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Atteintes sexuelles dans les transports : "Pourquoi les frotteurs ne savent-ils pas qu'ils risquent cinq ans de prison ?"

L'Observatoire national de la délinquance publie mercredi un rapport sur les atteintes sexuelles dans les transports en commun. Une victime en région parisienne témoigne de son combat pour lancer des campagnes de prévention. 

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
De nombreuses femmes n'osent pas porter plainte après une atteinte sexuelle dans les transports en commun (Photo d'illustration). (MAXPPP)

L'Observatoire national de la délinquance publie mercredi 20 décembre un rapport sur les atteintes sexuelles dans les transports en commun. Jusqu’ici, le phénomène a été rarement quantifié. L'étude estime que 267 000 femmes ont été victimes de frottements, d'attouchements ou d'exhibitions dans les transports de 2014 à 2015. La plupart ont moins de 30 ans, la moitié est usagère des transports en Ile-de-France et peu portent plainte.

Trois agressions en un an 

La ligne 13 du métro parisien, entre Montrouge et Saint-Denis, est fréquentée par Alice, une jeune femme de 25 ans. Arrivée à Paris il y a un an, elle a déjà été trois fois victime d'atteintes sexuelles dans le métro. À chaque fois, le scénario est le même : des hommes, qu’on appelle des "frotteurs", profitent des heures de pointe pour se placer derrière elle. "Il est 16h13, place de Clichy. Il commence à y avoir du monde dans le métro et c’est compliqué d’avoir son petite espace à soi. Et ça laisse un peu plus le champ libre aux frotteurs", témoigne la jeune femme un après-midi de décembre. "Ces hommes frottent leur bassin ou leur pénis. D’autres laissent tomber leurs mains et vous effleurent les fesses", explique-t-elle.

La première fois, je n’ai pas bougé, je n’ai pas réagi, je n’en ai même pas parlé à mon copain. J’étais un peu dans un état bizarre : sidération, culpabilité, sentiment qu’on m’a abusée.

Alice, usagère du métro de la ligne 13 à Paris

à franceinfo

Certains frotteurs coupent l'intérieur de leurs poches de pantalons pour se toucher ou soulèvent les jupes. D'autres montrent leur sexe. Il y a aussi ceux qui se cachent derrière une sacoche ou un journal pour se masturber. Quasiment tous opèrent à l'intérieur de rames en mouvement pour pouvoir fuir entre deux stations s'ils se font repérer.  

Le déclic de la réaction pour dénoncer l'insupportable

Alice a décidé de réagir après avoir discuté avec des amies, des collègues. La jeune femme a réalisé que son cas était loin d'être isolé. Elle a choisi de rédiger une lettre ouverte à la présidente de la RATP, Catherine Gouillard, afin de l'alerter sur une réalité trop souvent passée sous silence. Alice demande bien davantage que la campagne d'affichage déployée dans le métro, il y a deux ans. Elle réclame des affiches dans les rames et des messages audio de mise en garde. En septembre dernier, pour appuyer ses doléances, elle a aussi lancé une pétition recueillant près de 60 000 signatures.

Il y a de l'affichage pour dire aux gens qu’ils n’ont pas le droit de voler, de jeter leurs cigarettes par terre. Pourquoi les frotteurs ne savent pas qu’ils risquent cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ?

Alice

à franceinfo

Alice a frappé aux portes. Elle a été reçue par la présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse, puis par de hauts responsables de la RATP. Une ténacité payante. La jeune femme dit avoir obtenu l'assurance qu'une nouvelle campagne de prévention contre les atteintes sexuelles dans les bus et les métros débuterait fin mars 2018. Elle espère y être associée.  

L'atteinte sexuelle est autre chose qu'une incivilité

Le nombre de plaintes après une atteinte sexuelle dans les transports en commun n'est pas chiffré, mais on se doute que le taux est très bas. Il faut mettre fin à ce tabou, à ce silence, déclare la commissaire Amandine Matricon-Charlot, à la tête de la Sûreté régionale des transports (SRT) en Ile-de-France.

Cette délinquance est tellement ancrée dans l’opinion publique, qu'elle est vue comme une incivilité. Ce n’est pas une incivilité. Mesdames, vous devez déposer plainte.

Amandine Matricon-Charlot, cheffe de la SRT en Ile-de-France

à franceinfo

Pourquoi de nombreuses victimes ne déposent-elles pas plainte ? Par crainte, par lassitude, par manque de temps, répond la commissaire Matricon-Charlot. "Des femmes pensent aussi, à tort, qu’il n’y aura pas de suites données. Les auteurs souvent réitèrent, donc il est important de faire cesser ces comportements", ajoute-t-elle.

Il faut porter plainte, mais rapidement car les images des 40 000 caméras de vidéosurveillance de l'ensemble du réseau RATP ne sont conservés que 72 heures. Pour donner l’alerte au plus vite, si l'on est victime ou témoin de violences sexuelles, on peut aussi utiliser les boutons d'alerte d'urgence dans les rames ou sur les quais. Il est également possible de composer le 3117 par téléphone ou d'envoyer un SMS au 31 177, en précisant sa localisation et en donnant un signalement de son agresseur.

Des profils divers parmi les agresseurs arrêtés

Il arrive que des frotteurs ou même des prédateurs sexuels plus violents encore soient pris en flagrant délit. Une cellule de neuf enquêteurs est totalement dédiée aux abus et délits sexuels dans les transports en Ile-de-France. Frédéric dirige ce groupement créé il y a deux ans et demi. Les profils des gens repérés sont très variés, explique ce policier. "Ils concernent des jeunes de 12-13 ans. Le record d’âge va jusqu’à 83 ans." Dans son bureau, les photos des gens recherchés sont affichées sur un mur.

Là, sur la ligne 3, vous avez plutôt le BCBG, là le jeune cadre sur le secteur de La Défense, là un très jeune qui sort de soirée. Il y a deux grosses tendances : ceux qui vont profiter de l’heure de pointe et ceux qui vont profiter des transports en commun lorsqu'il n’y a personne.

Frédéric, policier

à franceinfo

Comment réagissent les auteurs d'atteintes sexuelles ? "Certains nient d’autres minimisent, ou retournent la situation en disant qu’ils ont été provoqués", précise le policier. 

En 2017, le groupe d'enquêteurs dirigé par Frédéric a traité 350 plaintes. Dans 80% des cas, qu’ils soient frotteurs ou prédateurs, les hommes interpellés ont été présentés à un juge. Un tiers d’entre eux a écopé d'une peine de prison.

Atteintes sexuelles dans les transports en commun : peu de victimes portent plainte - un reportage de Mathilde Lemaire

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