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Document franceinfo "Ça s'est passé l'été de mes 12 ans" : la lettre ouverte de Lilou, qui accuse son grand-père de viols et se bat pour être entendue par la justice

Article rédigé par David Di Giacomo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Deux ans après sa création, la Ciivise, la commission dédiée à la lutte contre l'inceste et les violences sexuelles faites aux mineurs, annonce avoir reçu 27 000 témoignages. Illustration. (MOMENT RF / GETTY IMAGES)
Il y a trois ans, alors qu'elle avait 15 ans, Lilou a dénoncé son grand-père qu'elle accuse de viols, et décide aujourd'hui de témoigner "pour qu'il ne fasse pas la même chose" à d'autres. Soutenue par ses parents, elle se bat pour que son grand-père soit condamné.

Alors que la Ciivise, la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux mineurs, dresse jeudi 21 septembre le bilan de ses deux ans d'existence, avec plus de 27 000 témoignages reçus, franceinfo a recueilli celui d'une jeune fille qui accuse son grand-père de viols. Mais depuis sa plainte déposée il y a trois ans, à l'âge de 15 ans, elle a le sentiment que ses accusations d'inceste n'ont pas été prises au sérieux.

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Celui que Lilou accuse de viols, c'est son grand-père paternel, un chef d'entreprise de la région de Besançon. "Ça s'est passé l'été de mes 12 ans, quand on partait en vacances ou à son domicile. Il faisait toujours ça caché des yeux de ma grand-mère", raconte la jeune fille âgée aujourd'hui de 18 ans. Si elle décide de parler, c'est "aussi pour qu'il ne fasse pas la même chose à ma petite sœur et ma cousine", explique-t-elle à franceinfo.

Après trois ans de procédure, Lilou estime que la justice ne l'a pas écoutée. Elle a décidé d'écrire une lettre ouverte pour dénoncer sa situation. Une lettre que publie aujourd'hui franceinfo.


Aujourd’hui, je suis là, j’ai 18 ans et je viens dénoncer les viols que j’ai subis quand j’avais 12 ans par mon grand-père, un entrepreneur dans la région de Besançon. Ça fait trois ans maintenant que je suis sortie du silence et que j’ai déposé plainte. J’ai parlé pour qu’il ne fasse pas la même chose, à ma cousine et à ma petite sœur. 

Il achetait mon silence, en me faisant faire des tours en hélicoptère, en m’achetant plein d’habits et en me donnant cinquante euros en liquide à chaque fois qu’on se voyait. Il me disait de me taire, et que si je le disais à ma maman, on n’allait plus pouvoir se voir. Il me faisait conduire à douze ans sa Ferrari rouge et sa Mercedes, sur les deux fois deux voies, de nuit. Une fois on a même croisé la police, et lui, ça le faisait rire, c’était normal. Il n’y a aucune loi qui le touche et qui l’atteint, il se sent supérieur à tout ça. Est-ce que cela lui donne le droit de me mettre en danger, et même d’en venir à me violer ?

Juste après avoir parlé à mes parents, on a fait une réunion avec les membres de ma famille à l’issue de laquelle il a reconnu que tout ce que j’avais dit était vrai. Toute ma famille est au courant que c’est un violeur, et maintenant, c’est à la justice de le dire. Alors je vais me battre, pour que toute la vérité soit faite.

Lilou

 

J’ai été interrogée quatre fois, dont deux confrontations contre mon grand-père. En arrivant, on me disait à chaque fois : "Alors maintenant, Lilou, tu vas nous redire tout ce qu’il s’est passé, en parlant uniquement des faits, alors on t’écoute". Et quand on demande à l’accusé ce qu’il a à répondre, il dit qu’il n’a rien à dire, que c’est faux. La justice se contente de ça. 

Lors de la première confrontation, on était six dans une pièce de huit mètres carrés, j’étais assise à moitié dans une armoire. Lors de mon interrogatoire avec la juge, que j’attendais depuis deux ans, c’est une personne se présentant comme la stagiaire de la magistrate qui me reçoit. A la fin de ses questions, cette magistrate stagiaire me demande si j’ai quelque chose à rajouter, mais me dit aussi qu’il n’y a plus de temps et donc qu’on doit terminer.  

Mes quatre auditions sont toutes identiques au détail prêt, la justice le dit. Des enregistrements téléphoniques le confirment. Mais que vous faut-il de plus ?

