Viols sur mineurs de moins de 15 ans : quatre questions sur le "nouveau crime" annoncé par le gouvernement
Près de trois ans après une première tentative avortée, l'exécutif a annoncé, mardi, son intention de criminaliser tout acte de pénétration commis par un majeur sur un enfant ou un jeune adolescent.
A en croire l'exécutif, "c'est une avancée importante pour la protection de nos enfants". Le gouvernement s'est dit "favorable", mardi 9 février, à la définition d'un "nouveau crime" qui pénaliserait "toute pénétration sexuelle" commise par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans. "La société nous conduit à changer le droit", a expliqué le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, sur France 2, plus de deux semaines après avoir été missionné par Emmanuel Macron pour "adapter notre droit pour mieux protéger les enfants victimes d'inceste et de violences sexuelles". Franceinfo vous aide à mieux comprendre les dessous de cette annonce.
1Que dit la loi pour l'instant ?
A l'heure actuelle, tout acte de nature sexuelle commis par un adulte à l'encontre d'un mineur de moins de 15 ans constitue une atteinte sexuelle. Autrement dit, il est strictement interdit pour un adulte d'avoir une relation sexuelle avec un enfant ou un jeune adolescent. L'article 227-25 du Code pénal prévoit une peine de sept ans de prison pour ce délit.
Elément aggravant : si cette atteinte sexuelle est "commise avec violence, contrainte, menace ou surprise", mais sans pénétration, on parle d'agression sexuelle. Ce délit est passible de dix ans d'emprisonnement, selon l'article 222-29-1 du Code pénal. Plus grave encore : si cette agression sur un mineur de moins de 15 ans comprend un "acte de pénétration", c'est un viol. Il ne s'agit plus d'un délit mais d'un crime, jugé devant une cour d'assises et passible de vingt ans de réclusion criminelle, prévoit l'article 222-24 du Code pénal.
Avant de pouvoir condamner un adulte pour agression sexuelle ou viol, "il appartient aux juridictions d’apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause", a souligné le Conseil constitutionnel, en 2015. Prouver l'absence de consentement libre peut être difficile et "des décisions d'acquittement ou de relaxe peuvent être prononcées", rappelle aussi la sociologue Marie Romero, sur The Conversation. Un homme accusé d'avoir violé une fillette de 11 ans quand il en avait 22 en 2009 a ainsi été acquitté, en 2017, par la cour d'assises de Seine-et-Marne. Les jurés ont estimé que les éléments constitutifs du viol (violence, contrainte, menace ou surprise) "n'étaient pas établis", selon le parquet général. Pour éviter d'en arriver là, certaines affaires sont parfois traitées comme de simples atteintes sexuelles, moins sévèrement punies mais avec davantage de garanties d'aboutir à une condamnation.
2Qu'a annoncé le gouvernement ?
L'exécutif souhaite "criminaliser tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur" sur un mineur de moins de 15 ans, même en l'absence de preuve de violence, contrainte, menace ou surprise. "On n'interrogera plus le consentement de la victime comme c'est le cas aujourd'hui", a promis, mardi, le secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfance, Adrien Taquet, lui aussi missionné par le chef de l'Etat en janvier.
"L'âge de la victime sera la première chose que l'on interrogera, et non pas de savoir si la victime était consentante ou pas."
Adrien Taquet, secrétaire d'Etat à la Protection de l'enfancesur Europe 1
Il s'agira donc de créer "un nouveau crime", avec une définition différente de celle du viol et avec deux exceptions. "Il faudra bien sûr que l'on puisse démontrer que l'auteur connaissait l'âge de la victime", a annoncé le garde des Sceaux. Deuxièmement, les relations sexuelles consenties entre mineurs étant légales, "le jeune homme de 17 ans et demi qui a une relation avec une jeune fille de 14 ans et demi ne peut pas devenir un criminel quand il a 18 ans et un jour", a fait remarquer Eric Dupond-Moretti, d'où l'idée d'instaurer "un écart d'âge entre l'auteur et la victime". Cette différence d'âge maximale pourrait être de cinq ans.
3Est-ce vraiment nouveau ?
Ce n'est pas la première fois que le gouvernement s'engage sur ce terrain, à quelques précisions près. En 2018, la loi Schiappa sur les violences sexistes et sexuelles prévoyait d'abord d'instaurer une présomption de non-consentement : toute atteinte sexuelle ou toute pénétration sur un mineur de moins de 15 ans dont l'auteur majeur aurait connu l'âge aurait été automatiquement considérée comme une agression sexuelle ou un viol. Le Conseil d'Etat y avait vu une atteinte au respect de la présomption d'innocence et, face au risque d'inconstitutionnalité, l'exécutif avait abandonné cette disposition.
Reprenant des propositions figurant dans l'avis du Conseil d'Etat, le gouvernement s'était alors contenté de modifier l'article 222-22-1 du Code pénal pour préciser les notions de contrainte et de surprise pour les mineurs de moins de 15 ans et ainsi faciliter les condamnations. Il avait également ajouté à l'article 351 du Code de procédure pénale l'obligation pour le président d'une cour d'assises, en cas de contestation de la qualification de viol, de poser la question subsidiaire de la qualification d'atteinte sexuelle pour éviter un acquittement pur et simple.
Interrogée sur le sujet, fin janvier, Marlène Schiappa a de nouveau défendu son texte. "Nous sommes allés aussi loin que le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel indiquaient que nous pouvions aller", a-t-elle assuré sur France Inter. La ministre déléguée à la Citoyenneté s'est toutefois dite prête à "durcir la formulation de la loi" si celle-ci n'était pas suffisamment appliquée par les tribunaux.
4Comment l'exécutif va-t-il s'y prendre ?
Le 21 janvier, le Sénat a adopté à l'unanimité, en première lecture, une proposition de loi de la centriste Annick Billon visant à créer l'infraction de "crime sexuel sur mineur". Le texte rend passible de vingt ans de prison "tout acte de pénétration sexuelle" ou "tout acte bucco-génital" initié par un majeur avec un mineur de moins de 13 ans, qu'il y ait eu ou pas consentement.
Comme le rapporte Public Sénat, le gouvernement profitera de l'arrivée de ce texte à l'Assemblée nationale, le 15 mars, pour y intégrer la mesure annoncée mardi. Le texte approuvé par les sénateurs sera donc réécrit, notamment pour relever le seuil d'âge de 13 à 15 ans et intégrer la notion d'écart d'âge. Reste à savoir comment l'exécutif entend désormais contourner les diverses objections constitutionnelles soulevées en 2018 par le Conseil d'Etat, pour éviter une nouvelle fois de revoir ses ambitions à la baisse.
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