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Violences sexuelles sur mineur : comment un tribunal civil a condamné un homme pour agressions sexuelles, trente ans après les faits

Victime d'agressions sexuelles dans son enfance, Jérémy Garamond s'est tourné vers la justice civile pour obtenir réparation pour des faits prescrits au pénal.
Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le tribunal judiciaire de Paris situé dans le quartier Clichy-Batignolles, le 24 mai 2018. (JULIEN MATTIA / NURPHOTO / AFP)

Une condamnation pour des faits qui remontent au début des années 1990. Un homme a été condamné pour agressions sexuelles sur mineur par la quatrième chambre du tribunal judiciaire de Paris, jeudi 17 novembre, trente ans après les faits. Cette condamnation par la justice civile, repérée par BFMTV, intervient alors que les faits étaient prescrits aux yeux de la justice pénale. Une décision qualifiée "d'inédite" par les parties civiles.

Jérémy Garamond, aujourd'hui âgé de 46 ans, a été victime d'agressions sexuelles répétées entre ses 12 et ses 15 ans. Des violences imputées à José Bruneau de la Salle, proche de la famille et figure du monde hippique. Jérémy Garamond l'accuse d'une dizaine d'agressions sexuelles commises dans sa voiture, ainsi que d'une agression sexuelle nocturne en 1990. L'éleveur est par ailleurs visé par une autre plainte pour agressions sexuelles sur mineur.

Des critères de prescription différents au pénal et au civil

La victime, après en avoir parlé à son père à l'époque, assure avoir ensuite refoulé les événements durant des années. En 2018, à la lumière de récents événements familiaux, la victime décide de se tourner vers la justice, près de trente ans après les faits. "En matière de violences sexuelles, le préjudice est comme une vague, il y a du refoulement", explique son avocat, Me Olivier Pardo, à franceinfo. 

Un délai trop important au pénal, puisque les faits sont prescrits, ce qui signifie qu'aucune action judiciaire n'y est possible. "C'est là que nous avons eu une fulgurance", détaille l'avocat de la victime. Face à cette prescription, Jérémy Garamond et son conseil se lancent dans une procédure civile et obtiennent gain de cause, engageant ainsi la responsabilité de l'accusé. 

"C'est la première fois qu'une telle décision est prise au civil."

Me Olivier Pardo, avocat de la victime

à franceinfo

Cette condamnation est établie à partir de la date dite "de consolidation" de l'état de la victime, c'est-à-dire le moment où les blessures sont fixées et acquièrent un caractère permanent. En France, la prescription au pénal intervient vingt ans après les faits lorsque les violences sont commises sur un mineur. Dans la justice civile, la prescription pour les mêmes faits intervient vingt ans après la date de consolidation, et non pas 20 ans après les faits. A partir de là, il est possible d'estimer le degré d'incapacité engendré par les agressions sexuelles subies dans l'enfance.

En l'occurrence, le préjudice a été consolidé en 2018 pour Jérémy Garamond, année où il s'est tourné vers la justice pour la première fois. "On ne peut pas quantifier le préjudice tant qu'il est encore en construction", explique à franceinfo Audrey Darsonville, professeure de droit pénal à l'université Paris Nanterre. 

Près de 103 000 euros d'indemnisation demandée

Pour déterminer cette date, une expertise, à la charge de la victime, a eu lieu. L'expert psychiatrique a jugé que le préjudice n'avait été consolidé qu'en 2018, année où la victime s'est tournée vers la justice. Les faits ne sont donc pas prescrits au civil. Autre particularité de cette décision : les faits qui ont été jugés à l'audience ne reposent sur aucune enquête de police préalable. "C'est une enquête faite par nous-même", concède l'avocat.

Une audience pour fixer le montant des dommages et intérêts à verser à la victime devrait se tenir dans près de deux mois, précise son conseil à franceinfo. Pour les différentes agressions sexuelles subies durant son enfance, Jérémy Garamond a demandé près de 103 000 euros d'indemnisation. La somme fixée lors de l'audience sera reversée à des associations, a assuré la victime. Comme le procès s'est tenu au civil, la condamnation n'entraîne aucune peine de prison. "Ce que mon client voulait, c'était avant tout un procès et la reconnaissance de la culpabilité de l'agresseur", explique Me Olivier Pardo. 

Cette décision, qui peut encore être infirmée en appel puis en cassation, est "particulièrement intéressante" pour Audrey Darsonville. "C'est une reconnaissance par la justice de l'existence d'un préjudice. Lorsque les faits sont prescrits en matière pénale, ça peut être une solution pour des victimes qui veulent tout de même une condamnation", souligne-t-elle. Avant de nuancer. "Cela ne peut être que du cas par cas, il ne faut pas espérer que cela soit applicable pour tous et dans toutes les juridictions", insiste la juriste.

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