Droit à l'avortement : que peut changer l'inscription de la "liberté" de recours à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution ?
Un symbole fort pour les droits des femmes. Un mois et demi après sa première évocation par Emmanuel Macron, le projet de loi constitutionnelle pour inscrire la liberté d'avorter dans la Constitution a été présenté en Conseil des ministres, mardi 12 décembre.
Le texte du projet de loi, auquel l'AFP avait eu accès en novembre, dispose que "la loi [ordinaire] détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse". Une prise de position claire, mais qui ne devrait avoir que des effets limités.
Un texte plus difficile à modifier que la loi ordinaire
En inscrivant la liberté de recours à l'IVG dans la Constitution, l'objectif de l'exécutif est de compliquer la tâche de ceux qui voudraient la restreindre à l'avenir. "Si des politiques veulent remettre en cause l'avortement, ce sera plus compliqué", estimait sur franceinfo Sarah Durocher, présidente du Planning familial.
La remise en cause de ce droit aux Etats-Unis par la Cour suprême américaine, puis les restrictions sévères mises en place par des Etats républicains et d'autres pays conservateurs en Europe, ont incité de nombreuses personnalités politiques et associations à vouloir sécuriser autant que possible ce droit en France.
Le droit à l'avortement est aujourd'hui principalement codifié par la loi Veil de 1975, plusieurs fois amendée et transposée depuis dans d'autres textes. Or, il est en théorie plus facile de réformer la loi ordinaire, avec une majorité parlementaire simple, que la Constitution, qui réclame une majorité des deux tiers au Parlement réuni en Congrès ou une majorité des électeurs français via un référendum. Les droits constitutionnels sont donc plus protégés.
Une loi qui "ne changerait absolument rien"
Mais une inscription en bonne et due forme dans la Constitution ne suffit pas. Comme le rappelle le projet de loi constitutionnelle, c'est "la loi" qui "détermine les conditions dans lesquelles s'exerce" la liberté d'avoir recours à l'IVG. Un législateur qui voudrait réduire l'accès à l'avortement pourrait donc agir à travers la loi ordinaire. C'est en partie pour cette raison qu'Anne Levade, professeure de droit public et présidente de l'association française de droit constitutionnel, écrit dans un article publié sur le Club des juristes que "l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution ne changerait absolument rien à l'état du droit".
Autre raison justifiant ce scepticisme : le droit à l'avortement est déjà "garanti par la jurisprudence du Conseil constitutionnel", rappelait à franceinfo le constitutionnaliste Didier Maus. Même s'il n'est pas mentionné dans le texte suprême, les juges constitutionnels considèrent que le droit à l'avortement découle des droits fondamentaux déjà inclus, sur "le fondement constitutionnel qui est la liberté des femmes, en application de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen", notait Anne Levade, sur franceinfo. Cet article liste parmi les "droits naturels et imprescriptibles de l'Homme (…) la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression."
Intégrer la liberté d'avorter dans la Constitution permettra au moins de se prémunir contre un revirement de jurisprudence. Mais en pratique, "quand certains droits sont reconnus comme conformes à la Constitution, on ne revient pas ensuite en arrière", ajoutait Didier Maus.
La clause de conscience des soignants maintenue
Enfin, reste la question de la "double clause de conscience" des médecins. La première les autorise à refuser de pratiquer un acte médical sans avoir à donner de justification particulière. Elle est garantie aux professionnels de santé par l'article R4127-47 du Code de la santé publique, qui peut être utilisée pour n'importe quel acte médical. Mais il existe aussi une clause de conscience spécifique à l'IVG depuis la loi Veil de 1975 sur l'avortement.
"La révision constitutionnelle ne modifiera pas la législation actuelle, donc l'existence d'une double clause de conscience des médecins", confirme auprès du Monde Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l'université de Nanterre. Même consacré au rang de "liberté fondamentale", un avortement pourra toujours être refusé "si d'autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux", comme le dispose l'article L2212-8 du Code de la santé publique. Le praticien doit également "informer, sans délai, l'intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention".
Voilà pourquoi des professionnels du secteur appellent aussi à étendre le droit à l'avortement par d'autres biais que la révision constitutionnelle. "Il faudrait continuer à travailler sur la loi Veil par exemple, enlever la clause de conscience du droit à l'avortement et faciliter le parcours des femmes avec un seul rendez-vous pour avorter, au lieu de trois", énumérait ainsi la présidente du Planning familial Sarah Durocher sur franceinfo.
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