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Affaire Vincent Lambert : les cinq fois où l'arrêt des soins a été prononcé

La cour d'appel de Paris a ordonné la reprise des traitements, lundi 20 mai, le jour même où un nouvel arrêt avait été entamé. L'ancien infirmier est dans un état végétatif depuis onze ans.   

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le CHU de Reims (Marne) où est hospitalisé Vincent Lambert, le 27 juin 2015. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Enième rebondissement dans l'affaire Vincent Lambert. L'alimentation et l'hydratation artificielles de cet homme de 42 ans ont repris lundi 20 mai dans la soirée, après avoir été interrompues le matin même. Hospitalisé depuis 2008 au CHU de Reims (Marne), cet ancien infirmier est dans un état neurovégétatif "irréversible", selon ses médecins. Depuis 2013, une dizaine de procédures judiciaires ont opposé sa femme, Rachel Lambert, favorable à l'arrêt des soins, à ses parents, Viviane et Pierre Lambert, qui refusent la mort de leur fils. En six ans, l'arrêt des soins a été annoncé à cinq reprises, donnant lieu à chaque fois à une série de rebondissements juridiques. 

Janvier 2014 : une "obstination déraisonnable"

A la suite d'un grave accident de la route, survenu le 29 septembre 2008, Vincent Lambert est plongé dans un coma profond. Il en sort dans un "état de conscience minimal", tétraplégique et sans espoir d'amélioration. Il est depuis nourri et hydraté artificiellement. Au cours de l'année 2012, le personnel soignant interprète des manifestations comportementales de Vincent Lambert comme une opposition aux soins pratiqués. En l'absence d'évolution neurologique favorable, le docteur Eric Kariger, médecin de Vincent Lambert, et son équipe médicale engagent alors une "procédure collégiale de fin de vie". Ils concluent à une "obstination déraisonnable" du maintien en vie de leur patient. Ils décident, le 11 janvier 2014, en concertation avec son épouse, de cesser d'alimenter et d'hydrater Vincent Lambert tout en lui administrant des sédatifs afin qu'il souffre le moins possible. 

Apprenant l'arrêt des soins, les parents de Vincent Lambert, ainsi que certains de ses huit frères et sœurs, saisissent en référé le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. N'ayant pas été consultés par le CHU en amont de la décision, ils s'appuient sur l'article L521-2 du Code de la santé publique et plaident une "atteinte grave" et "illégale" à une "liberté fondamentale" de leur fils. La procédure d'arrêt des soins est suspendue le 16 janvier 2014. Vincent Lambert est à nouveau alimenté et hydraté après 31 jours d'arrêt.

Juin 2014 : l'escalade juridique

En réaction, Rachel, l'épouse de Vincent Lambert, François, un de ses neveux et le CHU de Reims saisissent le Conseil d'Etat. Ce dernier réforme le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne), le 24 juin 2014, ne considérant pas la démarche de l'équipe médicale comme illégale. Le protocole d'arrêt des soins de Vincent Lambert reprend. 

En face, les parents du patient réagissent. Ils saisissent cette fois la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Celle-ci constate, par un arrêt du 5 juin 2015, que la procédure retenue pour cesser de maintenir en vie leur fils n'entre pas en violation de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme (en PDF) et des libertés fondamentales. Rien ne semble s'opposer à la cessation des traitements de l'ancien infirmier. 

2015 : l'hôpital suspend la procédure pour cause d'insécurité

Le 7 juillet 2015, Daniela Simon, la médecin qui a succédé à Eric Kariger, informe la famille de sa décision d'engager une nouvelle procédure collégiale. Sous couvert de l'article R4127-37 du Code de la santé publique, l'équipe médicale renonce à "poursuivre des traitements" dans le seul but du "maintien artificiel de la vie". Les parents refusent à nouveau cette procédure. Le 16 juillet, ils portent plainte contre le CHU ainsi que contre les docteurs Kariger et Simon, pour "tentative d'assassinat et séquestration". Non sans avoir demandé au préalable le transfert de leur fils dans un autre établissement. La plainte est toujours en cours d'examen.

La tension entre les deux camps monte. Le 23 juillet 2015, le CHU se dit "victime de pression". Il suspend la procédure collégiale car "les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure tant pour M. Lambert que pour l'équipe soignante ne sont pas réunies". La direction de l'hôpital demande également la désignation d'un tuteur afin de représenter légalement Vincent Lambert. 

