Détenus radicalisés : trois questions soulevées par le rapport critique de la contrôleure des prisons
Adeline Hazan juge, dans un rapport de 57 pages transmis au ministère de la Justice, "insatisfaisantes" les réponses apportées à "un phénomène sans précédent".
Organisation et prise en charge "disparates" et balbutiantes. Dans un rapport de 57 pages transmis au ministère de la Justice et publié mercredi 6 juillet, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, dresse un bilan critique des premiers regroupements d'islamistes en prison.
Après avoir passé au crible cette expérimentation initiée après les attentats de janvier 2015 à Paris, elle estime que les réponses apportées à "un phénomène sans précédent" ne sont pas satisfaisantes. Pour établir ce document, trois contrôleurs se sont rendus entre février et mai, dans les quatre établissements concernés - Fresnes (Val-de-Marne), Lille-Annoeullin (Nord), Osny (Val-d'Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne). Ils ont rencontré la quasi-totalité des 64 détenus présents (117 places disponibles) et des personnes chargées de leur prise en charge et surveillance. Résumé de ce rapport autour de trois questions.
Faut-il regrouper les détenus radicalisés ?
"Le ministère de la Justice se trouve aujourd'hui confronté à un phénomène dont il n'avait mesuré ni la nature ni l'ampleur", écrit la CGLPL en évoquant des mesures mises en place "dans l'urgence".
"La modicité des structures (...) ne paraît pas correspondre (...) au changement d'échelle" du phénomène au regard de la "hausse spectaculaire" du nombre des personnes impliquées dans des filières jihadistes syro-irakiennnes et des informations judiciaires ouvertes pour des faits de terrorisme, constatent les auteurs du rapport. A la fin avril, on estimait qu'"un millier de personnes venues de France ont été enrôlées" dans ces filières et que "244 sont revenues sur le territoire national".
Adeline Hazan constate que l'argument initial de la lutte contre le prosélytisme en prison n'est plus mis en avant, au profit de la simple volonté d'organiser "une prise en charge adaptée des détenus radicalisés". Mais toutes les personnes détenues pour faits de terrorisme islamiste n'y sont pas et la contrôleure s'interroge sur les critères "pas clairement explicités" de l'administration pénitentiaire.
D'abord exclus du processus, les juges antiterroristes ont obtenu, en mars, d'y être associés. Mais "certains magistrats continuent à s'inquiéter des effets pervers du regroupement qui permettrait de nouer des solidarités, de reconstituer des réseaux et laisserait toute latitude aux plus forts pour faire pression sur les plus vulnérables". Depuis juin, le placement en unité dédiée est susceptible d'un recours devant le tribunal administratif, rappelle la CGLPL.
Les conditions de détention sont-elles efficaces ?
Dans les unités, les détenus bénéficient tous d'une cellule individuelle. Mais, pour le reste, les conditions de détention s'avèrent "disparates", soulignent les auteurs du rapport, et "l'étanchéité entre les quartiers d'un même établissement apparaît comme un vœu pieux". Les avocats s'inquiètent, eux, d'une forme de "pré-jugement" que constitue le placement de prévenus dans ces unités.
La mise en place des programmes de lutte contre la radicalisation s'avère difficile et pose des questions déontologiques. Si à Osny, les binômes (éducateur et psychologue) jugent leurs entretiens avec les détenus strictement confidentiels, ceux de Lille sont directement rattachés à la cellule du renseignement pénitentiaire.
Le regroupement n'est pas "une fin en soi. On a défini un contenant mais pour quel contenu ?", s'interroge un directeur d'établissement. Conscients de "défricher un monde complexe", des responsables d'établissement insistent sur le temps nécessaire pour mettre au point "ce qui pourrait être un modèle français". "Le pire, craignent-ils, c'est que nous soyons jugés trop tôt." En conclusion, la contrôleure ne juge "pas réaliste (...) l'extension de ce modèle expérimental" dans le contexte "d'une surpopulation carcérale structurelle".
Qui sont ces détenus radicalisés ?
Prévenus ou condamnés, ces hommes majeurs sont tous incarcérés pour participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer un acte de terrorisme. Les deux tiers (41) des 64 détenus concernés ont moins de 30 ans, et 40 d'entre eux sont incarcérés pour la première fois. Plus de la moitié sont des célibataires sans enfants.
Parmi les profils dégagés : "le salafiste dit 'piétiste', qui n'est pas adepte de la violence", "le 'vulnérable', à la recherche d'une protection, notamment ceux impliqués dans des affaires de mœurs", "le 'radical', fragile psychologiquement et convaincu", "le 'radical rationnel', porteur d'une idéologie politico-religieuse assumée", "le 'manipulateur', usant de la taqqiya, la dissimulation" et "le 'jihadiste', de retour de zone de conflit, convaincu ou déçu".
Pour un des responsables du programme cité dans le rapport, "presque tous avaient un parcours traumatique, et avaient été précocement exposés à la violence". Un directeur d'établissement évoque même "des personnes fracassées".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.