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Doit-on autoriser les téléphones portables dans les prisons ?

Dès son entrée en fonction en tant que contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan s'est montrée favorable à cette mesure, qui se heurte pourtant à certains écueils.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'intérieur de la prison de Corbas (Rhône), le 4 février 2011. ( MAXPPP)

Un forfait derrière les barreaux ? Adeline Hazan, la nouvelle contrôleuse générale des lieux de privation de liberté souhaite permettre aux détenus d'avoir des téléphones portables. Objectif : qu'ils puissent garder un contact avec leurs proches, et ainsi éviter une désocialisation et, in fine, la récidive. Au premier jour de son entrée en fonctions, jeudi 17 juillet, elle a indiqué qu'elle souhaitait rouvrir ce dossier déjà maintes fois discuté. En mars, son prédécesseur Jean-Marie Delarue s'était déjà positionné pour cette réforme des conditions de détention. En vain.

Adeline Hazan a d'emblée posé des conditions : "Je reprendrai ce débat avec un certain nombre de contrôles, de bémols", a-t-elle fait savoir. L'utilisation de mobiles, pour l'heure strictement interdite dans les lieux de détention, pourrait ainsi être limitée à un certain nombre de numéros de téléphone pour maintenir les liens familiaux. Faut-il autoriser les détenus à avoir des portables ? Francetv info explore certains éléments de réponse.

Oui, ça évite la désocialisation et peut limiter la récidive

La lutte contre la désocialisation et la récidive est, comme pour son prédécesseur, le premier argument avancé par la nouvelle contrôleuse des lieux de privation de liberté. Selon elle, il faut "faire en sorte que les détenus ne coupent pas les ponts avec leur environnement de façon à préparer dans les meilleures conditions leur sortie et donc de prévenir les risques de récidive."

"Il a été prouvé que moins les conditions de détention sont bonnes, plus il y a un risque de récidive", explique-t-elle sur France Inter. La possibilité de communiquer librement avec le monde extérieur y participe. "Après dix ou vingt ans de taule, si les gars ont toujours toute leur tête, ce n'est pas à cause des promenades, mais bien grâce aux contacts qu'ils ont avec leurs familles. Et sans téléphone, c'est impossible", confie Youv, détenu depuis douze ans dans une "prison de région parisienne", que francetv info a pu interviewer... via son téléphone portable. 


Adeline Hazan : "la question des portables en... par franceinter

L'autorisation du téléphone portable est soutenue par l'Observatoire international des prisons (OIP). Pour la responsable de la permanence informative et juridique de l'institution, Marie Cretenot, le mobile est l'un "des éléments centraux pour lutter contre l'effet désocialisant de l'emprisonnement, qui est dévastateur". Elle évoque le cas danois, où les téléphones sont autorisés et où les conditions de détention sont "bien meilleures qu'en France". Le but est de créer en prison des conditions "plus proches de la vie 'extérieure' pour permettre une meilleure réhabilitation. Ce n'est pas du tout le cas chez nous."

Oui, car les détenus possèdent déjà des téléphones

"Tout le monde a un téléphone en prison !", avoue Youv depuis sa cellule. Chaque année, près de 900 mobiles sont saisis rien qu'à la prison des Baumettes à Marseille, qui compte 1 835 prisonniers, selon les statistiques du ministère de la Justice. Des chiffres qui "prouvent bien que l'interdiction totale ne sert pas à grand chose", affirme la contrôleuse des lieux de privation de liberté.

"Les gardiens - à qui on demande déjà beaucoup de choses - passent tellement de temps à les chercher, qu'il devient absurde de les interdire", commente quant à elle Sophie Baron-Laforêt, criminologue spécialisée dans les liens familiaux en prison.

Un argument utilisé tantôt pour l'autorisation, tantôt contre. En avril, l'OIP alertait sur l'absence de confidentialité dans les cabines téléphoniques des prisons pour les détenus souhaitant joindre leurs proches. "Pour pouvoir s'opposer aux travaux d'isolation, l'un des arguments de l'administration pénitentiaire était de dire que ce n'était pas nécessaire pour l'entretien des liens familiaux, vu que les détenus possédaient déjà tous des téléphones portables de manière illégale, explique Marie Cretenot. C'est le chien qui se mord la queue."

Non, car certains détenus pourraient gérer à distance leurs activités criminelles

Les syndicats pénitentiaires s'opposent à la légalisation du téléphone portable. "Comme nous l'avons dit à l'époque de Jean-Marie Delarue, c'est une proposition loufoque, liberticide et dangereuse. À croire qu'on oublie que ce sont des dangereux criminels qui sont enfermés, argumente le représentant national de Force ouvrière pénitentiaire, Patrick Louvounou. Pour lui, une telle mesure permettrait aux détenus de continuer à "organiser leurs gangs et à mettre la pression sur les victimes" depuis la prison.

Il milite de son côté pour l'installation de brouilleurs téléphoniques dans les prisons. Et si autant de mobiles circulent déjà dans les maisons d'arrêt, "c'est parce que le personnel fait son boulot". Les portables passeraient majoritairement par le parloir. Un trafic facilité, selon lui, par la mise en place de l'article 57 de la loi pénitentiaire mis en place en 2009, qui "supprime les fouilles intégrales systématiques."

Non, car le personnel pénitentiaire serait en danger

"Vous imaginez qu'un agent, qui fait son travail, pourrait se faire menacer à l'extérieur, tout comme sa famille", alerte le syndicaliste. Il évoque le cas d'un "directeur de prison récemment menacé par des complices envoyés par un détenu depuis la prison".

Selon le responsable syndical, la spectaculaire évasion à l'explosif d'Antonio Ferrara du centre pénitentiaire de Fresnes en 2003 aurait été organisée depuis la prison, grâce à un téléphone portable.

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