: Vidéo "Je me suis sentie comme une criminelle" : interdite d'avorter dans son pays, une Irlandaise raconte son IVG aux Pays-Bas
Tara Flynn n'a pas pu avorter dans son pays, l'Irlande, où cet acte est interdit sauf en cas de danger de mort pour la mère. Un référendum est organisé le 25 mai pour élargir les conditions d'accès à l'IVG.
"Je ne voulais pas être mère, je n'en étais pas capable." Lorsque Tara Flynn est tombée enceinte en 2006, elle n'y a pas cru. Le test de grossesse qu'elle tenait dans les mains, ces deux bâtons verticaux inscrits sur l'écran gris, confirmant le début d'une grossesse, ne pouvait qu'être faux : "J'étais persuadée que je ne pouvais pas être enceinte. J'étais vraiment le genre de fille à prendre plus de précautions qu'il n'en fallait, je n'avais jamais eu de problème auparavant."
A cette époque, Tara Flynn est comédienne à Dublin, la capitale irlandaise, elle vit de petits contrats et n'a pas de travail fixe. Son salaire n'est pas régulier et elle n'envisage pas de relation à long terme. "J'ai tout de suite su ce que je devais faire, raconte-t-elle à franceinfo. Même si j'en avais eu envie, mon mode de vie ne me permettait pas d'avoir un enfant." Mais impossible, pour elle, d'avorter dans son pays : l'avortement est interdit depuis 1983 en Irlande, sauf en cas de risque vital pour la mère. Il est passible de 14 ans de prison.
Un départ pour les Pays-Bas, "seule et isolée"
Les Irlandaises qui souhaitent avorter sont donc obligées de partir à l'étranger pour le faire dans la légalité. En 2016, 3 265 d'entre elles sont ainsi parties au Royaume-Uni, selon les chiffres du Planning familial irlandais. A cause du prix, d'autres restent en Irlande et avortent par leurs propres moyens. "Elles boivent du gin, de l'eau de Javel... Certaines se jettent dans les escaliers ou provoquent un accident de voiture suffisant pour perdre l'enfant, mais rester en vie", poursuit Tara Flynn, le regard vide. "C'est rare, et ça arrive dans des lieux isolés, mais ça existe", confirme à franceinfo Sophie Faherty, médecin "pro-choix".
J'avais de la chance, j'avais une carte de crédit, je pouvais partir. Beaucoup d'Irlandaises n'ont pas ce choix.
Tara Flynnà franceinfo
Après quelques recherches, Tara Flynn choisit les Pays-Bas car le billet d'avion et les frais médicaux coûtent moins chers. A l'aéroport, elle se retrouve seule, entourée de plein de voyageurs en partance, comme elle, pour Amsterdam. "Tout le monde était occupé. C'était tellement bizarre de se retrouver au milieu de tout ça avec un tel secret, décrit l'actrice. Je me sentais seule et isolée, très fatiguée. J'avais beaucoup d'appréhension, je ne savais pas à quoi m'attendre."
A son arrivée, elle se concentre sur le chemin de la clinique. La tête cotonneuse, le ventre noué, elle se demande à quoi va ressembler le centre, comment elle va être traitée par le personnel médical... "En réalité, les gens que j'ai rencontrés là-bas étaient tous adorables, assure-t-elle. Quand ils ont vu que j'étais seule, ils ont été encore plus attentifs à moi. Ils ne m'ont jamais jugée, ils m'ont toujours aidée." "Je pense encore souvent à eux en fait", reprend-elle, après un court silence.
Il y a plein de petits détails dont je ne me souviens plus car c'était un moment très traumatisant.
Tara Flynnà franceinfo
Pendant onze ans, elle vit avec le secret
A son retour en Irlande, Tara Flynn ne parle de son avortement qu'à une seule amie. Aucun membre de sa famille n'est mis au courant. "J'ai toujours eu une relation très forte avec ma mère. Je me sentais très vulnérable et je n'avais pas envie de prendre le risque de briser ce lien", raconte-t-elle. Pendant onze ans, elle garde le silence, avec la peur que quelqu'un découvre un jour son secret.
Techniquement, je n'étais pas hors la loi puisque j'avais avorté à l'étranger. Mais je me sentais comme une criminelle.
Tara Flynnà franceinfo
Autour d'elle, l'avortement est un sujet tabou. Les femmes qui avortent passent pour des espèces de "monstres froids". "Moi, je n'ai jamais eu honte de ce que j'avais fait, j'ai toujours été certaine de mon choix, assure l'Irlandaise. Dans la vie, on ne peut jamais être sûr de tout, le mariage, avoir des enfants... Mais je savais qu'avorter était ce que je devais faire pour moi." Lorsque certains médecins ou groupes "pro-vie" appellent les femmes qui veulent avorter à "prendre le temps" de réfléchir, Tara Flynn s'indigne. "Cette démarche est si paternaliste, on ne fait pas confiance aux femmes, on ne les laisse pas faire seules un choix qui ne concerne que leur corps", déclare-t-elle, en haussant la voix.
"L'hypocrisie doit cesser, l'avortement existe"
En 2015, Tara Flynn décide finalement de prendre la parole. Elle publie une lettre dans l'Irish Times (en anglais) dans laquelle elle raconte son histoire. "Personne ne parle d'avortement en Irlande, mais je dois le faire", écrit-elle. Elle raconte son voyage aux Pays-Bas, elle décrit l'isolement qu'elle a ressenti à cette époque, la solitude, la peur et la crainte d'être découverte.
En tant que comédienne, j'ai l'habitude de raconter mon histoire. Cela n'a jamais pour autant diminué le traumatisme, le secret, le stigmate et la violence dont les gens font preuve lorsqu'ils parlent de l'avortement.
Tara Flynnà franceinfo
"L'hypocrisie doit cesser, l'avortement existe, il a toujours existé, reprend-elle. Comme disait un expert, 'si vous n'êtes pas pour l'avortement légal, vous êtes pour l'avortement clandestin'." En 2016, dès les premiers débats sur l'organisation d'un nouveau référendum sur l'avortement, Tara Flynn s'engage. Elle raconte son histoire, intervient dans les médias, participe aux manifestations "pro-choix". "Il est temps pour l'Irlande que l'avortement soit légalisé, et devienne un sujet privé, assure-t-elle. Car l'avortement est une question personnelle, qui n'appartient qu'à celles qui y ont recours."
Le 25 mai, les Irlandais sont appelés à voter sur l'abrogation du 8e amendement qui interdit l'avortement. Un grand jour pour Tara Flynn, qui prévient toutefois : "Il ne s'agit pas de voter pour ou contre l'avortement car il existe déjà." "Nous votons pour reconnaître qu'il existe, pour le rendre plus sûr, conclut-elle. Nous votons pour que chaque femme ait le droit de faire son choix librement et que plus personne n'impose ses croyances aux autres."
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