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"Etre intersexe, c'est vivre avec la douleur et la honte"

Un tribunal de Tours a reconnu le droit à une personne intersexe de faire inscrire la mention "sexe neutre" sur son état civil. Gabriel, lui-même intersexe, attend surtout que la médecine cesse d'opérer les enfants concernés à la naissance.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Les personnes intersexes sont des personnes qu'on ne peut classer ni dans le genre masculin ni dans le genre féminin. (DR)

Elle pourrait devenir la première personne française de sexe "neutre" à l'état civil : une personne intersexe a obtenu gain de cause auprès du tribunal de grande instance de Tours (Indre-et-Loire), le 20 août. Ce jugement, révélé mercredi 14 octobre, n'est pas encore exécutoire, le parquet ayant fait appel. Il représente néanmoins une victoire judiciaire inédite en Europe pour les intersexes, qui naissent avec des caractères qui rendent impossible de les classer comme hommes ou femmes. Un jugement qui met aussi en lumière leur condition.

Gabriel [son prénom a été changé], personne intersexe de 36 ans, témoigne, pour francetv info, des difficultés qu'il rencontre au quotidien, et du poids des opérations qu'il a subies quand il était enfant.

Francetv info : Quelle est votre réaction après cette décision du tribunal de Tours, qui accorde à une personne intersexe le droit d'être de "sexe neutre" à l'état civil ?

Gabriel : C'est une très bonne chose, parce que ça fait bouger un peu le droit français. Et si on arrive à faire bouger le droit, on arrivera peut-être à faire bouger la médecine française, qui continue de construire des petites filles et des petits garçons à coups de bistouri. La personne de Tours a eu de la chance de ne pas être mutilée, sans doute parce qu'elle est née avant les années 1960. Depuis, il y a eu une multiplication des interventions médicales sur les enfants intersexes.

Vous avez vous-même été opéré ?

J'ai subi huit interventions chirurgicales quand j'étais enfant. Mes parents n'ont pas bénéficié d'une information loyale et complète, leur expliquant toutes les conséquences liées à cette chirurgie, qui est pratiquée juste pour nous faire coller à une norme. Aujourd'hui, mes parents me soutiennent énormément, mais c'est douloureux pour eux. Quand je dis que je souffre, eux se disent : "On a fait souffrir notre enfant", alors qu'ils pensaient bien faire.

Quand avez-vous compris que vous étiez une personne intersexe ?

Je me définis comme intersexe depuis un an. La première fois que j'ai entendu le mot, j'avais 25 ans. Mais c'est à 7 ans que j'ai compris que quelque chose clochait. Parce que, quand les autres partaient en vacances, moi, j'allais à l'hôpital.

Ressentez-vous encore, aujourd'hui, les conséquences de ces opérations ?

Les conséquences, c'est toute la vie. Au quotidien, c'est vivre avec la douleur. J’ai encore des cicatrices et des douleurs quotidiennes. Et quand on va voir des médecins, ils nous disent : "On ne fait rien, parce qu’on risque d'abîmer davantage."

J’ai eu la chance de ne pas être trop "démonté" psychologiquement. Je travaille, je paie mes impôts... Mais je ne suis pas représentatif. Je connais plein de personnes intersexes qui ne travaillent pas, vivent du RSA, et ont tout un tas de problèmes au niveau de leur état civil et de leurs droits sociaux.

Est-ce facile de vivre comme intersexe dans la société ? Vos proches, vos collègues, sont-ils au courant ?

Je n'en parle pas aux gens, ça reste quelque chose d'intime et de privé. J’ai tous les privilèges de l’homme blanc hétéro, parce que je me suis construit comme ça. Ayant conscience de ma différence, je me suis musclé, j’ai fait du sport, j'ai tout fait pour répondre aux critères de la masculinité, pour faire croire que j'étais un garçon.

Mais être intersexe, c'est vivre avec la honte. La honte sociale, la honte d'être différent, comme on avait honte d'être homosexuel. La honte, aussi, de vivre dans un corps qui a été invalidé par le corps médical. En plus, c'est un sujet tabou. Ça n’émerge que dans la sexualité. D’où l’intérêt de cette décision de justice :  elle nous permet d’avoir de la visibilité. Tout le problème est que la médecine a voulu nous rendre invisibles.

La personne de Tours parlait de sa difficulté à "jouer le jeu de la séduction" : vous reconnaissez-vous dans cette expérience ?

Bien sûr, ça complique les choses. On est dans une société où on pense qu'il faut répondre à un certain nombre de standards physiques. Jusqu'à ce qu'on comprenne qu'en réalité, l'amour n'a rien à voir avec ça. J'ai eu la chance de rencontrer des gens qui me comprenaient. Mais beaucoup de personnes intersexes ont des difficultés avec ce sujet. Cet été, l'Organisation internationale des intesexes a organisé un forum, à Douarnenez (Finistère). Les plus vieux nous expliquaient que c'était la première fois qu'ils parlaient de sexualité.

La vie des personnes intersexes s'est-elle améliorée ces dernières années ?

En France, les premières prises de parole du mouvement intersexe datent de 1998-2000. Les plus vieux se cassaient les dents sur l'absence d'interlocuteurs. Aujourd'hui, grâce à internet et aux réseaux sociaux, on peut communiquer. Avant, on pensait qu'on était seuls au monde. Le pédiatre assurait à mes parents qu'un enfant sur un million naissait intersexe, ce qui est complètement faux.

Espérez-vous que cet état civil "neutre" se généralise à toutes les personnes intersexes ?

C'est une première décision très intéressante, mais je militerais pour aller plus loin, en supprimant la mention de sexe à l'état civil. Le sexe juridique n'a plus lieu d'être. Par le passé, la loi avait besoin de distinguer garçons et filles, parce que de votre sexe dépendaient vos droits : le droit de vote, d'ouvrir un compte bancaire, de vous marier avec telle ou telle personne... Depuis la loi sur le mariage pour tous, il n’y a plus de raison de conserver cette mention à l'état civil. Mais ça dépend du législateur. Et je pense que rien ne changera d'ici à la présidentielle.

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