Rythmes scolaires : guerre de tranchées entre instits et animateurs
A Paris et Rennes, villes socialistes qui vont appliquer la réforme des 4,5 jours à la rentrée, la question de l’espace dans les écoles est le nerf de la guerre.
La musique a presque réussi à couvrir les cris des élèves. Dans le gymnase d'une école élémentaire de Rennes (Ille-et-Vilaine), les enfants répètent leur spectacle de fin d’année sur fond de Gangnam Style. Le lendemain, mercredi, il n'y aura pas classe. Pour la dernière fois. Ces petits Rennais font partie des 22% d’élèves du primaire - dans le public - à expérimenter la réforme des rythmes scolaires dès la rentrée prochaine. Et dans cet établissement, comme dans d'autres, le passage accéléré à la semaine de 4,5 jours est un vrai casse-tête, où s'entrechoquent les emplois du temps et les egos des instituteurs et des animateurs.
La directrice de cet établissement - neuf classes, plusieurs salles annexes, près de 200 élèves - ne sait pas où elle va caser, à la rentrée prochaine, les nouvelles activités périscolaires générées par la réforme. Entre l’ouverture d’une nouvelle classe, l’étude le soir, l’accueil d’élèves d'autres établissements le midi et des locaux mal insonorisés, seuls deux ateliers sportifs, accueillant 24 élèves, pourront être organisés chaque semaine. "Deux ateliers pour 24 élèves, la voilà la réforme", peste une enseignante.
"On avait imaginé que les élèves iraient au théâtre, à l’opéra..."
Alors que l'on s'attendait à n’entendre parler que de "temps" scolaire dans les écoles visitées par francetv info à l’approche des vacances d'été, le mot "espace" revient en boucle. Il est même devenu le nerf de la guerre. "Je vois d'ici le bazar, avec 18 animateurs qui vont débarquer à 15 heures !", pronostique le directeur de l'école de la rue des Bauches, dans le 16e arrondissement, à Paris. Comme Rennes, la capitale a opté pour un passage à la semaine de 4,5 jours en septembre 2013.
"On avait imaginé que les élèves iraient au théâtre, à l'opéra... Ils n’auront même pas le temps de partir qu’ils seront déjà revenus !", ironise Marie*, une enseignante chevronnée de cette école parisienne. Les contraintes de temps, d’encadrement, et de distance entourant les déplacements des élèves - ils ne doivent pas durer plus de dix minutes à pied - font que le gros des activités périscolaires se dérouleront dans les murs des écoles.
Deux fois plus d'enfants en centres de loisirs le mercredi
Dans le modèle d’emploi du temps retenu par la mairie (PS) de Paris, des ateliers culturels et sportifs seront organisés le mardi et le vendredi, de 15 heures à 16h30, grâce au report de trois heures de cours le mercredi matin. "Quand les élèves finiront les cours à 15 heures, qu’est-ce qu’on va faire de leurs 300 cartables ? Car ils vont tous rester, c'est sûr, les activités sont gratuites !", estime une prof de la rue des Bauches. Le retour de l'école le mercredi matin fait également craindre à la communauté éducative une affluence plus grande dans les établissements le mercredi après-midi. Selon Jean-François Laffont, secrétaire général de la CGT animation, le nombre d’élèves actuellement accueillis en centre de loisirs ce jour-là (26 000), pourrait doubler.
Rue des Bauches, toujours : "Quand on rentre le jeudi matin, nos chaises de la salle des maîtres sont peintes. La photocopieuse a pris 500 photocopies dans la figure. On est en train d'équiper les classes en tableau numérique, on a peur. Il va falloir mettre des barbelés devant", plaisante à peine Marie. A Rennes, c’est "niet" pour prêter les salles de classe aux animateurs à la pause du midi, allongée d'un quart d’heure. "Une salle d'étude le soir, pourquoi pas. Une salle d’animation, non !", lance l'équipe enseignante en cœur.
"On en a marre d'être des invités" dans les écoles
"Historiquement, on a toujours été invités dans les écoles, réagit le directeur d’un centre de loisirs du 13e arrondissement à Paris. Mais il faut qu'on laisse place nette derrière. Ce sont les enseignants, les maîtres de la maison. On en a marre d'être des invités, on travaille là toute l'année. On est importants aussi pour les enfants. On fait de la pédagogie, de la socialisation. Ce sont deux façons d’éduquer différentes, mais complémentaires."
Dans ce contexte, les directeurs de centres de loisirs parisiens sont tout particulièrement au bord de la crise de nerfs. Dans le cadre de la réforme, leur statut a évolué. Il faut désormais les appeler "responsables éducatifs ville" (REV). Avec le titre vont de nouvelles responsabilités. Ils doivent recruter, en un temps record, un nombre d’animateurs correspondant aux nouveaux besoins créés par la réforme - la ville est en train d’en contractualiser 1 400 - et mettre en place des ateliers, en partenariat avec 750 associations. Pivots de la réforme, ils sont assaillis de questions par les parents d'élèves lors des conseils d’école. Faute de réponses à leur apporter, certains ressortent en larmes.
Des directeurs de centres de loisirs renoncent
"Il ne faut pas les faire pleurer. Les REV doivent être respectés en tant qu'agents municipaux. Ce sont des aventures humaines, elles vont se consolider dans le temps", analyse Colombe Brossel, adjointe au maire de Paris chargée de la vie scolaire. Malgré le gain de salaire offert par cette évolution de statut - environ 200 euros par mois -, un certain nombre de directeurs de centres de loisirs auraient renoncé et démissionné. "Une trentaine" sur 380, selon une toute nouvelle "REV" du 17e arrondissement. Des cas marginaux et particuliers, répond la mairie.
"Les REV, ils ne vont pas rêver longtemps", ironise une enseignante du 16e. Avec deux de ses collègues, elle en est convaincue : "Bertrand Delanoë va faire marche arrière à la fin de l'été." Colombe Brossel part d'un grand éclat de rire : "Je crois que non. Nous serons prêts le 3 septembre." Les responsables de l'animation en sont un peu moins sûrs. "Tout le monde a déjà des sueurs froides à l'idée du mardi de la rentrée", lâche Jean-François Laffont, de la CGT animation. Les vacances ne s’annoncent pas de tout repos.
* Le prénom a été modifié.
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