"Là, c'est pire que d'habitude" : face à la hausse des actes islamophobes, les musulmans de France entre peur et résignation
Khalid Kirane a la voix qui tremble légèrement. "J'étais choqué, j'ai eu du mal à dormir pendant plusieurs nuits", confie le président de l'Association des musulmans de Honfleur (Calvados). Le 25 novembre, il a reçu quatre messages vocaux racistes sur son répondeur téléphonique. A l'autre bout du fil, un homme, qui se présente comme un "mécréant", insulte les musulmans et promet "d'organiser des purges". "Le fusil de chasse est prêt", assure encore l'auteur des menaces, selon le procès-verbal de la plainte déposée par le responsable associatif et consulté par franceinfo. "Je peux craindre (...) qu'il y ait d'autres actes commis à mon encontre ou bien à l'encontre de la mosquée ou de l'association", s'inquiète ce père de famille, face aux policiers. Un cas loin d'être isolé.
Depuis les attaques du Hamas en Israël, le 7 octobre, les forces de l'ordre ont constaté "une montée" des actes antimusulmans en France, a déclaré Gérald Darmanin à Ouest France. Mi-novembre, le ministère de l'Intérieur recensait "plus de 140 actes depuis le début de l'année". Un décompte incomplet, qui témoigne d'une tendance à la hausse des faits racistes – encore plus marquée pour les actes antisémites – plus qu'il ne fournit un état des lieux précis. Sihem Zine, responsable de l'association Action droits des musulmans (ADM), pointe la sous-déclaration chronique de ces faits aux autorités.
"Six millions de musulmans en France et seulement 140 actes racistes à leur encontre ? C'est impossible. Rien que nous, on en relève beaucoup plus."
Sihem Zine, responsable de l'association Action droits des musulmansà franceinfo
"On est davantage contactés par des victimes en ce moment", confirme Sihem Zine. "Les actes racistes oscillent entre une espèce de bruit de fond résiduel permanent et des pointes liées à l'actualité. Des gens qui pensaient déjà des choses racistes se sentent alors autorisés à passer à l'acte, car d'autres le font", abonde François Sauterey, coprésident du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap). "La libération d'une parole raciste à la télévision et sur les réseaux sociaux influe beaucoup sur le nombre d'actes", estime également Alice Murgier, responsable juridique de SOS Racisme.
De nombreuses mosquées visées
Ce racisme qui s'exprime en public de manière décomplexée se nourrit de l'actualité récente, relève l'avocate, qui cite la guerre entre Israël et le Hamas, mais aussi le meurtre du jeune Thomas à Crépol (Drôme), dont s'est emparée l'extrême droite. Pour d'autres associations, les récents attentats d'Arras et de Paris, dont les suspects se revendiquent de l'islam radical, ou le projet de loi immigration, qui fait l'objet de vifs débats au Parlement, peuvent aussi être des éléments déclencheurs.
Gérald Darmanin a détaillé mi-novembre sur Europe 1 les formes que prennent ces actes antimusulmans : des "mosquées qui reçoivent des lettres de menaces de mort, des menaces d'attentat, de très nombreux propos anti-islam, y compris sur les plateaux de télévision". Le ministre de l'Intérieur n'a toutefois pas précisé les proportions de ces différents types de faits.
"En une dizaine de jours, notre siège a reçu 42 lettres d'insultes et de menaces", confirme à franceinfo Abdallah Zekri, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM). "L'islamophobie et le racisme en France sont devenus endémiques", assure-t-il, estimant que la population musulmane "est devenue le bouc émissaire de l'extrême droite". "Mais là, c'est pire que d'habitude." De nombreuses mosquées, comme à Roanne (Loire), Lyon (Rhône), Nanterre (Hauts-de-Seine), Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), Pessac (Gironde), Saint-André-de-Cubzac (Gironde), Valence (Drôme) ou encore Cherbourg (Manche) ont été visées ces dernières semaines par des tags islamophobes, des menaces de mort, voire une alerte à la bombe.
"Il y a malheureusement une vraie confusion" entre "islamisme et islam", a regretté Chems-Eddine Hafiz, recteur de la grande mosquée de Paris, à l'issue d'une réunion entre Emmanuel Macron et les représentants du culte à l'Elysée, le 13 novembre. "Les musulmans de France souffrent énormément de cet amalgame."
"Généralisations" et "stéréotypes" à la télévision
Parmi les personnes visées directement, une fonctionnaire d'Ivry-la-Bataille (Eure) raconte à Mediapart avoir déposé plainte après avoir découvert de la viande de porc dans sa boîte aux lettres. "J'ai hésité à porter plainte de peur que l'on se moque de moi, confie-t-elle au site d'information. Certaines catégories de personnes pensent véritablement que le porc, c'est la kryptonite des musulmans. C'est d'une lâcheté puérile."
"Ces derniers temps, c'est vraiment compliqué, souffle aussi Junyad, rencontré devant une mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Quand on allume la télé, on a l'impression que tous les musulmans sont une menace pour la France." Le régulateur de l'audiovisuel, l'Arcom, a d'ailleurs rappelé début octobre aux chaînes de télévision et aux stations de radio d'éviter "les généralisations hâtives, les stéréotypes et le sensationnalisme" quand on parle à l'antenne du conflit entre Israël et le Hamas.
L'Arcom a notamment été saisie pour des déclarations de l'éditorialiste Pascal Perri, évoquant sur LCI un "antisémitisme couscous", ce dont il s'est excusé sur le réseau social X. Ou pour celles de l'avocat Arno Klarsfeld sur CNews, évoquant des musulmans qui "travaillent sur les chantiers", "ont accès à des explosifs" et "des armes à feu". Ou encore pour les propos d'Eric Zemmour, fondateur du parti d'extrême droite Reconquête, qui estime l'islam "incompatible" avec la République. "Parfois, on en vient à se dire qu'il faudrait quitter la France" pour ne plus être stigmatisé, lâche Junyad. "Pourtant, je suis né et j'ai grandi ici..."
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