: Reportage Soins palliatifs : à Cahuzac-sur-Vère, dans le Tarn, une colocation innovante pour finir ses jours "comme à la maison"
Depuis quelques mois, Patrick Sévègnes roule en Porsche. A 61 ans, cet ancien conducteur de car a été contraint de troquer son déambulateur contre un fauteuil électrique, qu'il a floqué du logo de sa marque préférée. "Il me manque le volant", se désole-t-il, dans un timide sourire. Lui, l'as de la route, se retrouve à livrer bataille contre un petit joystick et à cogner les murs des larges couloirs de la Maison Astrolabe.
Son nouveau circuit de course est une résidence pour personnes âgées ou gravement malades. Sorti de terre dans le vignoble de Gaillac, en bordure de Cahuzac-sur-Vère (Tarn), ce bâtiment de plain-pied a ouvert ses portes en février 2023. Patrick Sévègnes y a trouvé refuge six mois plus tard. Atteint d'atrophie multi-systématisée, une maladie neurodégénérative incurable, il n'était plus en mesure de vivre seul chez lui, dans l'Hérault, mais n'avait pas non plus sa place à l'hôpital, ni en institution spécialisée. Il a trouvé là un échelon intermédiaire, unique en son genre, entre le domicile et une unité de soins palliatifs.
La Maison Astrolabe fait déjà figure de modèle à suivre. Pour généraliser l'expérience et lui donner un cadre légal, Emmanuel Macron a annoncé, dimanche 10 mars, la création de "maisons d'accompagnement". Ces établissements, faiblement médicalisés, auront vocation à accueillir "des patients en fin de vie dont l'état est stabilisé, mais nécessitant toujours des soins techniques et spécialisés", selon un rapport (PDF) remis à l'exécutif en décembre.
Une douzaine de chambres
Le projet a germé dans l'esprit de Delphine Calicis, infirmière en soins palliatifs, il y a une quinzaine d'années. "Sur le terrain, on voyait des gens isolés ou entourés de proches épuisés, qui auraient eu besoin d'un lieu d'accueil en fin de vie, décrit-elle. Je repense à un jeune père malade, seul, qui ne pouvait pas rester chez lui. Il a dû laisser son enfant à son ex-compagne dans le Tarn pour partir mourir loin d'ici dans sa famille." Le déclic est venu d'une rencontre avec Laure Hubidos, initiatrice de la première structure de ce type en France, la Maison de vie de Besançon, dans le Doubs. Ce lieu pionnier, qui a fonctionné entre 2011 et 2019, a inspiré la création du Collectif national des maisons de vie, dont la Maison Astrolabe est le seul fleuron en service à ce jour.
Dans la campagne tarnaise, à une soixantaine de kilomètres de Toulouse, neuf personnes sont accueillies à l'année et trois autres peuvent l'être de manière temporaire, pour des séjours de répit. Un salon est réservé aux familles, qui peuvent y loger pour accompagner leur proche, comme ce fut le cas en décembre jusqu'à la mort d'une jeune femme de 21 ans. "La plupart de nos résidents sont âgés, mais on veut aussi accueillir des gens jeunes", insiste Delphine Calicis.
"Une maison de vie n'est pas un ghetto pour personnes âgées. La richesse du lieu tient dans la cohabitation entre les générations et la confrontation à d'autres pathologies."
Delphine Calicis, présidente bénévole de la Maison Astrolabeà franceinfo
En ce lundi de janvier se tient le "conseil de maison" mensuel. Tous les colocataires et l'ensemble de l'équipe sont réunis dans la grande pièce de vie, entre le piano, la télévision et le poêle à granulés. Entre deux gorgées de tisane, chacun est libre d'aborder le sujet de son choix. On y parle de l'arrivée prochaine d'une femme de 58 ans, atteinte d'un cancer en stade terminal, trop jeune pour être accueillie en Ehpad ou en unité de soins de longue durée. Elle doit libérer son lit de soins palliatifs à l'hôpital, à 100 km de là, et ses proches, désemparés, se sont tournés vers la Maison Astrolabe. "Elle est sourde et muette, mais il paraît qu'elle arrive très bien à se faire comprendre", assure Delphine Calicis aux résidents, qui se demandent comment ils vont pouvoir l'intégrer à leur bande.
Joe Dassin en cuisine
Avant le dîner, chacun est mis à contribution pour mettre le couvert, aller chercher son set de table ou couper le pain. Un chou vert dans une main, un couteau dans l'autre, une résidente s'affaire déjà au déjeuner du lendemain. Patrick Sévègnes, lui, se charge de l'ambiance musicale, avec son téléphone connecté aux enceintes de la salle à manger. "Il y avait toujours de la musique dans mon car", sourit-il.
Le menu de la semaine a été décidé par les résidents le matin, en concertation avec les "maîtresses de maison", deux salariées chargées de préparer les repas, d'animer le lieu et de veiller au bien-être de chacun. Ce soir, c'est potage, quiche, fondue savoyarde et compote. Et Joe Dassin. "Cette maison est formidable", s'enthousiasme Christine Montels, une infirmière de la commune. "J'ai travaillé en Ehpad et les résidents y sont passifs. Pour aller vite, le personnel fait la toilette des gens à leur place, au lieu de prendre le temps de les aider à la faire eux-mêmes."
