Définition pénale du viol : cinq questions sur l'intégration de la notion de non-consentement dans le droit français

Emmanuel Macron s'y est dit favorable, tout en maintenant son opposition à une définition commune du viol à l'échelle européenne.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 8min
Emmanuel Macron lors de la cérémonie de scellement de la "liberté garantie" de recourir à l'avortement dans la Constitution, en marge de la journée des droits des femmes, le 8 mars 2024. (GONZALO FUENTES / AFP)

La législation française sur le viol est-elle en passe d'évoluer ? Emmanuel Macron l'a laissé entendre lors de la journée des droits des femmes, vendredi 8 mars. Le président français a déclaré, au détour d'une conversation avec une association féministe, qu'il souhaitait inscrire le consentement "dans le droit français". Cette notion s'est imposée dans le débat public depuis l'onde de choc provoquée par le mouvement #MeToo et la publication du livre de Vanessa Springora, Le Consentement, sur sa relation avec l'écrivain Gabriel Matzneff quand elle avait 14 ans et lui 50.

Cette prise de position du chef de l'Etat, alors que la France reste opposée à une définition commune du viol à l'échelle européenne basée sur l'absence de consentement, a suscité des interrogations. Franceinfo revient sur cinq de ces questions.

1 Qu'a vraiment déclaré Emmanuel Macron ? 

Le président a tenu ces propos lors de la cérémonie de scellement de la "liberté garantie" de recourir à l'avortement dans la Constitution, et en marge de la Journée des droits des femmes. Alors qu'il discutait avec des membres de l'association Choisir la cause des femmes, fondée par l'avocate Gisèle Halimi, Emmanuel Macron a été interrogé sur le débat actuel autour de l'inscription de la notion de consentement en matière de viol dans le droit français. "Qu'on l'intègre dans le droit français, que le consentement puisse être inscrit, ça je l'entends tout à fait", "je vais l'inscrire dans le droit français", a-t-il déclaré dans cet échange filmé avec la présidente de l'association, Violaine Lucas.

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Le chef de l'Etat ne s'est pas montré plus précis sur les contours et un éventuel calendrier de cette décision. Sollicité pour obtenir davantage de précisions par franceinfo, l'Elysée n'avait pas réagi jeudi. 

2 Cette déclaration remet-elle en cause la position de la France au niveau européen ? 

"Le viol n'est pas un eurocrime", a néanmoins répété Emmanuel Macron dans la vidéo, réaffirmant la position de la France au niveau européen. "Ça ne rentre pas dans cette catégorie." Début février, le Parlement européen et les pays de l'Union européenne (UE) ont trouvé un accord sur une première directive contre les violences faites aux femmes, mais échoué à s'entendre sur une définition commune du viol, en raison de l'opposition de plusieurs pays, dont la France. 

Paris estime notamment que le viol n'a pas la dimension transfrontalière nécessaire pour harmoniser la législation au niveau européen. Actuellement, seules les infractions mentionnées dans l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'UE (document PDF) sont considérées comme des eurocrimes : le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. La France et l'Allemagne estiment aussi qu'il y a un risque que le texte soit retoqué en cas de recours devant la justice européenne. 

La Commission européenne et le Parlement considèrent pourtant que le viol peut entrer dans le cadre de l'"exploitation sexuelle des femmes" et souhaitent une définition commune basée sur l'absence de consentement.

3 Que prévoit le droit français en matière de viol ?

A l'heure actuelle, l'article 222-23 du Code pénal définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise".

Des voix s'élèvent depuis plusieurs mois pour revoir cette conception. Une redéfinition pénale du viol est sur la table, avec le lancement d'une mission d'information, en décembre, de la délégation aux Droits des femmes de l'Assemblée nationale sur la question. Ses deux rapporteuses, la députée Renaissance de Haute-Savoie Véronique Riotton et la députée Les Ecologistes du Rhône Marie-Charlotte Garin, devraient rendre leurs conclusions mi-avril.

Deux propositions de loi pour introduire la notion de consentement dans cette définition ont par ailleurs été déposées, l'une à l'automne par la sénatrice écologiste Mélanie Vogel et l'autre en février par la députée La France insoumise de Paris, Sarah Legrain.

4 Que changerait l'introduction dans le droit de la notion de consentement ? 

Les partisans de cette réforme, comme Sarah Legrain, accusent "la définition actuelle du viol et son interprétation" d'être "une des raisons pour lesquelles il y a beaucoup de classements sans suite aujourd'hui en France, notamment les cas de sidération, de dissociation ou d'emprise". Selon la députée insoumise, le consentement "ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance de la victime". "La difficulté, abonde sur franceinfo Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à Paris-Nanterre, c'est que si on ne peut pas démontrer un de ces quatre modes opératoires [violence, contrainte, menace ou surprise], le viol ne peut pas être démontré". Selon cette spécialiste, l'introduction du terme de "consentement" permettrait donc d'inverser l'approche de l'enquête à mener.   

D'autres voix s'élèvent pour mettre en garde sur cet inversement de la charge de la preuve. A commencer par le garde des Sceaux lui-même. Lors d'une audition devant la délégation aux droits des femmes du Sénat, le 1er février, Eric Dupond-Moretti avait estimé que le "risque majeur" d'un tel changement était "de faire peser la preuve du consentement sur la victime, alors que le seul responsable du viol, c'est le violeur". Le ministre de la Justice a nuancé sa position dans une interview au Figaro Madame, publiée le 8 mars. "Si j'appelle à la prudence s'agissant de la loi pénale (…), je ne m'interdis aucune réflexion sur la question de la définition du viol", a-t-il déclaré.

5 Comment les déclarations d'Emmanuel Macron ont-elles été accueillies ? 

Dans le milieu associatif, on espère que l'intervention d'Emmanuel Macron soit "plus qu'un effet d'annonce", a réagi sur franceinfo Maria Cornaz Bassoli, secrétaire nationale de l'association Choisir la cause des femmes. La responsable de l'association reste prudente, puisque le président de la République n'a communiqué aucun calendrier précis. "C'est une annonce qui a pu nous étonner fortement", reconnaît-elle, "surtout après l'opposition ferme d'Emmanuel Macron a une définition commune du viol au niveau européen".

"S'il le fait, c'est une bonne nouvelle", a appuyé auprès de l'AFP Violaine Lucas, avec qui le chef de l'Etat avait échangé. "Cela va nous permettre d'approfondir ce que Gisèle Halimi avait commencé à faire en 1978 lors du procès d'Aix-en-Provence", en référence au procès emblématique de l'affaire Tonglet-Castellano, qui contribua à faire reconnaître par la loi le viol comme un crime.

Du côté politique, la députée écologiste Marie-Charlotte Garin, co-rapporteure de la mission parlementaire sur la définition pénale du viol, a également qualifié ces déclarations de "bonne nouvelle pour les droits des femmes". 

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