: Vidéo Violences sexuelles faites aux enfants : "La priorité est de mettre en sécurité" les victimes, intime le co-président de la Ciivise
"Il faut poser les bonnes questions" et ne "pas attendre la révélation" de l'enfant, insiste l'ex-juge pour enfant Édouard Durand, co-président de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants qui rend ses premières préconisations.
"La priorité c'est de mettre en sécurité" les 160 000 enfants victimes chaque année de violences sexuelles, exige le juge des enfants Édouard Durand, co-président de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), grand témoin de franceinfo jeudi 31 mars. Créée par le gouvernement, la Ciivise, dont les travaux commencés il y a un an continuent jusqu'en 2023, publie à mi-parcours ses "conclusions intermédiaires", avec vingt préconisations. "La société, aujourd'hui, doit comprendre que les agresseurs attaquent tout et que ces personnes qui ont été victimes ont une puissance vitale exceptionnelle", a-t-il ajouté.
franceinfo : Depuis un an, 11 000 personnes vous ont contacté pour témoigner de ce qu'elles ont subi. Certaines parlent pour la première fois. Est-ce que vous vous attendiez à une telle vague ?
C'est une belle surprise et ça montre à quel point cet espace de solidarité, de connexion avec une conscience sociale, était nécessaire et attendu. Le jour du lancement de l'appel à témoignages, le 21 septembre dernier, de nombreuses personnes disaient : "J'ai attendu ce moment toute ma vie." Chaque témoignage est unique et d'une force très impressionnante. Je pense particulièrement à une femme qui avait demandé à être reçue à la commission et que j'avais auditionnée. Elle venait d'emménager dans une maison.
"À chaque fois que la chaudière de sa maison se déclenchait, elle avait un malaise. Quelques mois plus tard, elle a compris que ce malaise était lié au fait que son père commettait les viols contre la chaudière."
Édouard Durand, co-président de la Ciiviseà franceinfo
L'amnésie traumatique, elle l'a analysée avec le déclic de la chaudière. Elle a compris ce malaise. Quand vous entendez ça, vous êtes sidéré. Plus tard, cette femme nous a écrit et nous a dit : "Je n'arrivais pas à avoir d'enfant. Un mois après l'audition, j'ai découvert que j'étais enceinte." La société, aujourd'hui, doit comprendre que les agresseurs attaquent tout et que ces personnes qui ont été victimes ont une puissance vitale exceptionnelle.
La Commission dit qu'il faut passer d'un système d'impunité à une culture de la protection. Pour ça, vous faites 20 propositions notamment sur la détection des enfants victimes. Que doit-on améliorer ?
Malheureusement, nous vivons dans un monde où il y a des enfants qui sont violés et agressés sexuellement. La priorité, c'est d'aller les chercher pour les mettre en sécurité. Or, l'agresseur impose à l'enfant le secret. "Si tu parles, je te tue. Si tu parles, tu vas détruire la famille. De toute façon, personne ne te croira." Ça veut dire qu'il faut poser les bonnes questions. "Est-ce que quelqu'un t'a déjà fait du mal ? Quand tu as peur, qu'est-ce qui se passe ? Comment ça se passe à la maison ? Quand tu es seul, à quoi tu penses ?" Et l'enfant, non seulement parle, mais il comprend qu'il peut faire confiance. Quand je demande à un enfant qui n'a pas vécu de violences si quelqu'un lui a déjà fait du mal, il va dire par exemple : "Oui, Jonathan m'a tiré les cheveux parce que je lui avais pris son ballon." Mais si l'enfant est victime de violences, il réfléchit un peu et vous voyez dans ses yeux qu'il se dit : "Je peux lui dire, il sera capable d'encaisser le choc et il ou elle va me protéger." Il ne faut pas attendre la révélation. Il faut dire à l'enfant qu'on peut entendre.
Vous souhaitez que les médecins aient désormais l'obligation de signaler les violences à la justice. Cela veut dire qu'il faut mettre de côté, dans ces cas-là, le secret médical ?
C'est extrêmement important que les règles soient claires pour protéger les enfants et pour protéger les médecins. Dès qu'un médecin comprend qu'un enfant est possiblement victime de violences sexuelles, il doit le signaler au procureur de la République pour que les enquêteurs fassent leur travail. Associé à ça, il faut protéger les médecins des poursuites disciplinaires.
"La société est trop dans l'injonction paradoxale. Elle dit : 'Il faut protéger les enfants mais nous ne voulons pas voir les violences sexuelles.'"
Édouard Durandà franceinfo
Cela doit changer par l'obligation de signalement et par la protection contre les poursuites disciplinaires.
70% des plaintes pour violences sexuelles contre des enfants pour des faits d'inceste sont aujourd'hui classées sans suite. Il faut, selon vous, obliger les juges à expliquer la décision aux victimes. Quelle forme cela doit prendre ?
Cela doit prendre la forme d'un rendez-vous où on parle. Vous savez, les enfants comprennent. Et quand les enfants sont devenus des adultes, ils ont aussi besoin d'une explication. Nous allons lutter contre ces 70% de classements sans suite. Mais en l'état, une des urgences, c'est la capacité d'expliquer ce qui se passe. Parce qu'on dit souvent, c'est parole contre parole. Mais la parole d'un enfant, elle compte elle aussi. Et puis, nous allons beaucoup plus loin. Nous disons qu'il faut donner à la victime toute sa place dans un procès pénal. Elle doit pouvoir contester les décisions qui la concernent. Aujourd'hui, une victime ne peut faire appel que des décisions sur l'indemnisation mais pas sur la culpabilité. Les victimes nous disent qu'elles ont pris perpétuité et que leur agresseur, lui, se promène dans la rue. Est-ce que c'est normal ? La victime a le droit de dire : je ne suis pas d'accord.
Vous dites également qu'il faut proposer des soins adaptés aux victimes, même si cela se passe des années et des années après les faits ?
La personne la plus âgée qui a témoigné devant la commission a 74 ans. Elle a raconté des faits qu'elle avait subi il y a 60 ans.
"Cette femme de 74 ans n'a pas raconté un mauvais souvenir, elle a raconté le présent perpétuel de la souffrance."
Édouard Durandà franceinfo
Elle a raconté l'aujourd'hui du passage à l'acte. Or, les soins existent. La question est : voulons-nous que cette petite fille, ce petit garçon, puisse dormir la nuit ? Voulons-nous que cet enfant puisse jouer avec ses camarades ? Voulons-nous qu'il puisse apprendre à lire et à écrire ? Voulons-nous que cette femme puisse avoir des enfants, vivre sa vie de femme ou d'homme sans le présent perpétuel de la souffrance ? Ces soins existent, ils doivent être dispensés. C'est une question de justice et d'urgence.
La CIIVISE publie aujourd'hui ses conclusions intermédiaires.
— Commission indépendante inceste (@CIIVISE_contact) March 31, 2022
️En quelques mois, la CIIVISE a reçu plus de 11 000 témoignages. Elle a auditionné de nombreux experts, effectué des déplacements dans plusieurs services spécialisés.#inceste #ViolencesSexuelles pic.twitter.com/LYXNYwpMdJ
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