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Des étudiants sans master à la rentrée s'inquiètent d'avoir "travaillé pendant trois ans pour rien"

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
A un peu plus d'un mois de la rentrée, de nombreux étudiants sont toujours sans master pour septembre 2021. (WESTEND61 / WESTEND61)

Ils ont validé leur licence mais à quelques semaines de la rentrée, ils ne savent toujours pas où et dans quelle filière ils vont poursuivre leurs études. Ces étudiants regrettent une sélection à l'entrée "aléatoire et injuste".

"J'ai le sentiment d'avoir travaillé trois ans pour rien", soupire Paul*, 21 ans et diplômé en licence de biologie à l'université de Strasbourg. Sur ses sept candidatures en master de biomédecine, il a essuyé quatre refus pour "dossier insuffisant par rapport aux autres candidatures" et il est sur liste d'attente pour les trois autres. 

Comme lui, des milliers de diplômés retiennent leur souffle en attendant de décrocher une place pour un master et ainsi poursuivre leurs études. Cette année, ce sont particulièrement les masters en droit, en psychologie et en Staps qui croulent sous des demandes supérieures à l'offre.

La ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a promis la création, pour la rentrée, de 14 000 places supplémentaires dans les filières sous tension dont entre 3 000 et 4 000 dans les masters. Mais des questions et des doutes demeurent sur l'avenir proche de Paul, Zoé*, Victor et Léa, toujours sans master, alors que les services administratifs des universités viennent de fermer pour l'été.  

"J'ai reçu environ 45 refus"

"J'ai postulé à 60 masters dans 17 universités différentes", calcule Victor, 25 ans et titulaire d'une licence en économie à l'université de Paris 1, d'une licence en droit à la faculté de Panthéon-Assas 2 et d'un diplôme universitaire en criminologie. "J'ai reçu environ 45 refus et je suis sur liste d'attente pour les autres", détaille-t-il, "énervé" car il ne connaît pas son rang dans ces listes. Est-il en 10e position ou en 100e ? Impossible de le savoir car les directeurs de master ne répondent pas à ses mails.

"Nous avons besoin d'un peu de stabilité après cette année chaotique et de ne pas être prévenus au dernier moment pour partir dans une université à l'autre bout de la France."

Victor, étudiant sans master

à franceinfo

Les refus essuyés par Victor sont "très stigmatisants" et "dégradants" pour ce dernier. "Quand vous lisez 'niveau insuffisant' alors que vous avez validé votre licence avec mention assez bien ou qu'en droit européen vous avez un 20/20 mais que vous êtes refusé dans le master du même nom, c'est décourageant", avoue le jeune homme. Parfois, c'est un laconique "capacité d'accueil atteinte" qui scelle le refus.

Son désarroi et sa colère, Victor les partage sur Twitter avec le mot-dièse #EtudiantsSansMaster dont il est à l'origine. Depuis, les témoignages d'étudiants dans le même cas affluent. Avec Léa, 21 ans, étudiante en droit social à l'université de Toulouse, ils ont monté une pétition "Stop au massacre de la sélection en master" qui a déjà reçu plus de la moitié des 5 000 signatures attendues. L'objectif ? Décrocher un rendez-vous avec Frédérique Vidal. 

"Traiter 24 000 dossiers, c'est difficile"

Zoé* a, elle aussi, écrit une lettre ouverte à son ministère de tutelle restée sans réponse depuis le 21 juin. Cette étudiante de 23 ans, titulaire d'une licence en droit à la faculté d'Aix-en-Provence (Paca), y lance un "cri d'alarme", au nom de tous les étudiants qui subissent cette sélection à l'entrée en master.

Depuis, avec son compte Twitter @Sans_Master_, Zoé relaie la détresse étudiante. "Certains ont des CV copieux avec des stages, des diplômes parallèles, du bénévolat, un projet professionnel clairement défini, d'autres se sont accrochés, ont remonté leur moyenne et ont obtenu leur diplôme et tous essuient rejet sur rejet", constate-t-elle. L'étudiante a postulé à une vingtaine de masters en Paca mais aussi à Paris et Strasbourg.

"Les professeurs nous disent que s'il y a une place à prendre il faut la prendre tout de suite même si ce n'est pas notre premier choix."

Zoé, étudiante sans master

à franceinfo

Zoé assure que dans sa faculté de droit, "il y a 24 000 candidatures pour 1 150 places disponibles". De quoi créer "des embouteillages monstres". Le doyen de la faculté de droit et de sciences politiques d'Aix-Marseille, Jean-Philippe Agresti, reconnaît dans La Provence (article payant) que "traiter 24 000 dossiers en quelques semaines, c'est très difficile". Pour ne rien arranger, l'étudiante ne s'attend pas à recevoir une réponse avant mi-septembre, comme certains de ses camarades l'année dernière.

En septembre 2020, ce sont 193 420 étudiants qui se sont inscrits en première année de master LMD (licence-master-doctorat), de master MEEF (dédié aux métiers de l'enseignement) et de master ingénieurs, selon le ministère de l'Enseignement supérieur. Mais cette année, professeurs et étudiants redoutent l'afflux d'inscriptions dû au baby-boom de 2000, où il y a eu 30 000 naissances de plus qu'en 1999, selon l'Insee, et donc un nombre potentiel de candidats plus élevé que les années précédentes. 

