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Homophobie : le boycott des maillots arc-en-ciel par plusieurs joueurs de Ligue 1 révèle-t-il un problème spécifique au football français ?

La politique de la Ligue de football professionnel fait débat parmi les associations qui luttent pour les droits des personnes LGBTQI+. Ces acteurs pointent une homophobie particulièrement forte dans les vestiaires de foot, mais qui s'explique aussi par des questions sociétales.
Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
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Les joueurs du PSG et de l'AC Ajaccio posent derrière une pancarte à l'occasion d'une journée de lutte contre l'homophobie, avant un match de Ligue 1, le 13 mai 2023 à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

Est-ce un cruel échec ou une nécessaire piqûre de rappel ? L'opération de lutte contre l'homophobie organisée pour la 35e journée du championnat de France de football masculin, du vendredi 12 au dimanche 14 mai, a tourné au débat national après la décision de cinq joueurs de Ligue 1 et Ligue 2 de ne pas prendre part aux matchs pour ne pas porter un maillot floqué aux couleurs arc-en-ciel du drapeau symbolisant la lutte pour les droits des personnes LGBTQI+.

Alors que le mercredi 17 mai marque la journée internationale de la lutte contre l'homophobie et la transphobie, ce boycott et les déclarations critiquées de deux entraîneurs de L1 questionnent les associations. Et interrogent plus largement : cet épisode met-il en lumière un problème spécifiquement français, alors que d'autres pays organisent des opérations contre l'homophobie sans polémiques ? Et est-ce le reflet du monde du football ou du poids de l'homophobie dans la société au sens large ?

Dans le milieu du foot, et du sport masculin en général, "tous les travaux montrent que la forme de discrimination la plus forte est toujours l'homophobie", assure Anthony Mette à franceinfo. Ce psychologue, spécialiste de la préparation mentale des sportifs, avait coordonné en 2013 une étude commanditée par l'association Paris Foot Gay et l'entreprise Randstad, via un questionnaire soumis à 121 joueurs professionnels de clubs français : 50 d'entre eux (41%) déclaraient alors ouvertement une attitude "négative" ou "très négative" envers les personnes homosexuelles.

Le poids du conservatisme

Les joueurs exprimaient notamment des craintes liées au "regroupement collectif, dans des lieux comme les vestiaires et les douches", qu'une partie des sondés avaient "peur" de partager avec un coéquipier gay (25% des joueurs, 55% des apprentis footballeurs), relève Anthony Mette. Il souligne également que la culture sportive repose toujours sur "des valeurs de virilité, qui excluent les comportements perçus comme féminins", auxquelles l'homosexualité reste associée dans l'esprit de certains. S'y ajoute une dynamique de groupe : "Il suffit de quelques joueurs pour faire basculer" l'opinion générale, et "ne pas laisser la porte ouverte à un joueur homosexuel" qui envisagerait un coming out.

Le football professionnel est un terrain particulièrement propice à cette culture homophobe dans le sport, tant il est un milieu presque entièrement masculin, où les futurs joueurs professionnels vivent en quasi-vase clos depuis le début de l'adolescence, et manquent d'ouverture sur le reste de la société : "Les joueurs ne sont pas beaucoup allés à l'école, lisent peu, et manquent de références pour prendre position", selon Anthony Mette.

Tout le milieu véhicule "une forme d'hermétisme face aux questions sociales qui est problématique", appuie Cécile Chartrain, cofondatrice des Dégommeuses, association féministe qui lutte contre les discriminations, notamment LGBTphobes, dans le sport. Anthony Mette observe aussi "ce regard immédiatement axé sur le résultat et la performance" au détriment de toute autre question, notamment dans la réaction du coach de Brest, Eric Roy, qui dit avoir porté "avec fierté" un brassard arc-en-ciel samedi, mais a critiqué la programmation de cette opération en fin de saison, inquiet pour "l'équité" de la lutte pour le maintien en Ligue 1. Un propos "assez indécent" alors que "des gens meurent de l'homophobie aujourd'hui, y compris en France", dénonce Cécile Chartrain, rappelant que le taux de suicide est plus élevé chez les personnes LGBTQI+ que dans le reste de la population.

