Affaire Borrel : "l'armée ne savait pas", selon Longuet
Le ministre de la Défense a démenti ce matin les propos d'un militaire qui affirme que l'armée française était informée de l'assassinat du juge Borrel dès 1995, soit peu après son décès. FTVi revient sur cette affaire.
"L'armée ne savait pas." Alors que la veuve du juge Bernard Borrel, assassiné en 1995 à Djibouti, a mis en cause l'Etat français et notamment Jacques Chirac jeudi 22 décembre sur France Info, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a affirmé de son côté sur France 2 que l'armée française n'avait pas été informée de son assassinat. "Si l'armée savait, elle a l'obligation, c'est dans le Code pénal, article 40, de transmettre au magistrat toute information sur une affaire juridique", a déclaré Gérard Longuet.
Ces propos vont à l'encontre des révélations faites par un militaire français mercredi sur France Culture. Retour sur cette affaire qui mine les relations entre Paris et son ancienne colonie, où la France dispose de sa plus importante base militaire à l'étranger.
• Que savait-on de cette affaire avant ces révélations ?
Magistrat détaché à Djibouti, Bernard Borrel a été retrouvé mort le 19 octobre 1995, le corps en partie carbonisé, en contrebas d'un ravin, à 80 km de la capitale. Le mois suivant, les autorités de Djibouti concluent au suicide.
Mais en janvier 2000, un ancien responsable de la sécurité du palais présidentiel, Saleh Alhoumekani, réfugié en Belgique, affirme que le pouvoir djiboutien a voulu éliminer le juge Borrel. Il dit avoir assisté à une conversation compromettante entre Ismaël Omar Guelleh, alors chef de cabinet de la présidence et actuel président de Djibouti, et d'autres hauts responsables.
En juin 2007, l'enquête française retient finalement la thèse d'un assassinat après de nouvelles expertises. Cette enquête est aujourd'hui menée à Paris par la juge Sophie Clément. Plusieurs témoignages mettent directement en cause Ismaël Omar Guelleh. La juge a la preuve que Bernard Borrel possédait un document secret portant sur d'éventuelles malversations au sommet du pouvoir djiboutien.
Parallèlement à l'enquête criminelle, deux enquêtes judiciaires ont été menées en France, dont l'une pour pressions sur la justice. "Des notes publiées au cours de l'année 2007 mettent ainsi en cause la Chancellerie, soupçonnée de céder à des intérêts diplomatiques", affirme Le Figaro. En 2009, Libération a révélé des interventions de l'Elysée visant à orienter l'enquête vers la thèse du suicide.
• Quelles sont les informations apportées par ce nouveau témoignage ?
Le militaire français qui assure que l'armée française était informée de l'assassinat du juge Borrel était en poste à Djibouti de 1995 à 1997. "Un jour, j'ai entendu dire au centre qu'un homme avait été immolé par le feu par des personnes du nord du territoire à l'aide de jerricans d'essence. C'était un Français qui avait été brûlé non loin du Goubet. C'était dans la ville d'Arta", a-t-il déclaré en juillet à la juge Sophie Clément. L'endroit est celui où le corps de Bernard Borrel a été retrouvé.
"C'était une information provenant de la surveillance des communications internes de la police djiboutienne, a-t-il précisé. On n'était pas censé entendre les écoutes mais on vivait en permanence avec des militaires qui procédaient aux écoutes." Selon ce témoin, la prévôté, détachement de la gendarmerie en charge de la police militaire, est alors "intervenue". Il n'a pas indiqué de quelle façon.
"Aujourd'hui je peux donc affirmer que M. Borrel ne s'est pas suicidé. Il a été tué et des militaires étaient au courant", a ajouté le témoin.
• Quelles conséquences peuvent avoir ces révélations ?
Après ce témoignage, la veuve du juge, Elisabeth Borrel, qui n'a pas été surprise par ces révélations, a demandé que tous les documents classés secret-défense relatifs à la mort de son mari soient déclassifiés.
"Le chef de l'Etat m'avait assuré en 2007 que le secret-défense serait levé. Or rien n'a été fait. Il faut que tous les documents datés d'avril 1994 [date d'arrivée du juge à Djibouti] à 1997 soient déclassifiés", estime-t-elle. "Toute demande de levée du secret-défense passe par une commission composée de trois magistrats et deux parlementaires, un de la majorité et un de l'opposition", a précisé Gérard Longuet sur France 2.
Pour l'ancien militaire français, "il y a forcément une trace" de l'écoute de la police djiboutienne, "sauf si elle a été délibérément supprimée". "S'il savait depuis 1995, il fallait le dire immédiatement au juge", a observé Gérard Longuet.
Etrange coïncidence, cette information a été révélée le jour où le président Nicolas Sarkozy s'est entretenu avec son homologue djiboutien à Paris. Mais à l'issue de cette rencontre, aucun des deux dirigeants n'a fait de déclaration sur cette affaire.
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