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Inceste : la polémique autour du dessin de Xavier Gorce publié par "Le Monde" en cinq actes

Le dessinateur de presse a annoncé mettre un terme à sa collaboration avec le quotidien, mercredi 20 janvier. La veille, "Le Monde" avait présenté des excuses à ses lecteurs après la publication d'un dessin sur l'inceste qui avait provoqué une vague d'indignation.

Article rédigé par franceinfo
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Un exemplaire du journal Le Monde, daté du 29 octobre 2020. (NICOLAS FARMINE / HANS LUCAS / AFP)

Atteinte à la "liberté" d'outrager dans la presse ou lamentations d'un caricaturiste après un dessin "raté" ? Le dessinateur de presse Xavier Gorce, qui collaborait avec Le Monde depuis 2002, a quitté avec fracas le quotidien du soir, mercredi 20 janvier. Il reproche au journal d'avoir cédé à la pression des réseaux sociaux en s'excusant d'avoir publié un de ses dessins sur l'inceste, jugé choquant par de nombreux internautes. Que s'est-il passé ? Franceinfo revient sur la polémique en cinq actes.

1"Le Monde" publie un dessin sur l'inceste

Xavier Gorce dessinait depuis 2002 ses "Indégivrables", des manchots doués de parole à l'aide desquels il commente l'actualité avec ironie, pour une newsletter quotidienne envoyée aux lecteurs du site du Monde. Dans son édition du "Brief du Monde", datée de mardi matin, le quotidien publie donc un dessin du caricaturiste.

En référence à l'affaire Olivier Duhamel, le croquis intitulé "repères familiaux" montre un manchot demandant à un congénère : "Si j'ai été abusé par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ?"

2Le dessin provoque des réactions outragées

Cette caricature provoque immédiatement la polémique. Au moment où de nombreuses victimes d'inceste témoignent sur les réseaux sociaux, à travers le hashtag #MeTooInceste, et tandis que près d'une personne sur dix serait potentiellement touchée en France, plusieurs personnalités reprochent en effet au Monde de mettre en avant un dessin se moquant des victimes de ces viols et agressions sexuelles. Il lui est aussi reproché de se moquer de la transidentité.

Face à ces indignations, le dessinateur de presse adopte d'abord une attitude bravache, assurant sur Twitter "se régaler" de la polémique naissante et consigner certaines des réactions dans un "plaisir d'esthète".

3"Le Monde" regrette la publication du dessin et présente des excuses

Par la voix de sa direction, Le Monde réagit, mardi après-midi. "Ce dessin peut en effet être lu comme une relativisation de la gravité des faits d'inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres", reconnaît la directrice de la rédaction, Caroline Monnot, dans un message publié sur le site du quotidien.

Le communiqué adresse des excuses aux "lectrices et lecteurs qui ont pu être choqués" par la caricature de Xavier Gorce, et insiste sur "l'engagement" du journal, "illustré par de nombreux articles ces derniers mois, pour une meilleure prise en compte, par la société et par la justice, des actes d'inceste, ainsi qu'en faveur d'une stricte égalité du traitement entre toutes les personnes".

Si Le Monde estime que le dessin polémique "n'aurait pas dû être publié", il ne le censure pas pour autant. La caricature de Xavier Gorce reste accessible sur le blog du dessinateur, toujours hébergé par le quotidien.

4Xavier Gorce claque la porte du "Monde" et assure ne pas avoir été compris

Ces excuses publiques ne sont pas du goût du caricaturiste. "Je leur ai dit que ce dessin était tout à fait défendable, et que faire des excuses sur ce dessin, sous la pression des réseaux [sociaux], c'est une erreur", explique-t-il à Arrêt sur images (article réservé aux abonnés), le mardi soir.

"C'est leur problème, pas le mien. Ils ont publié, ils l'ont regretté après, ils se sont excusés."

Xavier Gorce

à Arrêt sur image

Le lendemain, Xavier Gorce annonce sur Twitter sa "décision personnelle, unilatérale et définitive (...) de cesser de travailler pour Le Monde", estimant que la "liberté ne se négocie pas". Il reçoit aussitôt le soutien de plusieurs personnalités, comme Caroline Fourest, Nicolas Bedos, ou encore le comédien François Morel, qui se fend d'un tweet "Je suis Xavier" faisant référence aux caricatures de Charlie Hebdo.

Xavier Gorce avait un peu plus tôt assuré à Arrêt sur images que plutôt que des excuses, il aurait préféré que Le Monde explique le sens du dessin à ses lecteurs. Quelle était d'ailleurs son intention ? Invité de France Inter jeudi, Xavier Gorce a expliqué que son croquis était une référence claire aux propos tenus par Alain Finkielkraut une semaine plus tôt sur le plateau de LCI. Le philosophe avait relativisé la notion d'inceste dans l'affaire Duhamel, car la victime était "un adolescent", ce qui n'est, selon lui, "pas la même chose" qu'un enfant. Le philosophe aurait également, selon Arrêt sur images, interrogé la notion d'inceste dans l'affaire Duhamel, car le mis en cause est le beau-père de la victime et non son père.

L'extrait toujours disponible en ligne sur le site de LCI ne permet pas de confirmer cette partie des propos d'Alain Finkielkraut, qui servent de justification à Xavier Gorce. Il explique à Arrêt sur images avoir "créé une filiation abracadabrante avec de l'absurde dedans". L'objectif : "jouer avec ces nouvelles familles recomposées dans lesquelles il me semble que la notion d'inceste demeure, même si ce ne sont pas les parents biologiques." Son but, selon Arrêt sur images, était de "se moquer d'Alain Finkielkraut".

5"Le Monde" se défend de toute "censure"

Le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio, interrogé par l'AFP, a défendu la position du journal et pris acte du départ de Xavier Gorce. "C'est une décision de son fait, ce n'était pas notre souhait du tout qu'il cessa sa collaboration", a-t-il assuré.

"Il y a eu une défaillance de notre circuit éditorial, ce dessin était raté et on n'aurait pas dû le publier. Il considère que nos excuses sont un désaveu, mais ce n'est pas un désaveu en soi, ce n'est pas une censure ni une sanction, c'est juste reconnaître notre responsabilité éditoriale."

Jérôme Fenoglio

à l'AFP

Pour le responsable du journal, "la liberté de la presse fonctionne dans les deux sens". A côté de "la liberté pour les dessinateurs de dessiner ce qu'ils veulent, il y a une liberté pour les publications de prendre la décision de publier ce qu'elles veulent", a-t-il souligné. Dans un dernier communiqué publié sur le site du Monde, Jérôme Fenoglio répète qu'avoir présenté des excuses à ses lecteurs n'est "ni une censure (le dessin reste publié) ni, a fortiori, une sanction à l'endroit de notre dessinateur". Le directeur du journal promet en outre que le dessin de presse gardera toute sa place au Monde, annonçant le recrutement prochain d'"un ou une dessinatrice pour succéder à Xavier Gorce" dans sa newsletter.

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