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Cinq questions pas si bêtes sur l'apprentissage de la lecture en France

Dans "L'Obs", le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, appelle à une "pédagogie explicite, de type syllabique" et non "globale" pour la lecture en CP. Comment apprend-on à lire aujourd'hui en France ? La proposition du ministre est-elle pertinente ?

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
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Publié
Temps de lecture : 9min
Un maître d'école corrige les exercices d'élèves de CP à l'école Arthur-Rimbaux d'Andrézieux-Bouthéon (Loire), le 29 novembre 2010.  (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

A une semaine de la rentrée des classes, le débat sur l'apprentissage de la lecture est de nouveau relancé. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a esquissé une nouvelle réforme sur le sujet dans un entretien à L'Obs, jeudi 24 août. "Pour la lecture, on s'appuiera sur les découvertes des neurosciences, donc sur une pédagogie explicite, de type syllabique, et non pas sur la méthode globale, a avancé le ministre. Tout le monde admet aujourd'hui qu'elle a eu des résultats tout sauf probants." Méthode "syllabique" contre méthode "globale" : le débat est bien connu des parents d'élèves et de l'opinion publique en France. Mais que signifient ces termes ? Sont-ils encore d'actualité ? Avant la rentrée scolaire, franceinfo vous donne des éléments de réponse.

Comment ça marche la méthode syllabique ?

Dans l'apprentissage de la lecture, la méthode syllabique consiste à reconnaître les lettres dans un mot, à les lier pour former des syllabes, puis des mots. Au sens large, il s'agit d'un "enseignement explicite des relations entre les lettres et les sons", résume Roland Goigoux, professeur à l'université Clermont-Auvergne et chercheur en sciences de l'éducation. C'est un "enseignement du déchiffrage" de chaque mot, poursuit-il.

Deux approches sont possibles dans ce sens élargi de la méthode syllabique. L'enseignant peut utiliser la méthode "b.a.-ba" : l'enfant apprend le son que fait chaque lettre ("b" et "a"), puis chaque ensemble de lettres ("ba"), et forme ainsi des mots. C'est la méthode graphémique : l'élève part des lettres (les graphèmes) pour arriver aux sons. L'autre approche syllabique, phonémique cette fois, fait le pari inverse : elle part du son d'une lettre ou d'un petit ensemble de lettres (le phonème) pour en apprendre ensuite l'écriture.

La méthode syllabique stricte "rajoute deux contraintes aux enseignants", poursuit Roland Goigoux. Les enfants n'ont pas le droit de mémoriser des mots globalement, c'est-à-dire sans comprendre chacune de ses lettres ou ensemble de lettres – et leurs sons. "Et les textes donnés à lire aux enfants doivent être 100% déchiffrables", poursuit le chercheur. Cela signifie que chaque élève doit connaître toutes les lettres ou ensemble de lettres du texte, et les sons qu'ils forment.

Et la méthode "globale", c'est quoi alors ?

Cette approche, souvent décriée par les politiques, a été particulièrement utilisée en France entre 1975 et 1985, selon Roland Goigoux. L'idée serait née du travail d'une institutrice, "Madame C. Rouquié", dans les années 1920, rapportent Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard dans la revue Le Français aujourd'hui. Le chercheur Jean Foucambert a ensuite repris l'idée, prônant une méthode "idéovisuelle" pour apprendre à lire.

Avec d'autres chercheurs et enseignants, "ils considéraient qu'il ne fallait pas enseigner le déchiffrage", se souvient Roland Goigoux. "Ils insistaient sur le fait que les enfants mémorisent les mots visuellement." Par des jeux d'étiquette notamment, les enfants voyaient des mots et devaient les apprendre par cœur. Ils n'étudiaient donc pas les composants de ces mots, c'est-à-dire les lettres et ensemble de lettres, et leurs propres sons.

Certains considèrent que la méthode naturelle de lecture de la pédagogie Freinet s'en approche. Mais "il y a une différence fondamentale" entre les deux, insiste Roland Goigoux. La méthode globale ne comprend pas de travail de déchiffrage des mots, contrairement à l'approche naturelle de Freinet. Dans cette méthode, un instituteur peut par exemple écrire au tableau ce que dit un enfant. Les élèves montrent les lettres ou les mots qu'ils reconnaissent, et l'enseignant explique leur déchiffrage. "On part du sens, de l'expression, et nous y cherchons les techniques de compréhension des mécanismes", martèle Catherine Chabrun, de l'Institut coopératif de l'école moderne-pédagogie Freinet (Icem). 

Quelle méthode les enseignants utilisent-ils ?

