La Première Guerre mondiale, "c'est la catastrophe originelle en Allemagne, die Urkatastrophe"
Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale a pris le pas dans la mémoire collective sur la Première en Allemagne qui ne commémore pas le 11-novembre. Pourtant, "sans la Première, la Seconde n'aurait, sans aucun doute, pas eu lieu", affirme Hans Stark, professeur de civilisation allemande à la Sorbonne.
Alors que le 11-novembre, et particulièrement cette année, est lourd de symboles en France, la date n'a pas la même résonnance en Allemagne. Le 11 novembre n'y est pas célébré et encore moins férié. Entre la défaite de l'Allemagne en 1918, le poids de la Seconde Guerre mondiale qui écrase tout outre-Rhin, et la proximité d'une autre date très symbolique - le 9 novembre -, les raisons en sont très nombreuses, comme l'a rappelé, dimanche sur franceinfo, Hans Stark. Il est professeur de civilisation allemande à la Sorbonne et spécialiste de l'Allemagne contemporaine à l'Ifri (Institut français des relations internationales).
franceinfo : On dit souvent que l'Allemagne ne commémore pas l'armistice du 11 novembre parce qu'elle a perdu cette guerre. Y-a-t-il d'autres raisons?
Hans Stark : Oui, et heureusement d'ailleurs, c'est un peu plus complexe que ça. Il est vrai que dans un premier temps, durant l'entre-deux-guerres, et sous le nazisme, on n'a pas fait de commémoration du 11 novembre, parce que c'est une défaite pour l'Allemagne. Mais les raisons sont beaucoup plus profondes. D'abord, la Première Guerre mondiale en Allemagne a été totalement évacuée par la Seconde, dans le sentiment et dans le subconscient collectif des Allemands. Ensuite, la Première Guerre mondiale n'a pas touché le territoire allemand, hormis une bataille au tout début de l'été 1914, en Prusse orientale. Le territoire n'a pas été touché, donc on n'a pas le même rapport à cette guerre que les Français, qui eux ont défendu leur territoire. Il faut aussi prendre en compte un autre fait marquant: c'est le blocus naval, imposé par les Britanniques durant toute la guerre. Il a quand même coûté la vie à 750 000 Allemands à l'époque, morts de sous-alimentation. Et surtout, ce blocus continue au-delà du 11 novembre, jusqu'au traité de Versailles, pour obliger les Allemands à signer. Donc la date du 11 novembre ne marque pas la fin de la guerre pour eux.
En Allemagne, une autre date est plus marquante : celle du 9 novembre, qui est celle de la Nuit de cristal, la date aussi de la chute du mur de Berlin, mais aussi en 1918, à la date de l'abdication de Guillaume II, et au début de la République. On préfère se souvenir de cette date en Allemagne ?
Oui, c'est la date de la proclamation de la République par Monsieur Philipp Scheidemann à Berlin, le 9 novembre 1918. Donc, la date qui marque vraiment l'histoire de l'Allemagne dans toutes les périodes du XXe siècle, c'est bien le 9 novembre, et c'est une autre raison pour laquelle le 11 novembre n'a pas la même importance aujourd'hui en Allemagne qu'en France.
En 2018, en Allemagne, cette guerre de 14-18, il y est en fait très peu fait référence non ?
C'est exact. Pourtant, on connaît les souffrances et suffisamment l'histoire pour savoir que c'était une souffrance inouïe pour les Allemands comme pour les autres Européens à l'époque de 14-18, que de cette Première Guerre mondiale découle la Seconde, sans la Première, la Seconde n'aurait, sans aucun doute, pas eu lieu. Les atrocités commises dans les tranchées durant quatre années ont eu un impact énorme sur toute une génération, qui a été socialisée à travers les brutalités de la Première Guerre mondiale. Hitler, il ne faut pas l'oublier, a fait la Première Guerre mondiale, même s'il n'a pas été en première ligne. La folie de ce dernier est aussi largement due à l'expérience de 14-18. C'est la catastrophe originelle en Allemagne, "die Urkatastrophe", comme on le dit nous, pour tout le 20e siècle.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.