L'entraîneur du Stade Brestois, Eric Roy, portant un brassard en soutien à la lutte contre l'homophobie lors de la réception d'Auxerre, le 14 mai 2023. (DAMIEN MEYER / AFP)

Le rapport publié mardi par SOS Homophobie rappelle cependant que les discriminations envers les personnes LGBT sont loin de se limiter au football. Et le rejet du maillot arc-en-ciel ne peut pas être lu uniquement comme le résultat d'une dynamique liée au sport. Yoann Lemaire, un des rares anciens footballeurs à avoir révélé son homosexualité, dit observer lors de ses interventions dans les clubs, en partenariat avec la Ligue de football professionnel (LFP), le poids de questions de société.

Alors qu'il y a 10 ans, les discussions sur l'homophobie tournaient beaucoup autour de la douche, du vestiaire, je sens aujourd'hui la montée d'un conservatisme assez inquiétant autour des questions de culture et de religion.

Yoann Lemaire, président de Foot Ensemble

à franceinfo

Parmi les cinq footballeurs qui ont boycotté l'opération le week-end dernier, les deux qui sont nés ou ont grandi en France (Moussa Diarra et Donatien Gomis) ne sont pas exprimés. Mais le Néerlando-Marocain Zakaria Aboukhlal et l'Egyptien Mostafa Mohamed, sans évoquer explicitement leur foi musulmane, ont justifié leur attitude par leurs "croyances personnelles", demandant leur "respect". En 2022, le Sénégalais Idrissa Gueye, alors au PSG et seul joueur à refuser le maillot arc-en-ciel, avait reçu le soutien du président de son pays, Macky Sall, au nom de ses "convictions religieuses".

"Ce n'est pas un scoop : il y a un problème entre les religions et l'homosexualité", souligne auprès de franceinfo Julien Pontes, porte-parole de l'association de lutte contre l'homophobie Rouge Direct, qui rappelle que la question ne se limite ni à l'islam ni aux pays africains. En 2019, le Colombien Radamel Falcao, chrétien évangélique, faisait ainsi partie des capitaines qui avaient refusé le port d'un brassard arc-en-ciel. En brandissant leurs convictions, ceux qui refusent de jouer "cachent leur propre homophobie derrière la religion", regrettait l'ancien footballeur Ouissem Belgacem, lui-même homosexuel et musulman, dans l'émission de TMC "Quotidien" lundi. D'autant que la grande majorité des joueurs de Ligue 1 et Ligue 2, quelles que soient leurs convictions religieuses, n'ont pas refusé le maillot arc-en-ciel. 

Un dialogue nécessaire pour faire comprendre la démarche

Les réfractaires sont peu nombreux, mais leur nombre croissant traduit une forme d'échec de la façon dont le football français lutte contre l'homophobie, pointent aujourd'hui certaines associations qui ne participent pas à la campagne de la LFP. "On savait que l'édition 2023 devait se préparer avec précaution", estime Julien Pontes, pour qui la Ligue aurait dû "donner des instructions claires aux clubs pour qu'ils commencent à en parler il y a six mois, au moins". Cécile Chartrain "reconnaît le mérite des associations qui y travaillent", mais la cofondatrice des Dégommeuses juge que l'initiative est organisée de façon "trop descendante", imposée mais mal expliquée aux joueurs par des instances qu'elle juge plus préoccupées par leur communication que par l'efficacité du combat contre les LGBTphobies. Elle estime que le message serait plus efficace s'il était mêlé à la lutte contre d'autres discriminations et "si on s'appuyait sur des gens qui ressemblent davantage aux joueurs, par exemple des collectifs LGBT issus des banlieues ou des quartiers populaires" où ont grandi beaucoup des joueurs de Ligue 1.