"Dans le flou total"  

Ce grand nombre de candidatures engendre une sélection plus forte. Depuis la réforme de l'entrée en master en 2016, les universités ont pris la main sur la sélection. Résultat, aujourd'hui, elles ont toutes défini leurs critères de choix et fixé leur capacité d'accueil, selon une évaluation parlementaire publiée en mai 2021. Mais ce rapport pointe aussi une disparité dans les procédures de candidatures, un personnel administratif en sous-effectif et des délais de traitement trop courts et chevauchant le calendrier de correction des examens.

Zoé, elle, ne pensait pas qu'avec un 18/20 en droit des libertés, sa candidature serait refusée en master du même nom à Montpellier. 

"Cette sélection est aléatoire, arbitraire et injuste."

Zoé, étudiante sans master

à franceinfo

Motivée, la jeune femme guette, "dans le flou total", son avancée sur les longues listes d'attente "mises à jour manuellement une fois par semaine par le responsable pédagogique". Paul, lui, ne sait toujours pas pourquoi il est passé de la 56e place à la 62e sur une de ses listes d'attente. Il comprend encore moins pourquoi un de ses amis qui avait une moyenne inférieure à la sienne a été accepté en master depuis mai et lui non. Quant à Léa, elle, pense que "dès qu'une place se libère, ils font un nouveau choix" enlevant toute possibilité de se raccrocher à un positionnement dans la liste.

"Le ministère n'a pas anticipé tout ça"

Sans réponse, les étudiants "démunis" multiplient les candidatures à des masters de second choix, bloquant ainsi des places et plongeant leurs camarades dans d'interminables listes d'attente. "Et nous, nous ne savons pas quoi leur dire", avoue Alexandre Mayol, vice-doyen de la faculté de droit à l'université de Lorraine, contacté par franceinfo.

"Il n'y a aucune harmonisation ou synchronisation de la sélection entre les différents masters et encore moins de coordination sur les places disponibles entre les universités."

Alexandre Mayol, vice-doyen de la faculté de droit de Lorraine

à franceinfo

Le maître de conférence pointe également "un problème de concordance entre le nombre de places en licences et celui en masters, ainsi qu'un manque de personnel et de salles pour enseigner". "J'ai le sentiment que le ministère n'a pas anticipé tout ça", se désole le vice-doyen, qui ne sait même pas combien d'étudiants seront réellement présents à la rentrée alors que "virtuellement" son master est complet.

"Cette réforme est catastrophique"

Autre conséquence de cette sélection : l'explosion des recours des étudiants sans master. La loi de 2016 leur garantit un "droit à la poursuite d'études" et depuis le nombre de recours est passé de "4 043 en 2017 à 12 050 en 2020", selon un rapport du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur d'avril 2021. Contacté par franceinfo, le ministère de l'Enseignement supérieur précise que seules "7 103 saisines étaient recevables et 2 845 d'entre elles ont donné lieu à au moins une proposition d'admission". 

Paul* fait partie de ceux qui ont tenté un recours auprès du rectorat. Sauf qu'il attend toujours son attestation de réussite de licence et une des lettres de refus d'un master pour monter son dossier. "Pour les avoir, il faut s'accrocher", regrette-t-il. Il ne lui reste plus qu'une semaine sur les deux allouées pour déposer son recours. Car les modalités de saisine se sont durcies en mai, en pleine période de candidatures.

Dorénavant, il faut avoir fait non plus trois mais cinq demandes et dans au moins deux spécialités différentes. "Cette réforme est catastrophique", soutient Angèle Delpech, vice-présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), contactée par franceinfo.

"Beaucoup d'étudiants n'étaient pas au courant, faute de communication de la part des rectorats. Aujourd'hui, nous voyons arriver des étudiants qui n'ont pas de place en master et ne peuvent pas faire de recours du fait des nouvelles règles."

Angèle Delpech, vice-présidente de la Fage

à franceinfo

Angèle Delpech dénonce un "cercle vicieux" instauré par la loi de 2016 et renforcé par cette reforme du recours qui va encore plus pousser les étudiants "angoissés à l'idée de ne pas avoir d'avenir" à postuler dans des masters qui ne leur conviennent pas. 

"Un cocktail explosif pour septembre"

Pour tenter de calmer la colère des étudiants, la ministre Frédérique Vidal a assuré le 9 juillet que des places supplémentaires seraient créées et financées de manière "pérenne" lors de sa conférence de presse sur la rentrée 2021. La plateforme Trouvermonmaster.gouv.fr devrait aussi être réformée afin de donner "une visibilité complète des places disponibles"

Une déclaration qui ne rassure pas pour autant Anne Roger, secrétaire générale du Syndicat national de l'enseignement supérieur, le Snesup-FSU, contactée par franceinfo. "Ces 4 000 places vont être financées au rabais. Il n'y a aucun poste clairement affecté, nous ne savons pas où ils vont être créer, ni quand, ni qui va les créer", s'interroge-t-elle.

"Il n'y a eu jusqu'à présent aucun recrutement à la hauteur de la hausse démographique et de fait ça va créer un énorme embouteillage."

Anne Roger, secrétaire générale du Snesup-FSU

franceinfo

Une situation qui augure une rentrée "compliquée" selon la syndicaliste : "Avec tous les décrets de la loi Recherche qui vont entrer en application et les étudiants sans master, c'est un cocktail explosif qui s'annonce pour septembre." 

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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