"Ici, au contraire, on les fait participer à tout, on les stimule, on les fait réfléchir. Ma voisine de 98 ans habite ici depuis la mort de son mari. En Ehpad, ça aurait été la dégringolade. Là, je la vois reprendre pied."
Christine Montels, infirmièreà franceinfo
A table, Jeannette Azema, 90 ans, charrie l'un de ses voisins. En plus de son verre d'eau et de son habituel ballon de rouge, cet ancien négociant en vins a réussi à se faire servir du rosé dans un troisième verre. "Vous êtes pistonné, vous !" le taquine-t-elle. "Et dire qu'il n'a jamais travaillé dans les vignes", renchérit sa voisine, Odette Dolle, dans un éclat de rire.
Un livre d'or bien rempli
Ancienne agricultrice de 95 ans, Odette Dolle est la première à avoir eu son rond de serviette à la Maison Astrolabe, qu'elle a vu se construire avec gourmandise depuis sa maison. "J'étais seule depuis six ans, raconte-t-elle. Je ne voulais pas aller en maison de retraite. C'est l'usine là-bas, j'en connais qui n'y sont pas bien. Ici, c'est différent. C'est en famille, comme à la maison." Cette pétillante grand-mère a retrouvé le plaisir de cuisiner, d'être entourée au quotidien et d'aider les autres, souvent plus jeunes, mais moins vaillants qu'elle. Elle aime aussi épauler Delphine Calicis, qui "se fatigue beaucoup à faire marcher tout ça".
"En donnant un coup de main, j'ai l'impression de participer à la marche de la maison."
Odette Dolle, résidente, 95 ansà franceinfo
Le soir, la "grande sœur" de la maisonnée couche sur papier les meilleures blagues et les moments marquants partagés à l'Astrolabe. C'est elle qui a été désignée, en mai, lors de l'inauguration des lieux, pour s'exprimer devant Agnès Firmin-Le Bodo, l'ancienne ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé. "Je lui ai expliqué que c'était bien ici, mais trop cher pour des paysans", soulève Odette Dolle. Chaque mois, pour compléter son minimum vieillesse de 870 euros, elle pioche dans ses économies pour régler 1 500 euros de loyer et de frais divers. "Je ne pensais pas vivre si longtemps, lâche-t-elle. Il faudrait peut-être que je meure bientôt, parce que je coûte cher. Mais, vous savez, on s'attache à la vie."
Des bonnes nouvelles à venir ?
Pour financer sa structure et alléger le fardeau de ses pensionnaires, Delphine Calicis a l'impression de "devoir faire entrer des ronds dans des carrés". Soutenue à son lancement par deux organisations caritatives, Les œuvres du père Colombier et Les petits frères des pauvres, ainsi que par le département du Tarn, la Maison Astrolabe vit désormais des loyers versés par les résidents. L'équilibre est précaire et le projet peine à se déployer. "Il n'existe aucun cadre légal pour des structures comme la nôtre, si bien qu'on ne peut prétendre à aucun financement de fonctionnement public", se désole la présidente de l'association.
L'an dernier, un homme suivi en soins palliatifs a vu sa candidature refusée, faute d'aides lui permettant de payer le loyer demandé. "Il a dû se tourner vers un Ehpad habilité à l'aide sociale", déplore Delphine Calicis. Une femme accueillie à la Maison Astrolabe a, elle, dû quitter sa chambre en raison du manque de personnel. "Ses troubles cognitifs nécessitaient une présence permanente. Or nous n'avons pas encore les moyens d'avoir des professionnels sur place la nuit, explique la fondatrice. Cela a été douloureux de la voir partir, pour tout le monde."
En attendant d'avoir les moyens de ses ambitions, la Maison Astrolabe a dû élargir son public. "Pour pouvoir vivre, il nous a fallu accepter des personnes âgées encore un peu autonomes, pour lesquelles il y avait une forte demande", reconnaît l'infirmière, qui exerce comme coordinatrice de la communauté professionnelle territoriale de santé du Grand Gaillacois.
"Si on ne nous aide pas davantage, on ne pourra pas accompagner les gens qui ont le plus besoin de nous."
Delphine Calicis, présidente de la Maison Astrolabeà franceinfo
Les projets du gouvernement sur les "maisons d'accompagnement" seront précisés fin mars, lors de la présentation de la nouvelle stratégie nationale de développement des soins palliatifs. Les annonces seront suivies avec attention à Cahuzac-sur-Vère. Le rapport remis à l'exécutif en fin d'année a suscité beaucoup d'optimisme au sein de l'équipe. Les résidents, eux, ont été rassurés : "L'idée n'est pas de mettre les gens dehors s'ils ne sont pas en soins palliatifs. Peut-être même qu'il faudra veiller à maintenir une forme de mélange. Ce serait dommage d'enfermer les personnes en fin de vie dans un ghetto de plus."
Le jour où les bonnes nouvelles sur le financement de la structure arriveront au courrier, c'est Carole Marcandella qui les distribuera. A 62 ans, cette ancienne postière de Castres, suivie en psychiatrie, est devenue la factrice attitrée de la Maison Astrolabe. A chacun sa mission dans cette colocation pleine de vie.
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