Le 10 mars 2016, Rachel Lambert est nommée tutrice de son mari par le juge des tutelles de Reims. Dès le lendemain, les parents font appel de cette décision. Neuf mois plus tard, la Cour de cassation rejette leur pourvoi et confirme l'attribution de la tutelle à Rachel Lambert. 

2016 : une nouvelle expertise demandée

Fin 2016, les parents de Vincent Lambert réclament à nouveau le transfert de leur fils dans un établissement spécialisé. La cour d'appel de Reims rejette cette demande, arguant qu'elle ne peut émaner que du tuteur légal, à savoir son épouse. Viviane et Pierre Lambert portent alors plainte contre le CHU "pour délaissement de personne hors d'état de se protéger". Cette plainte est toujours en cours d'examen.

Après un nouveau changement de médecins à la tête du service des soins palliatifs du CHU de Reims, le docteur Vincent Sanchez informe la famille, le 22 septembre 2017, de sa volonté d'engager une nouvelle procédure collégiale, au titre de l'article R 4127-37-2 du Code de la santé. Ce dernier stipule que la décision d'arrêt de traitement d'un majeur protégé doit s'effectuer avec le recueil de l'avis de son tuteur.

Le 9 avril 2018, la décision est prise. La nutrition et l'hydratation artificielles de Vincent Lambert seront arrêtés. Cette suspension devra être précédée de la mise sous sédation profonde et continue du patient, jusqu'à sa mort. Les parents de Vincent Lambert s'y opposent. Le 17 avril, ils saisissent le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin de suspendre cette décision. Le juge demande une nouvelle expertise du patient. Elle  confirme "l'état végétatif chronique irréversible" de Vincent Lambert, amenant le rejet de la requête des parents le 31 janvier 2019.

2019 : la cour d'appel de Paris ordonne la reprise des soins 

Déterminés, les parents de Vincent Lambert saisissent à leur tour le Conseil d'Etat, le 29 mars 2019. Trois semaines plus tard, le 24 avril, celui-ci acte que la décision d'arrêter les soins, prise par le médecin Vincent Sanchez le 9 avril 2018, "ne peut être tenue pour illégale".

Les parents annoncent aussitôt deux nouveaux recours. L'un devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), l'autre devant le Comité international des droits des personnes handicapées (CIDPH) de l'ONU. La CEDH rejette leur recours et confirme la décision du Conseil d’État. Le CIDPH, lui, demande le maintien provisoire des soins le 5 mai, mais cet avis, comme tous ceux de ce comité onusien, est non contraignant et non suspensif. "Aujourd'hui, juridiquement parlant, tous les recours sont arrivés au bout, et toutes les instances juridictionnelles, qu'elles soient nationales ou européennes, confirment le fait que l'équipe médicale en charge de ce dossier est en droit d'arrêter les soins" de Vincent Lambert, annonce dans la foulée Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, sur BFMTV.

Le courrier du médecin Vincent Sanchez, envoyé à la famille et rendu public le 11 mai, annonce donc que "l'arrêt des traitements et la sédation profonde et continue (...) seront initiés au cours de la semaine du 20 mai". Mais les parents de Vincent Lambert ne veulent toujours pas s'y résoudre. Ils annoncent avoir saisi Jacques Toubon, le Défenseur des droits, afin de faire appliquer les mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées. "C'est au Défenseur des droits de monter au créneau et de faire pression sur le gouvernement français pour que les mesures provisoires soient effectives", affirme Jean Paillot, un des avocats des parents Lambert. Sauf que le Défenseur des droits a estimé, vendredi 17 mai, qu'il "ne lui appart[enait] pas" de trancher dans ce dossier.

Alors que l'arrêt des soins prodigués à Vincent Lambert avait débuté lundi 20 mai au matin, la cour d'appel de Paris, saisie par les parents, a ordonné en fin de journée le rétablissement des traitements. La cour d'appel a jugé qu'"indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité [le CIPDH], l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international".

Cette reprise de l'alimentation et de l'hydratation artificielles de l'ancien infirmier est effective "pendant une durée de six mois, permettant au comité de l'ONU d'étudier le dossier de Vincent" a précisé Jean Paillot, un des deux avocats des parents. 

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