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Expulsés d'un HLM pour les délits de leurs enfants : justice ou double peine ?
Francetv info éclaire les questions soulevées par la décision de la justice de la cour d'appel de Versailles.
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Quatre familles pourraient être expulsées de leur logement HLM au printemps, à la fin de la trêve hivernale. La raison : leurs enfants dealaient de la drogue dans une cité de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Ils avaient été condamnés pour trafic de stupéfiants en 2010. Ils faisaient vivre "un enfer quotidien" et donnaient "un sentiment d'insécurité permanente" aux autres locataires pour la justice.
Une "première" selon le Parisien, qui en a fait sa une vendredi 11 janvier, une mesure "tout à fait banale et qui n'a rien d'extraordinaire", selon l'office HLM du département. En dehors du débat ordinaire/extraordinaire, cette décision de la Cour d'appel de Versailles pose tout de même une question de fond : va-t-on maintenant expulser toutes les familles de dealers de leurs logements ?
Comment se déroule une procédure d'expulsion ?
Un bailleur peut demander à la justice l'expulsion de son locataire si celui-ci ne respecte pas les obligations du bail. Les motifs sont les mêmes pour les bailleurs sociaux, propriétaires de logements HLM et les bailleurs "normaux" : impayés de loyers, défaut d'assurances, troubles de voisinage, activité criminelle se déroulant dans le logement.
Mais la procédure d'expulsion est plus compliquée dans le cas des bailleurs sociaux. "La procédure prévoit des mesures plus protectrices pour les impayés de loyers et les troubles de voisinage. Le bailleur peut adresser au locataire une offre de relogement", affirme Pierre Soler-Couteaux, avocat au barreau de Strasbourg et co-auteur du livre Droit et financement du logement social, contacté par francetv info.
L'expulsion ne peut avoir lieu que dans un délai de deux mois après la décision de justice. Il est aussi possible pour le bailleur de recourir à la force publique si le locataire ne part pas de lui-même.
Les locataires sont-ils responsables de leurs enfants devant la loi ?
Les avis divergent. "Dans la jurisprudence, le locataire est responsable des personnes qu'il héberge, selon Pierre Soler-Couteaux. Il y a eu des cas où une personne hébergée a insulté un voisin, le locataire a été condamné." En outre, "dans le droit commun, les parents sont responsables de leurs enfants". Dans l'affaire du HLM de Boulogne-Billancourt, il y aurait donc une double responsabilité : celle du locataire et celle des parents.
Mais pour Cyril Emanuelli, avocat au barreau de Paris, également contacté par francetv info, des nuances doivent être apportées. "De manière générale, cette expulsion peut se justifier. Il n'est pas scandaleux de vouloir assainir la situation dans une cité. Mais on peut se demander si le titulaire du bail est responsable de toutes les activités commises sous son toit, quand il n'est pas là ou qu'il doit travailler toute la journée. Il faut voir les à-côté. De même, les parents sont certes responsables de leurs enfants mais pas de leurs activités, surtout s'ils sont majeurs."
Pour les familles, cette décision de justice est vécue comme une double peine. Sira, la sœur d'un des condamnés, devant la caméra de nos confrères de France 2 a témoigné de son sentiment d'injustice : "Je suis en colère, je ne comprends pas (…), mon frère était majeur à l'époque des faits, il a fait une connerie et ce n'est pas à la famille de prendre pour lui."
"Les enfants ont déjà été condamné au pénal, l'expulsion est une peine complémentaire. Ce n'est pas en expulsant les parents qu'on va arrêter les trafics. Là, on demande à la justice civile de faire ce que le pénal n'arrive pas à faire", renchérit Cyril Emanuelli.
"Après les bailleurs sociaux, les gens n'ont plus rien pour se loger, si ce n'est des magouilles avec des marchands de sommeil. Je ne pense pas que le gouvernement actuel veuille ça", poursuit-il, insistant sur les enjeux de politique sociale.
Les juges sont-ils moins cléments ?
Les expulsions locatives seraient plus nombreuses depuis 2007, pour Cyril Emanuelli. "Le régime d'expulsion s'est durci, la loi en France était très laxiste pour les locataires, elle l'est encore aujourd'hui. Elle laisse des délais. C'est sans doute la raison pour laquelle les juges se montrent de moins en moins flexibles et prononcent plus facilement l'expulsion."
Une opinion que partage aussi la direction de l'office HLM des Hauts-de-Seine. "Les juges sont moins réticents à prononcer les résiliations de baux, notamment pour dettes car il est aussi plus facile de le prouver." Dans le cas de troubles de jouissance, les juges ont besoin de preuves solides pour ordonner l'expulsion.
"Très souvent, les gens ne veulent pas témoigner car les dealers font régner dans la cité un climat de terreur et menacent de représailles ceux qui portent plainte," poursuit l'office HLM. "La décision de lier aussi clairement une affaire pénale à la résiliation de baux peut servir de précédent." Dans les Hauts-de-Seine, 88 procédures d'expulsion pour troubles de jouissance sont en cours, selon l'office HLM.
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