Violences sexuelles en politique : comment les partis recueillent et gèrent les accusations et les signalements ?
La question du recueil de la parole des victimes présumées au sein des partis politiques se pose, notamment après les accusations portées contre Damien Abad ou, avant lui, Taha Bouhafs.
Tout récemment nommé ministre, l’ex-LR Damien Abad est accusé de viols par deux femmes. Le LFI Taha Bouhafs a dû se retirer des législatives en raison des soupçons qui pesaient contre lui. Des affaires émergent sans cesse depuis #MeToo et la libération de la parole des femmes. Comment sont-elles gérées au sein des partis ? Selon l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique créé en février 2022, il existe "une différence culturelle" sur la question des violences sexistes et sexuelles : la gauche est attentive à ces pratiques, la droite s'y intéresse peu, voire pas du tout. Une chose est certaine, même si certains responsables le nient, ces violences sexuelles traversent tous les partis. La gauche, qui veut être en adéquation avec les revendications d’égalité portées dans le contexte post #MeToo, doit être attentive à ces pratiques. À droite en revanche, on a encore l’impression d’un discrédit de la parole des femmes. Que les affaires Abad ou Darmanin n’aient pas émergé à LR montre bien qu’il y a un problème, pointe l’Observatoire.
EELV, le parti le plus en pointe
L'un des partis les plus en pointe sur le sujet des affaires de violences sexuelles ou sexistes est le parti écologiste qui a été secoué par le cas Denis Baupin, il y a six ans. Europe-Ecologie-les-Verts a mis en place une "cellule d'écoute" qui s'est transformée en "cellule d'enquête et de sanctions". Elle traite au maximum une dizaine de cas chaque année, explique Sandra Regol, la numéro 2 du parti. "Des personnes qui ne sont pas de la région et qui ne sont pas en lien avec les personne citées vont traiter de manière anonyme du cas. Elles vont écouter ce que la personne dit puis commencer un travail de convocation des personnes concernées, d’entretiens contradictoires pour pouvoir établir une proposition de solution, de sanctions", développe-t-elle.
Deux ou trois sanctions ont déjà été prononcées cette année, et cela peut aller jusqu'à l'exclusion du parti et l'interdiction de toute investiture pendant cinq ans.
Chez LFI, des femmes à l'écoute
Une cellule du même genre existe désormais dans presque tous les partis de gauche, notamment à La France insoumise. C'est ce "comité de suivi" des violences sexistes et sexuelles qui a été saisi d'un signalement visant Taha Bouhafs et qui se targue d'avoir instruit le dossier en cinq jours. Finalement, le candidat a lui-même renoncé à se présenter aux législatives.
Mais la médiatisation de cette affaire a eu du bon, d'après Sarah Legrain : "On a constaté qu’il y avait un petit peu plus de signalements qui arrivent ces derniers jours parce qu’il y a une plus grande publicité autour de notre dispositif. Il y en a cinq ou six qui sont là, en procédure". Sarah Legrain coordonne le groupe d’écoute composé uniquement de femmes. C’est une particularité. Elles sont sept. Formées à l’exercice, elles sont chargées d’établir un rapport qui est ensuite transmis à un autre comité qui peut décider de sanctions.
Au PS, vers la fin du cas par cas
Ce système inspire le Parti socialiste, qui est en train de créer une commission pérenne, la "commission de lutte contre le harcèlement et les discriminations". Jusqu’ici, les signalements y étaient traités au cas par cas.
Les partis de gauche et quelques syndicats échangent désormais sur les bonnes pratiques. Ils donnent même l‘alerte quand un militant repéré comme violent passe d’une structure à l’autre. Les partis insistent : les décisions qu'ils prennent sont politiques et concernent leur fonctionnement. Ils ne sont pas juge mais proposent bien souvent d'accompagner les femmes qui veulent poursuivre leurs démarches en justice.
Chez LREM, une boîte de dialogue anonyme
Une cellule d'alerte existe aussi chez les Marcheurs. Créée il y a deux ans, elle est ouverte aux salariés et aux adhérents pour dénoncer tout type de comportement inapproprié. Elle a été saisie 77 fois via une boîte de dialogue anonyme gérée par un prestataire extérieur, qui renvoie vers un contact au parti. Là aussi, il peut y avoir un accompagnement et des sanctions prises.
À noter qu’aux législatives, plusieurs candidats LREM faisaient l’objet d’accusations. Jérôme Peyrat, a été investi en Gironde malgré sa condamnation pour des violences contre son ex-compagne. Il s’est finalement retiré. En revanche Yves Blein, député sortant du Rhône, s’est maintenu. Il est visé par une enquête préliminaire pour harcèlement sexuel et rejette cette accusation.
Chez LR, une gestion par la hiérarchie
Plus à droite, on sent que ça balbutie encore. Des procédures existent mais elles sont moins poussées, moins collectives. Il faut s'adresser à la hiérarchie du parti. Chez Les Républicains, c'est le numéro 3 du parti, Aurelien Pradié qui se charge de la délicate question. Il a reçu trois signalement en deux ans et demi. Lorsqu'on lui fait remarquer que c'est peu et qu'il faudrait peut-être revoir les procédures, il objecte : "Oui, peut-être. Mais quand c’est du collectif, je ne suis pas sûr que ça marche beaucoup mieux."
Chez RN ou à Reconquête !, pas d'affaires
Au Rassemblement national, même tonalité que chez Les Républicains. "Il y a une cellule, ça s’appelle la commission des conflits. Et accessoirement, si ce sont des élus, il y a une autre cellule qui s’appelle le Bureau exécutif et qui est chargé d’analyser ce type de problème. Mais nous n’en avons pas eus jusqu’à présent", assure Marine Le Pen. Zéro cas répertorié de violences sexuelles donc au sein du Rassemblement national.
Aucun cas non plus chez Reconquête !. Le mouvement d'Éric Zemmour n'a prévu aucune procédure. L’ex-candidat à la présidentielle est lui-même accusé par huit femmes. Pour se justifier, le mouvement répond que le parti est encore en train de se structurer.
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