La justice, l’enquêteur, la juge me disent qu’ils sont là pour m’écouter, pour m’entendre. Mais c’est faux. J’ai beau le répéter, et le répéter, je n’arrive pas à me faire entendre, à me faire comprendre.

Lilou

 

L’enquêteur nous a dit dès le début : "Il ne faut en parler à personne, on fait notre enquête, laissez-nous faire". Eh bien ! quand je vois la manière dont l’enquête a été menée jusqu’à maintenant ! Tout cela doit changer, les choses doivent prendre une autre tournure et prendre le chemin de la vérité. Si on ne peut même plus compter sur la justice dans ce genre de procédure, alors vers qui devons-nous aller ? 

Moi, je me pose quand même une question. À partir de quand aurons-nous affaire à des professionnels ? Monsieur le ministre de la Justice, que faut-il faire pour que ces affaires soient prises au sérieux ? 

Le procureur de Besançon suggère un non-lieu, eh bien ! je crie au scandale, nous sommes dans une procédure qui est bâclée. Vous imaginez ce que je ressens. 

J’en appelle au président de la République, Emmanuel Macron, vous qui avez, début 2021, affirmé : "On est là, on vous écoute, on vous croit, et vous ne serez plus, jamais seuls". Eh bien ! sachez qu’aujourd’hui, je me sens seule. On me dit que je ne suis qu’une menteuse. Mes parents sont derrière moi, me soutiennent, et la justice conclut qu’ils me manipulent. 

En tout cas, Monsieur Emmanuel Macron, je pense qu’à Besançon, ils ne vous ont pas entendu.

Lilou


Entendu en garde à vue, le grand-père de Lilou explique que sa petite-fille a été manipulée par ses parents, pour obtenir de l'argent, sur fond de conflit familial. Un conflit familial entre le grand-père et le père de Lilou qui fragilise les accusations de Lilou, selon le parquet. De leur côté, les parents assurent qu’il n’y avait pas de conflit, puisqu’ils ont laissé Lilou partir en vacances chez son grand-père, et que le vrai conflit est né suite aux révélations de Lilou. 

Un non-lieu requis par le parquet de Besançon

Placé sous le statut de témoin assisté, le grand-père de Lilou attend maintenant de savoir si le non-lieu requis par le parquet de Besançon sera suivi par le juge d'instruction. Une situation incompréhensible pour les avocats de Lilou, Didier Seban et Marine Allali. "Lilou vient nous raconter des faits extrêmement graves, il y a un conflit dans la famille, et on ne peut pas savoir la vérité et on s'arrête-là. S'arrêter à dire 'c'est parole contre parole", c'est trop facile et ça évite aux enquêteurs et aux magistrats de voir leur responsabilité dans ces non-lieux", déplore Marine Allali. Avant d'ajouter : "Il y a dans ce dossier des charges suffisantes pour mettre en examen le mis en cause, et en poursuivant les investigations, le renvoyer devant une cour d’assises."

Tous les deux estiment que dans cette affaire, l’enquête a été bâclée dès le début. Marine Allali souligne qu’un seul enquêteur a mené toutes les auditions, qu’il n’a entendu le grand-père en garde à vue qu’à une seule reprise, en dehors de la confrontation avec sa petite-fille. Elle demande donc, dans le cadre de ses observations suite au réquisitoire définitif de non-lieu, que les investigations reprennent avec un nouvel enquêteur.

"Quand notre fille nous l’a dit, on l’a tout de suite crue et on se battra jusqu’au bout avec elle."

Patricia

à franceinfo

En mars dernier, les parents de Lilou se sont rendus à une réunion publique de la Ciivise à Dijon. " On y est allé pour témoigner en tant que parents de la victime. On a même été surpris, parce qu’à la fin, on a été applaudi et les gens sont venus nous voir en nous disant 'on aurait voulu avoir des parents qui nous croient et qui nous soutiennent !'", raconte Patricia, sa maman. "Quand notre fille nous l’a dit, on l’a tout de suite crue et on se battra jusqu’au bout avec elle."

De son côté, le nouvel avocat du grand-père de Lilou, maître Frédéric Berna, se dit " scandalisé par le fait que la presse soit instrumentalisée par la partie civile", qui a décidé de sortir du silence. La juge qui a instruit le dossier a désormais quitté la juridiction de Besançon. Un nouveau juge d’instruction doit donc reprendre et relire le dossier, avant de se prononcer suite au réquisitoire définitif de non-lieu pris au mois de juillet par le procureur de Besançon.

Inceste : le témoignage de Lilou au micro de David Di Giacomo

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