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Frigide Barjot peut-elle convaincre avec son Avenir pour tous ?

L'égérie de La Manif pour tous n'a pas manifesté dimanche. A la place, elle a annoncé le lancement de l'Avenir pour tous, une formation politique conçue pour s'inviter non plus dans la rue, mais dans les urnes. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Frigide Barjot, chef de file des opposants au mariage pour tous, à l'occasion d'une manifestation à Lyon (Rhône), le 5 mai 2013.  (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

"C'est [son mari] Basile de Koch qui a trouvé le nom" et elle en est "très contente." Avec L'Avenir pour tous, Frigide Barjot, chef de file des opposants au mariage des homosexuels, invitait "les gens à [la] rejoindre dans la défense des fondamentaux de notre civilisation, de notre République", dimanche 26 mai au soir. L'initiative doit prendre le relais de La Manif pour tous.

Le pitch se veut rassembleur, fidèle à la position acrobatique de la catho-mondaine la plus célèbre de France, tiraillée entre sa volonté de fédérer et les positions radicales d'une frange de militants, bien décidés à ne "rien lâcher" malgré le vote de la loi. Parti politique, association, groupe de pression... La forme que va prendre cette nouvelle mobilisation n'est pas précisée. Mais à qui s'adresse encore Frigide Barjot ? 

Ceux qu'elle veut convaincre : tous les modérés

L'humoriste autoproclamée "gay friendly" revendique l'ouverture politique. Quand les intégristes catholiques de Civitas priaient dans la rue et qu'Alliance Vita provoquait des levées de sourcils en mimant l'envol raté d'enfants-oiseaux, elle a été la première à partager la tête de cortège avec l'homosexuel athée Xavier Bongibault et Laurence Tcheng, engagée à gauche. Six mois plus tard, la stratégie n'a pas changé : "J'appelle Ségolène Royal à intégrer ce mouvement citoyen qui demande la légalisation d'une union civile pour les homosexuels", a-elle déclaré lundi, citée par Le Parisien.

En 2007, la présidente de Poitou-Charentes s'était déclarée pour une "union civile" plutôt qu'un "mariage". Avec son Avenir pour tous (un remake anti-mariage pour tous du site participatif ségoléniste "Désirs d'avenir" ?), Frigide Barjot espère fédérer au-delà des militants traditionnels et s'adresse aux modérés de la galaxie des anti. 

Ceux qu'elle peut convaincre : une partie des catholiques 

Mais dans les faits, l'appel à une mobilisation hétéroclite, constituée de catholiques, d'athées, de gens de gauche et du centre ou d'homosexuels anti-mariage, se heurte à une réalité sociologique tout autre, explique Vincent Tiberj, docteur en Sciences politiques, chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po interrogé par francetv info. "Elle dit 'nous sommes le peuple, nous transcendons les partis', mais les faits sont tenaces, analyse-t-il. Parmi les militants contre le mariage pour tous, on retrouve pour l'essentiel des catholiques pratiquants réguliers, traditionnellement ancrés à droite. Le succès du mouvement dépendra aussi de l'Eglise, selon si elle décide ou non de continuer à peser." 

Mais alors que certains croyants déplorent la prise de position de l'institution, a rapporté Le Monde (lien pour abonnés), la personnalité et le discours pro-union civile de Frigide Barjot agacent les militants radicaux.

Tandis que la nouvelle porte-parole de La Manif pour tous, Ludovine de la Rochère, mais aussi le Printemps français, le mouvement des Veilleurs et l'ancienne ministre Christine Boutin (Parti chrétien-démocrate) persistent à vouloir soit occuper la rue, soit obtenir le retrait de la loi, Barjot a tourné la page de la mobilisation sur le pavé, direction les isoloirs. 

Ceux qu'elle doit convaincre : les élus locaux

Selon un sondage Ifop pour Atlantico, publié le 24 mai, 16% des opposants au mariage pour tous estiment qu'il serait "tout à fait probable" qu'ils votent pour une liste estampillée Manif pour tous aux élections municipales de 2014"Si ce mouvement vient à se structurer politiquement, il y a un espace politique qui peut éventuellement être occupé", a analysé Jérôme Fourquet, de l'institut Ifop. Un espace, voire "un boulevard", estime Philippe Moreau Chevrolet, communicant chez MCBG Conseil et auteur d'un billet pour Le Nouvel Obs.com.

"Le problème de ce type de partis [sur le modèle des "single issue party" américains, construits autour d'une seule revendication], c'est qu'ils peinent à exister au-delà d'une échéance électorale", nuance Vincent Tiberj, lequel rappelle que le système électoral français ne favorise par les petites formations. Alors comment pérenniser la mobilisation ? "J'ai un schéma de sortie", a indiqué Frigide Barjot : mettre la pression sur les élus locaux avant les élections municipales. "On leur proposera de signer une charte pour faire réformer la loi sur la filiation", a-t-elle expliqué. De quoi rappeler une autre pratique inédite mise en place en 2007 : le pacte écologique de Nicolas Hulot.

Surtout, UMP et FN n'ont pas su donner de consignes claires aux militants sur cette question, hypothéquant un éventuel report massif des militants anti-mariage pour tous sur leurs listes, indique Le Monde.fr (articles pour abonnés). Courtisé, L'Avenir pour tous peut donc "influencer les primaires, à l'instar de ce que fait le Tea Party aux Etats-Unis, auprès du parti républicain", prévient Vincent Tiberj. "Les primaires à venir à l'UMP devraient faire figure de test, notamment à Paris où Nathalie Kosciusko-Morizet est considérée comme favorite, quand bien même elle est l'une des rares personnalités de cette stature à s'être prononcée contre l'avis du parti sur cette question", assure le chercheur. 

Ceux qu'elle a déjà convaincus : les jeunes militants 

"Lors des trente dernières années, les mouvements sociaux ont toujours eu un écho politique", a rappelé le politologue Pascal Perrineau, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof-CNRS), cité par Le Monde.fr (article pour abonnés). "La Manif pour tous entérine l'acceptation par la droite de la contestation et de la manifestation comme moyen d'action légitime, indique Vincent Tiberj. Comme avec le CPE, ou après le 21 avril 2002, une nouvelle génération a appris à manifester. Elle a donc plus de chances d'intégrer à plus ou moins long terme les mouvements politiques traditionnels."

A moins que le mouvement ne s'essoufle, comme après le vote du pacs, en 1999 ? "Même si La Manif pour tous a fait douter des gens, et que cela se ressent dans l'opinion publique, les Français sont de plus en plus favorables à l'adoption par les couples homosexuels. En 2000, ils étaient 32%, contre 55% en 2012...", indique le chercheur.  

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