Face à ces critiques, le club Panamboys & Girlz United, un des partenaires de la LFP, souligne sur Twitter avoir distribué des tracts dans les clubs concernés pour expliquer la démarche. Et rappelle que des ateliers avec les joueurs ont été organisés dans 10 des 40 clubs de L1 et L2 ces derniers mois. "Dans tous les clubs où on s'est rendus, il n'y a eu aucun problème ce week-end", souligne Yoann Lemaire, également associé à ce travail via sa structure Foot Ensemble. Derrière les points de vue divergents entre certaines associations, un consensus s'établit sur la nécessité d'un véritable échange avec les joueurs, dont Yoann Lemaire raconte le point de vue parfois contradictoire : "Certains peuvent vous dire qu'ils défendraient sans problème un coéquipier gay, mais qu'ils ne veulent pas porter un maillot arc-en-ciel. Si vous arrivez en leur disant que c'est obligatoire ou que leur position est homophobe, ils se braquent. C'est dommage, mais c'est comme ça".

Hors de France, des moyens plus importants

Pour que ces échanges soient organisés sur le long terme et dans tous les clubs, une question de moyens se pose. Yoann Lemaire, qui intervient bénévolement par choix, regrette le manque de "volonté politique" qui permettrait aux associations qui le souhaiteraient de se professionnaliser, comme c'est le cas en Angleterre. D'autres pays se distinguent de la France par la volonté de figures influentes de participer à la lutte contre l'homophobie, estime Julien Pontes.

"Imaginez que Kylian Mbappé rencontre un homme qui a failli mourir parce qu'il est gay. Je pense qu'il serait drôlement secoué et qu'il en parlerait dans son vestiaire."

Julien Pontes, porte-parole de Rouge Direct

à franceinfo

Le porte-parole de Rouge Direct se montre envieux de "l'impact sur les consciences" que peut avoir une figure comme l'entraîneur Jurgen Klopp "quand il prend la peine de discuter homophobie avec le club de supporters gay" de son équipe de Liverpool. Lors du Mondial au Qatar, sept sélections européennes avaient milité pour le droit de porter un brassard arc-en-ciel (finalement interdit par la Fifa) tandis que la France balayait l'initiative. Souhaitant réaliser une vidéo de sensibilisation avec les Bleus, Yoann Lemaire s'était aussi heurté à cette frilosité et n'avait pu interviewer que trois joueurs.

Le fondateur de Foot Ensemble défend cependant les mérites du dispositif mis en place en Ligue 1 et Ligue 2 : convaincre la quasi-totalité des joueurs professionnels à arborer les couleurs arc-en-ciel, "ça ne se voit nulle part ailleurs""Je trouve que c'est mieux que ce qui est fait aux Pays-Bas", approuve Thijs Smeenk, bénévole au sein de la fondation John Blankenstein, qui intervient auprès des joueurs néerlandais. Dans le championnat hollandais, seuls les capitaines sont invités à porter un brassard contre l'homophobie : en octobre, ceux de deux clubs ont refusé l'initiative. En Angleterre, l'opération "Rainbow Laces" se fait sur la base du volontariat : les clubs reçoivent notamment des lacets arc-en-ciel pour leurs joueurs, qui sont libres de les porter ou non. En octobre, le jour de l'opération, l'ancien Parisien Idrissa Gueye a donc pu jouer pour Everton sans aucun signe distinctif dans sa tenue, alors qu'il avait été contraint, au PSG, de rendre public son refus de condamner l'homophobie.

Yoann Lemaire se félicite qu'en France, la campagne de la LFP ait permis qu'une icône comme Lionel Messi endosse les couleurs du drapeau LGBT : "Quand il jouait en Espagne, on ne l'a jamais vu porter un tel maillot". Reste un constat cruel : les joueurs professionnels en activité ayant fait leur coming out se comptent sur les doigts d'une main, au Royaume-Uni, en Australie ou encore en République tchèque. Aucun n'est Français, ni ne joue en France. "Si cette opération est un succès, à combien de coming out a-t-elle donné lieu ?", interpelle Julien Pontes. Il craint que le rejet affiché par les cinq joueurs de Nantes, Toulouse et Guingamp renforce la conviction qu'il vaut mieux cacher son homosexualité pour faire carrière dans le football français.

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