La grande majorité des instituteurs combinent plusieurs approches. "Je fais une méthode mixte, c'est important de varier", raconte Hervé Bernard, enseignant en CP et CE1 à Iteuil (Vienne) et membre du Snuipp-FSU, le syndicat majoritaire de la profession. "Au début, je pars de textes simples, de mots que les enfants connaissent. On part des sons, pour ensuite apprendre à les écrire. Parallèlement, j'introduis un premier album" pour la lecture, poursuit-il. L'enseignant s'inspire aussi de la méthode Borel-Maisonny, une approche où chaque son est représenté par un geste. "Des enfants s'y retrouvent davantage visuellement, d'autres à l'oral, d'autres avec les gestes", contemple Hervé Bernard. "Il faut mixer tout ça pour que chaque enfant s'y retrouve." 

Professeure des écoles à Paris, Kélig a travaillé pendant deux ans en CP. Elle raconte avoir enseigné la lecture avec "un peu de méthode globale sur certains mots au début", et une approche syllabique. "Nous avions des petites chansons que nous écoutions. Je demandais aux élèves de retrouver un son précis dans les mots de la chanson. J'écrivais ensuite le mot au tableau, et demandais aux élèves d'entourer les lettres qui correspondaient au son." En parallèle, l'enseignante utilisait des étiquettes sur lesquelles étaient inscrits des mots. Les élèves devaient ranger ces étiquettes dans l'ordre pour construire une phrase.

"Il n'y a plus vraiment de clivage entre syllabique et global", affirme Kélig. Aujourd'hui, 98% des instituteurs de CP "enseignent explicitement les correspondances lettres-sons", mais ils sont presque autant à faire "mémoriser des mots entiers" en parallèle, a récemment expliqué Roland Goigoux au site VousNousIls. Selon le professeur, seules 10% des classes observées dans plusieurs études se basent sur une méthode syllabique stricte. Et l'utilisation d'une méthode globale pure, sans aucune syllabique, a disparu en France. "Les programmes scolaires de 1995 puis de 2002 ont clarifié les choses", se souvient Roland Gougoux. Ces textes officiels disent en effet "qu'il est nécessaire d'enseigner le déchiffrage, l'étude des correspondances lettres-sons". L'approche globale seule n'est plus possible, mais l'Etat ne va pas plus loin. La liberté pédagogique prévaut. "On dit aux maîtres, 'voilà les compétences à enseigner', mais la loi ne leur dit pas comment s'y prendre", contemple Roland Goigoux. 

Existe-t-il une méthode plus efficace que les autres ?

Pour Roland Goigoux comme bon nombre de chercheurs, juger la supériorité d'une méthode de lecture sur une autre n'est plus pertinent. Avec la part belle donnée aux approches mixtes, il est difficile de savoir quelle méthode, plus qu'une autre, entraîne des résultats plus probants. Une conférence de consensus sur l'apprentissage de la lecture, en 2003, a reconnu que plusieurs approches étaient "compatibles" avec les recommandations de la recherche, rapporte La Croix. Aller du déchiffrage à la compréhension d'un mot, ou partir d'un mot connu pour étudier ses lettres et syllabes : toute approche est légitime.

"Ce débat sur les méthodes est stérile. On retrouve des méthodes syllabiques strictes dans les classes les plus efficaces comme dans les moins efficaces, développe Roland Goigoux. Ce sont les variables du temps et de l'écriture qui sont fondamentales." Dans l'étude intitulée "Lire et écrire" qu'il a dirigée, le chercheur constate que les instituteurs enseignant plus lentement les correspondances entre lettres et sons "pénalisent les enfants initialement faibles". Le temps de l'écriture des sons en lettres a aussi son importance. "Les maîtres qui accordent le plus de temps à cette activité s'avèrent plus efficaces dans l'apprentissage de la lecture", rapporte Roland Goigoux.  

Alors pourquoi le sujet fait-il débat ? 

Alors que l'opposition entre approche syllabique et globale semble dépassée, dans les classes comme dans la recherche, pourquoi le ministre de l'Education nationale continue-t-il d'en parler ? "C'est une polémique artificielle", réagit Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat enseignant SE-Unsa. "Le ministre fait exprès de réactiver une guerre des méthodes. En se positionnant contre la méthode globale, "il réaffirme qu'il va mettre de l'ordre à l'école", regrette-t-il. Jean-Michel Blanquer "réactive ce débat pour se mettre l'opinion dans sa poche", critique de son côté Francette Popineau, porte-parole et co-secrétaire générale de Snuipp-FSU. "La méthode globale n'existe plus depuis très longtemps. Nous avons une forme d'agacement à voir que l'on réveille cette vieille querelle."

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