Echirolles. "Savoir qui a fait quoi risque d'être compliqué"
Huit personnes devraient être présentées à un juge d'instruction après les meurtres de Kevin et Sofiane à Echirolles (Isère). Selon l'avocat André Raiffaud, vu le nombre d'individus mis en cause, il sera difficile d'établir les responsabilités de chacun.
ECHIROLLES - L'enquête s'annonce longue et difficile. Au total, quatorze personnes ont été arrêtées, puis deux relâchées après le meurtre de Kevin et Sofiane, vendredi 28 septembre à Echirolles (Isère), au cours d'une violente agression en réunion.
Compte tenu du nombre de personnes interpellées, la principale difficulté sera bien d'établir les responsabilités de chacun. Le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, a expliqué mercredi sur RMC que pour le moment, "aucun des gardés à vue n'a reconnu les faits" et que la plupart indiquent "qu'ils ont participé à la première ou à la deuxième bagarre, mais pas à la bagarre mortelle".
Me André Raiffaud a défendu un vigile pris à partie par une dizaine de jeunes en 2002 à Saint-Herblain (Loire-Atlantique) et gravement brûlé par un jet de cocktail Molotov. Huit d'entre eux ont été condamnés en 2006, sans qu'aucun n'ait parlé. Contacté par FTVi, l'avocat explique la complexité de ce type d'enquêtes.
FTVi : Difficile d'imaginer que tous les gardés à vue ont la même part de responsabilité…
André Raiffaud : La réaction est le plus souvent organisée par quelques meneurs, qui arrivent à galvaniser tout le reste du groupe, une dizaine ou une quinzaine de personnes. Les motifs des agressions sont généralement futiles : ici, un regard malheureux. On dit souvent qu'il n’y a pas assez de solidarité sociale dans les quartiers. En revanche, il y a une vraie solidarité au sein des bandes, qui impose la loi du silence.
C'est vraiment cela qui rend les choses si compliquées ?
Dans les cités, il y a la loi de l'omerta. On ne peut rien dire pour deux raisons : d’abord par solidarité envers le groupe, et ensuite parce que l’on est exclu du groupe et que l’on risque des représailles si l’on dit quelque chose aux policiers. En garde à vue, ces jeunes interpellés n'ont rien dit car il est hors de question de lâcher le morceau. A Echirolles, ce sont tous des adultes, mais cela vaut aussi pour les mineurs, qui sont aujourd’hui très endurcis.
Mais de manière générale, ce silence n'est pas étonnant. Le droit de garder le silence est reconnu. Je rappelle que les avocats peuvent désormais assister leurs clients dès les débuts de la garde à vue. Ce n'est pas parce qu'ils gardent le silence qu'ils sont coupables. C’est au juge d’instruction de trouver les éléments de preuve.
Les enquêteurs sont-ils armés pour démêler ce type de dossiers ?
A l’époque de mon affaire, l'histoire de ce vigile avait remué l’opinion publique. Les enquêteurs travaillaient avec une pression incroyable du ministère de l’Intérieur. Dans cette affaire d’Echirolles, très médiatisée, j’imagine que c'est pareil. C’est dans les premiers jours qu'on peut trouver des indices sérieux car au fil du temps, ce groupe d'individus risque de s’enfermer pour de bon dans le mutisme. Les policiers doivent tenter de séparer chaque individu des autres, par exemple en prêchant le faux pour savoir le vrai.
Il y a donc un risque de ne pas connaître un jour la vérité ?
J’espère me tromper, mais oui, cela risque d'être compliqué. Si personne ne lâche le morceau, on ne pourra jamais établir qui a porté les coups fatals, c’est impossible. Ce type de dossiers passe généralement aux assises. Si la culpabilité des accusés est avérée, il y a donc une sorte de sanction globale. La cour décide alors de condamner le groupe, en modulant parfois les peines, mais sans établir précisément qui a fait quoi.
Pour y arriver, il faudrait que chacun essaie de sauver sa peau pendant l’audience en balançant les autres, mais là encore, l'omerta existe. Dans le cas de mon client, l’audience n’était pas ouverte au public, mais pourtant, tout se savait ! Des connaissances du quartier et des gens de la cité traînaient en permanence dans la salle des pas perdus. Malgré le huis clos, ils étaient parfaitement informés de ce qui se passait, comme si les débats transpiraient des murs.
Comment les familles des victimes vivent-elles ces enquêtes ?
C'est encore plus dur à vivre que lors d'une agression par un individu précis. Les proches réagissent en général très mal, car ils veulent pouvoir mettre un nom ou un visage sur le responsable. Certes, les familles et les proches savent que les agresseurs ont été condamnés, mais cette inconnue peut rester à jamais. Aujourd'hui, par exemple, dix ans après les faits, personne ne sait qui a réellement jeté le cocktail Molotov sur mon client.
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