Déclaration de politique générale de Michel Barnier : trois questions sur les "peines de prison courtes et immédiatement exécutées" voulues par le Premier ministre

Article rédigé par Violaine Jaussent, Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Michel Barnier, Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 1er octobre 2024. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Dans son discours prononcé devant l'Assemblée nationale, mardi après-midi, Michel Barnier a donné le ton d'une politique pénale plus stricte, ce qui suscite des réserves chez les magistrats.

Des "sanctions" qui "interviennent rapidement", des peines "réellement exécutées"... Le Premier ministre a déclaré, mardi 1er octobre, dans son discours de politique générale, son intention d'apporter davantage de "fermeté" dans la réponse judiciaire. "Il est nécessaire que les jugements soient respectés, que les peines soient exécutées sans être transformées", a insisté Michel Barnier depuis l'Assemblée nationale, avant de dessiner les contours d'une politique pénale plus stricte, "que les Français demandent" selon lui. Quelles propositions a-t-il énumérées ? Quelles sont les différences par rapport à ce qui existe ? Comment ce discours est-il accueilli par les professionnels de la justice ? Eléments de réponse.

1 Qu'a déclaré précisément Michel Barnier ?

Afin d'éviter "de faire perdre toute crédibilité à la réponse pénale", le Premier ministre a proposé "des peines de prison courtes et immédiatement exécutées pour certains délits", sans préciser lesquels. "Je pense qu'il nous faut également réviser les conditions d'octroi du sursis et limiter les possibilités de réduction ou d'aménagement de peines", a ajouté Michel Barnier. "Nous prévoirons enfin un recours plus important aux travaux d'intérêt général, aux amendes administratives et aux amendes forfaitaires délictuelles. Pour que ces amendes soient effectivement payées, nous recouvrerons de manière effective les retenues sur salaires ou sur prestations sociales", a-t-il poursuivi.

"Pour réaffirmer le rôle dissuasif de la sanction, nous devons construire des places de
prison", a encore insisté Michel Barnier, alors que le nombre de détenus en France a atteint un nouveau record au 1er septembre, avec près de 79 000 personnes incarcérées. Mais peu après, le Premier ministre s'est également dit favorable à "diversifier les solutions d'enfermement" et s'est prononcé en faveur de "la création d'établissements pour courtes peines". Comment cette volonté va-t-elle être mise en œuvre ? Il faudra encore patienter pour le savoir. "C'est en train de s'affiner", affirme à franceinfo le ministère de la Justice, qui confirme que "le programme pénitentiaire va être poursuivi". "La chancellerie et l'administration pénitentiaire travaillent dessus, conjointement", ajoute le ministère. "Tout cela sera précisé prochainement, en lien avec le Parlement", confirme Matignon à franceinfo. 

La fermeté affichée par Michel Barnier fait écho aux déclarations du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. "Il faut qu'il y ait des peines prononcées, que les peines prononcées soient des peines aussi exécutées. Il faut construire des prisons", avait déclaré Bruno Retailleau sur TF1 le 23 septembre, le soir de son entrée en fonction. Depuis plusieurs années, le responsable LR, représentant d'une droite dure, est aussi favorable aux courtes peines, "dans des prisons adaptées", y compris pour les mineurs. Bruno Retailleau cite souvent en exemple les Pays-Bas. Un pays qui a fait le choix de courtes peines d'incarcération, dès les premiers délits, mais où il n'y a pas de surpopulation carcérale, contrairement à la France.

2 Actuellement, comment sont appliquées les courtes peines de prison ?

Les propositions de Michel Barnier marquent un revirement par rapport aux ambitions initiales d'Emmanuel Macron. Au début de son premier mandat, le chef de l'Etat souhaitait supprimer les très courtes peines et développer des alternatives à l'incarcération. Ainsi, depuis la loi de programmation et de réforme pour la justice promulguée en 2019, il est impossible de prononcer des peines de prison ferme d'une durée inférieure ou égale à un mois. Et les peines inférieures ou égales à six mois doivent obligatoirement être aménagées, "sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné".

Ainsi, depuis la loi de 2019, l'aménagement des peines d'emprisonnement ferme a fortement progressé. En 2023, plus de 40% des peines ont été aménagées ou converties avant l'incarcération, selon les statistiques du ministère de la Justice. Le placement sous bracelet électronique est le mode d'aménagement le plus courant et les délits routiers sont les plus concernés par ces alternatives à la prison.

Dans le même temps, la loi de 2019 a abaissé à un an, contre deux auparavant, le seuil à partir duquel une peine de prison ferme n'est pas aménageable. Cela a mécaniquement entraîné une hausse du taux d'exécution immédiate des peines de prison ferme quand elles sont supérieures à 12 mois. Dès 2020, la durée moyenne de détention est ainsi passée de 8,5 mois à près de 12 mois.

La chute des incarcérations pour les condamnés à de courtes peines n'a donc pas désengorgé les prisons. Michel Barnier a reconnu, mardi, que les 62 000 places actuelles sont "très insuffisantes". Une pénurie qui "nuit à la dignité". "La justice [française] n'a jamais été aussi sévère. Les peines augmentent, les prisons n'ont jamais été aussi pleines", considère de son côté le procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz, invité de franceinfo mardi. Mais la réponse à apporter à cette problématique diverge selon les professionnels de justice.

3 Comment réagissent les magistrats ?

Le discours de Michel Barnier "montre une certaine méconnaissance du travail de la justice, estime Kim Reuflet, la présidente du Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Tous les jours, en comparution immédiate, des courtes peines sont prononcées et appliquées : six mois de prison ferme avec mandat de dépôt, ce n'est pas exceptionnel". "Ses propos sous-tendent que la justice est laxiste", regrette Kim Reuflet, qui attend des précisions. "Ces propositions sont jetées de manière très floues alors que des mesures existent déjà mais ne fonctionnent pas : il faut arrêter d'appliquer des recettes inefficaces, considère la magistrate. Ce qu'il faut, c'est s'interroger sur le sens de la peine et comment éviter la récidive."

Un point de vue partagé par Ludovic Friat, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats. "Ce qu'on veut tous, c'est éviter la récidive. Est-ce que la peur de la prison, sur une courte peine, va remplir cette fonction ? Pour certains individus, peut-être. Pour d'autres, ça ne changera rien, ou pas grand-chose", juge-t-il. "Les Pays-Bas l'ont mise en place pour un choc carcéral dès la première infraction un peu sérieuse", confirme Ludovic Friat. Mais ils ont créé des établissements dédiés, souligne le magistrat : "L'idée n'est pas de mélanger les primo-délinquants avec des récidivistes chevronnés." Le secrétaire général de l'USM s'interroge, par conséquent, sur les moyens budgétaires alloués à la construction de nouveaux établissements. "Cette politique de fermeté n'a de sens que si on a les moyens de l'éxécuter, sinon on est dans l'incantatoire", martèle Ludovic Friat. 

Sur la question des sursis, ces dispenses d'exécuter une peine d'emprisonnement sous certaines conditions, les magistrats s'interrogent aussi. Michel Barnier a annoncé, mardi, vouloir "réviser les conditions d'octroi du sursis". "S'agit-il des conditions de révocation du sursis en cas de nouvelle infraction ? Ou d'une volonté d'incarcérer davantage ?", se demande Aurélien Martini, secrétaire adjoint de l'USM, interrogé par l'AFP. "On comprend les 'grandes idées', mais ce qu'il veut faire concrètement n'est pas très précis", conclut, de son côté, Céline Bertetto, présidente de l'Association nationale des juges de l'application des peines.

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