géo, les maths, assure la ministre déléguée à l'enseignement professionnel. Ce sont donc les cours techniques, en atelier, au lycée, qui pourraient faire les frais de la réforme. Or, "On y apprend le Code Pénal, les gestes de légitime défense. On apprend aussi les gestes de sécurité, à éteindre des feux", énumère Carlos, en Bac Pro Sécurité. "On a besoin de ces bases avant d’aller en entreprise !", réclame-t-il. 

Pour un de ses camarades, Esteban, s’il doit y avoir augmentation des stages, elle doit plutôt avoir lieu en classe de Première : "Avant, en Seconde, on est trop jeunes. Ca peut être dangereux. Moi, une fois, il y a eu un départ de feu dans l’hôpital où j’étais en stage. J’ai voulu partir dessus, sans réfléchir. J’étais pas assez mature encore. On a besoin des cours pratiques en Seconde, au lycée..." Et puis, en Terminale, c’est l’année du Bac, fait-il remarquer : "Ca veut dire beaucoup de révisions, de préparation des épreuves. Ce serait un risque pour l’obtention du diplôme."

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