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"Montrez que vous êtes humains" : comment les gendarmes se forment aux violences familiales

Franceinfo a suivi une demi-journée de formation proposée par la gendarmerie dans le département du Loiret. Stylo en main, les participants sont venus chercher des réponses pour mieux accueillir les victimes et "libérer la parole des femmes".

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Dix-neufs gendarmes suivent une formation sur l'accueil et la prise en charge des victimes de violences intrafamiliales, à Orléans (Loiret), le 12 décembre 2019. (GUILLEMETTE JEANNOT / FRANCEINFO)

"Votre partenaire ou ancien partenaire s'est-il déjà montré violent envers vous ?" C'est une des 23 questions de la grille d'évaluation du danger face aux violences conjugales élaborée par le ministère de l'intérieur à l'issue du Grenelle des violences faites aux femmes, clôt le 25 novembre dernier. Ce questionnaire est distribué à l'ensemble des policiers et gendarmes depuis fin novembre.

Au groupement de gendarmerie du Loiret, département pilote de la région Centre-Val de Loire, le chef d'escadron Véronique Angelotti n'a pas attendu pour sensibiliser ses équipes aux violences intrafamiliales. Ainsi, la gendarmerie d'Orléans forme, depuis mai, ses militaires à une meilleure prise en compte de la violence, de sa détection jusqu'à la prise en charge de la victime. Franceinfo a suivi une demi-journée de ce programme, le 12 décembre dernier.

Trois hommes sur dix-neuf participants

Depuis le début de l'année, trois femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon dans le Loiret. C'est "trois de trop", reconnaît le chef d'escadron Véronique Angelotti, qui souligne la volonté commune, entre les forces de l'ordre et les parquets d'Orléans et de Montargis, d'améliorer la prise en charge des victimes de violences. "Le parquet prend des décisions de plus en plus rapides pour éviter le féminicide", note Véronique Angelotti. "Ses réponses se sont durcies."

Aujourd'hui lorsqu'une victime dépose une plainte si les faits sont clairement avérés, la garde à vue de l'auteur est systématique.

Véronique Angelotti

à franceinfo

En ce quatrième jour de formation, les 19 gendarmes, installés à des tables disposées en U, face aux intervenants, sont attentifs. Dans cette grande salle, la lumière grise d'une journée pluvieuse pénètre difficilement. Parmi les stagiaires volontaires, seulement trois hommes sont présents alors qu'ils représentent 82% des effectifs de la gendarmerie nationale.

Cahier ouvert et stylo en main, tous sont venus chercher des réponses outillées pour "libérer la parole des femmes et des mineurs, qui sont majoritairement les victimes de violence au sein du cercle familiale", précise l'adjudante Géraldine Lemarchand. Elle est l'un des 1 740 référents nationaux en brigade qui assurent la sensibilisation régulière de ses collègues à l'accueil et à l'écoute des victimes.

L'adjudante lance la première question à l'auditoire : "Quels sont les types de victimes ?" "Les femmes", répondent à l'unisson les participants. "En France, une femme meurt tous les deux jours et demi", rappelle l'intervenante. Et d'ajouter : "Un homme meurt tous les 14 jours. Et dans la moitié des cas, les femmes subissaient des violences de sa part." Les autres victimes de ces violences intrafamiliales sont les enfants.

Les violences qu'endurent directement ou indirectement les enfants ont les mêmes conséquences que sur les victimes directes. 

Géraldine Lemarchand

à franceinfo

Victimes collatérales, ces mineurs n'ont pas la parole facile quand les gendarmes les invitent à raconter ce qu'ils ont vu ou subi. "C'est difficile de les faire parler sans qu'ils se ferment. Il faut gagner leur confiance rapidement et en même temps ils veulent protéger leurs parents, ce qui est normal", livre une des stagiaires, qui suit cette formation pour justement avoir des clés pour faire parler les enfants.

Questions-réponses

Comprendre la victime et ses mécaniques de défense est essentiel pour les gendarmes. Mais cerner la logique qui anime les auteurs de violences l'est tout autant. Véronique Angelotti et ses équipes ont intégré dans le programme de cette semaine de formation l'intervention de psycho-cliniciens afin qu'ils expliquent, lors de la deuxième journée, la vision de l'auteur quand il agit : "70% des auteurs sont des névrotiques, 20% des pervers et les 10% restant des paranoïaques mégalomaniaques." En les citant et redonnant la définition de chacun, Géraldine Lemarchand rappelle aux stagiaires l'importance de bien cibler les auteurs afin d'orienter le parquet sur une éventuelle demande d'expertise. 

Identifier clairement la violence qu'ils exercent permet aux gendarmes de qualifier les faits. Chaque type de violence peut entraîner une sanction pénale contrairement au harcèlement qui amène "au classement sans suite", précise l'adjudante.

Il vaut mieux caractériser le contrôle des allées et venues, l'isolement ou des menaces de mort ou de suicide comme des 'violences psychiques' que du 'harcèlement' pour pouvoir agir.

Géraldine Lemarchand

à franceinfo

Interrogés sur les autres types de violence, les stagiaires s'empressent de répondre. Il y a les violences verbales "comme chuchoter à longueur de temps dans l'oreille 'T'es nulle", dit l'un. Les violences physiques directes ou indirectes "où la victime vous montre une porte défoncée dans le but d'intimider", répond un autre. Les violences sexuelles où la victime est "contrainte à faire des choses qu'elle ne veut pas", détaille le suivant. Il y a aussi les violences économiques "en lui ôtant la possibilité de travailler" et les violences administratives "en lui confisquant ses papiers d'identité ou ceux de ses enfants", finit d'énumérer l'intervenante. Ainsi isolée et démunie, la victime met beaucoup plus de temps à effectuer des démarches pour s'en sortir.

