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Info franceinfo Polémique sur l'hommage à Pétain : des membres du Conseil scientifique du Centenaire déplorent "un gâchis"

Après la polémique liée à l'hommage aux maréchaux et les propos d'Emmanuel Macron sur le rôle de Philippe Pétain lors de la Première Guerre mondiale, les historiens du Conseil scientifique du Centenaire ont tenu une "réunion de crise" à Paris.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un jeune homme habillé en poilu lors d'une cérémonie à La Flamengrie (Aisne), le 7 novembre 2018. (LUDOVIC MARIN / POOL / AFP)

Les propos d'Emmanuel Macron sur le maréchal Pétain ont donné lieu à de vifs échanges au sein du Conseil scientifique du Centenaire, une structure composée d'une quarantaine de chercheurs chargés de proposer des orientations à l'Elysée sur les commémorations de la Grande Guerre. Une "réunion de crise" a été organisée à Paris, jeudi 8 novembre, pour mettre fin au trouble suscité par les déclarations du président qualifiant le maréchal Pétain de "grand soldat" entre 1914 et 1918.

"Un contexte de régression polémique"

Selon nos informations, une douzaine de personnes ont participé à ces échanges, sans aboutir à une position officielle commune. Le climat n'a pas été particulièrement animé mais en revanche, "les chercheurs ont exprimé de manière unanime un sentiment de gâchis dans un contexte de régression polémique dans le débat public", raconte l'un d'eux, car ils considèrent que ce Centenaire doit au contraire "restituer la complexité du conflit à l'échelle du monde, refléter l'historiographie récente".

Avant les propos militaristes d'Emmanuel Macron, il y a eu la tribune de Laurent Wauquiez (LR) dans 'Le Monde' pour réclamer des commémorations militaires, celle de Djordje Kuzmanovic (LFI) dans 'Marianne' contre l'Allemagne... Ce n'est pas tout à fait l'esprit d'un centenaire apaisé.

Un historien du Conseil scientifique du Centenaire

à franceinfo

"Le président Antoine Prost souhaitait qu'on adopte une position commune avant la rencontre avec le président de la République, vendredi à Péronne – peut-être pour éviter des forfaits, résume un autre membre du conseil à franceinfo, qui n'a pas pu se rendre à la réunion. Les propos du président ont été une déception sur le plan historique."

Emmanuel Macron parle comme le général de Gaulle il y a cinquante ans, mais l’histoire avance. C’est l’incrédulité. Il y a eu des réactions plus ou moins véhémentes jusque tard dans la soirée dans nos fils de discussions.

Un membre du Conseil scientifique du Centenaire

à franceinfo

Un peu plus tôt, l'Elysée avait toutefois précisé qu'aucun hommage spécifique ne serait rendu au dirigeant de Vichy. "Nous n’avons pas tellement été sollicités, si ce n’est pour rédiger une note sur le sens de 1918, déplore également le membre du conseil à franceinfo. Nous n’avons à aucun moment abordé un éventuel hommage aux maréchaux et nous n’avions pas reçu non plus un programme détaillé des cérémonies".

"Je suis déprimé... Que va-t-il rester ?"

Ces propos témoignent d'une certaine incompréhension entre le Conseil scientifique du Centenaire, dont le rôle est consultatif, et la Mission du Centenaire, une structure interministérielle chargée de la mise en œuvre des commémorations. "Nous proposons, nous suggérons, mais le politique dispose et parfois c’est déconcertant." Mi-octobre, le Conseil scientifique s'était déjà ému de ce futur hommage aux maréchaux. L'Elysée avait alors évoqué un hommage au commandement, puis aux combattants.

Certains chercheurs sont donc tombés de leur chaise quand ils ont appris que les maréchaux seraient bien honorés aux Invalides, à Paris, lors des commémorations. "Nous avons essayé de produire un discours vulgarisé, accessible et juste scientifiquement, déplore un troisième chercheur du conseil scientifique. Et voilà des décisions à l'emporte-pièce et mettent les historiens de la commission en porte-à-faux."

Quand on célèbre un personnage, on le célèbre pour l'intégralité de son œuvre. C'est une erreur historique, d'autant plus dans un contexte européen de remontée des nationalistes qui rend absolument incompréhensible et choquante cette sortie d'Emmanuel Macron.

Un chercheur du Conseil scientifique

à franceinfo

Cet historien préfère mettre l'accent sur le drame intime et familial de la Grande Guerre, marquée par l'obstination des maréchaux et le mythe de l'offensive, une stratégie qui a coûté la vie à des centaines de millions de soldats. "Un hommage à tous ces morts m'aurait paru davantage justifié, poursuit le chercheur. Je suis complètement déprimé. Cela fait vingt ans que je travaille sur la guerre de 1914-1918 et cinq ans que je travaille sur le Centenaire... Que va-t-il rester ?" 

Cet avis sur le "vainqueur de Verdun" et sur "l''erreur historique" d'Emmanuel Macron n'est pas partagé par tous les historiens. Ainsi, Bénédicte Vergez-Chaignon (qui ne fait pas partie du Conseil du Centenaire), interrogée par franceinfo jeudi 7 novembre, estime "qu'il aurait été délicat d'oublier Philippe Pétain pour commémorer 1918".

D'autres historiens préfèrent calmer le jeu

Au sein même du Conseil, certains historiens semblent partager ce point de vue, et prêtent moins d'attention à la polémique. "Ce ne sont pas les propos d'Emmanuel Macron qui sont scandaleux, mais bien l'intervention d'Eric Zemmour hier soir, avec une attaque en règle du travail des historiens et une instrumentalisation des propos du président", répond Yves Le Maner, chargé des commémorations à Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais) durant lesquelles il doit rencontrer Emmanuel Macron. Il n'a pas prévu de lui adresser de griefs sur ce point. 

Mêmes réserves pour François Cochet, qui reconnaît une "forte opposition à l'évocation du maréchal Pétain dans les échanges par SMS ou par mail" tout en dénonçant "les amalgammes et les anachronismes". Selon l'historien, la bonne formule a été trouvée par le général de Gaulle en 1966 : rendre hommage au chef de 1918 tout en dénonçant l'auteur du statut des juifs d'octobre 1940. "C'est une formule qu'Emmanuel Macron a essayé de reprendre et qui lui est aujourd'hui reprochée. Finalement, je ne suis pas certain que les logiques mémorielles aient évolué dans le bon sens." 

Contacté par franceinfo, le président du Conseil scientifique du Centenaire, Antoine Prost, apporte deux commentaires : "Il est normal de réintégrer le général Pétain dans la mémoire de la guerre, comme de Gaulle l'avait fait en 1966" et "Il n'y a pas lieu de le réhabiliter, sa condamnation est définitive". Il ajoute : "Je n'ai pas vu dans la vidéo à l'origine des polémiques la moindre intention du président de réhabiliter Pétain. Ce dernier n'était pas prévu dans la manifestation des Invalides et le président confirme qu'il n'y est toujours pas."

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