Etre à l'écoute et "accepter les silences" 

"En moyenne, une femme tente six départs avant le définitif", rappelle l'adjudante. "La peur l'empêche de porter plainte." Peur des représailles parce qu'"il s'est excusé donc ça va aller mieux", peur parce qu'elle n'a "rien à côté", peur parce qu'elle est malade et que "c'est lui qui a la carte vitale". Les exemples fusent du côté des stagiaires qui constatent souvent que ces femmes craignent, par leur décision, d'éclater le cercle familial et de perdre la garde des enfants.

Lorsque la victime ose venir jusqu'à la gendarmerie, "l'accueil est primordial", souligne Géraldine Lemarchand. "Et même si c'est la énième fois qu'elle vient, la victime doit être prise au sérieux, insiste-t-elle. Sans atermoiement." Les miliaires acquiescent de la tête cette évidence entendue. "Proposez-lui un mouchoir, un verre d'eau", poursuit l'adjudante. "Montrez que vous êtes humains avant tout car votre tenue peut faire peur." Dès l'arrivée de la victime, les gendarmes sont invités à l'isoler et à écouter son histoire. "Il faut lui laisser le temps de parler, acceptez ses silences, ne coupez jamais le lien en faisant autre chose", précise-t-elle. "C'est seulement lors de son audition que vous poserez les bonnes questions."

Quand on reçoit une victime, il ne faut pas poser la question 'pourquoi' parce que c'est hyper culpabilisant.

Un participant à la formation

à franceinfo

Afin de poser ces "bonnes" questions, les gendarmes doivent garder en tête le "cycle de la violence". Cet enchaînement sans fin qui va d'un climat de tension à l'agression. Puis la victime agressée se justifie en vue d'une réconciliation qui dure quelque temps avant que le climat de tension ne revienne. "Dans l'audition si on peut faire ressortir ce cycle, ce sont des informations importantes à donner au parquet", précise Géraldine Lemarchand.

Les diapositives défilent sur le grand tableau blanc au rythme de l'intervention de l'adjudante qui termine sur les attentes des victimes. "Souvent elles méconnaissent leurs droits et c'est à nous de leur donner les bonnes informations", rappelle-t-elle. "En lui expliquant ce qu'il va se passer de son dépôt de plainte à la convocation de l'auteur en passant par son audition et celle de son entourage." Tout en respectant le temps de la victime car souvent, "elle ne peut pas se déplacer facilement", remarque un des participants, ayant en mémoire une femme qui avait pris sur l'heure des courses que lui autorisait son mari pour venir les voir.

De l'importance des associations

Le temps de la pause approche. Tranquillement, les stagiaires sortent prendre l'air quelques instants avant d'écouter, Bastien Gatelier, l'un des membres de l'association Laé, référente pour l'accueil des victimes de violences dans le Loiret. Chaque département en possède une, accessible via le 3919. De retour dans la salle aux néons désormais allumés, les stagiaires échangent encore quelques mots à propos des difficultés qu'ils rencontrent quand les victimes ne veulent pas porter plainte. L'adjudante leur rappelle alors qu'ils peuvent directement effectuer un signalement au parquet quand il y a au sein du couple des enfants en "danger imminent".

"Et puis il y a les associations partenaires des forces de l'ordre", ajoute Bastien Gatelier, l'un des deux intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG) du département, qui en profite pour débuter son intervention. Invitant dans la foulée les stagiaires à communiquer les coordonnées de l'association Laé à toute victime qui se présente à eux. Ces associations jouent un rôle essentiel d'aide et de soutien auprès des victimes. L'année dernière, l'association Laé a accompagné 561 femmes dans leur dépôt de plainte, permettant à la justice d'agir.

Chaque semaine, l'ISCG reçoit les comptes-rendus des interventions des gendarmes et policiers d'Orléans, Pithiviers, Gien et Montargis. Il a également accès aux mains courantes et en fonction des déclarations, il appelle la victime afin de la rencontrer.

N'importe qui peut être concerné par les violences conjugales. C'est un phénomène social fortement développé qui résulte de l'histoire culturelle des sociétés fondées sur la domination masculine.

Bastien Gatelier

à franceinfo

Bastien Gatelier rappelle aussi l'existence d'outils d'aide pour les victimes de violences, comme l'application mobile APP-Elles. Celle-ci permet d'alerter trois contacts de confiance en donnant sa position. "Cela peut être une alternative au Téléphone Grave Danger, qui est attribué suite à une décision de justice. Et quand il y en a un de disponible, c'est 48 heures de délai d'attribution", regrette celui qui le matin même a fait une demande auprès du procureur.

D'autres solutions existent quand les gendarmes sont face à une situation d'urgence : comme le Samu social, joignable au 115, ou les logements d'urgence dans les communes, les SAI, Service d'accueil immédiat. A l'issue du Grenelle des violence conjugales, 1 000 places d'hébergement pour les femmes victimes de violences doivent être créées en 2020. 

La nuit tombe sur la caserne. Chacun ramasse ses notes et remet sa veste siglée "gendarmerie". "La prochaine fois que j'accueillerai une victime je saurai comment lui répondre", conclut un des trois stagiaires masculins qui ne se sentait jusqu'à présent pas très à l'aise avec les victimes femmes.

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