Cet article date de plus de huit ans.

L'article à lire pour comprendre où en est l'affaire Kerviel

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
L'ancien trader de la Société générale, Jérôme Kerviel (à droite) et son avocat David Koubbi au Palais de justice de Paris, le 18 janvier 2016. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Dans un enregistrement effectué à son insu, une magistrate affirme que la Société générale a "manipulé" l'instruction. Une aubaine pour Jérôme Kerviel, qui espère une révision de son procès.

L'affaire Jérôme Kerviel n'en finit pas de rebondir. Dimanche 17 janvier,  Mediapart (article payant) et 20 Minutes ont révélé l'existence d'un témoignage qui pourrait embarrasser la Société générale. Enregistrée à son insu, une magistrate de la section financière du parquet de Paris, en charge du dossier Kerviel de 2008 à 2012, évoque une enquête "entièrement manipulée par la Société générale"C'est déjà ce qu'affirmait une enquêtrice de la brigade financière : c'est d'ailleurs elle qui a enregistré cette nouvelle conversation. 

Ce document tombe à pic pour Jérôme Kerviel : lundi, la commission d'instruction de la Cour de révision et de réexamen a décidé de reporter à plus tard (au 21 mars) sa décision sur la demande d'un nouveau procès, déposée par l'ex-trader. Et mercredi, c'est le procès en appel du volet civil de l'affaire qui s'ouvre : la justice devra déterminer si le trader doit des dommages et intérêts à la Société générale. Si vous êtes perdus dans cette affaire à tiroirs, francetv info vous fait un résumé.

C'est quoi, l'affaire Kerviel ?

Le 24 janvier 2008, Jérôme Kerviel, 31 ans, trader, est accusé par la Société générale, où il travaille, d'être responsable d'une perte de 4,9 milliards d'euros. Il a, selon son employeur, pris des positions trop risquées sur les marchés financiers, à l'insu de ses supérieurs. La banque porte plainte. Mais savait-elle et a-t-elle laissé faire tant que cela lui profitait, ou ignorait-elle tout des agissements de Kerviel ? Cette question reste, aujourd'hui, au cœur du débat. Car huit ans plus tard, la bataille judiciaire continue.

Mais Kerviel a déjà fait de la prison, non ?

Mis en examen quelques jours après l'éclatement de l'affaire, Jérôme Kerviel est jugé en octobre 2010 pour "abus de confiance, faux et usage de faux, et introduction frauduleuse de données dans un système automatisé". Le Tribunal de grande instance de Paris le condamne à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, ainsi qu'à 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts à verser à la Société générale, qui s'est portée partie civile. C'est le montant qu'elle déclare avoir perdu par la faute de son employé. Ce jugement est confirmé en appel en 2012.

Cela se complique le 19 mars 2014, quand la Cour de cassation casse le volet civil de ce jugement. Un nouveau procès au civil est donc nécessaire, pour établir si Kerviel doit payer des dommages et intérêts à la Société générale. C'est ce procès qui s'ouvre mercredi devant la cour d'appel de Versailles (Yvelines).

Sa condamnation pénale, elle, est en revanche confirmée. Jérôme Kerviel, qui marche alors depuis le Vatican vers la France, est arrêté quand il franchit la frontière franco-italienne, le 18 mai 2014. Il est incarcéré à Nice (Alpes-Maritimes) puis Fleury-Mérogis (Essonne), mais sort de prison début septembre 2014 grâce à un aménagement de peine : l'ancien trader est, depuis, placé sous bracelet électronique.

Et la Société générale, a-t-elle été inquiétée ?

Jérôme Kerviel a porté plainte lui aussi contre la Société générale concernant le déroulement de l'enquête. Une première plainte, pour "faux et usage de faux", concerne des enregistrements de Jérôme Kerviel, exploités par la justice, dont la banque aurait coupé des passages. La seconde porte sur une "escroquerie au jugement" : selon l'avocat du trader, la Société générale a caché avoir récupéré une partie des 4,9 milliards d'euros qu'elle dit avoir perdus, sous forme de déduction fiscale.

Ces deux procédures sont classées sans suite fin 2012, mais les plaintes sont déposées à nouveau l'année suivante. Cette fois, une information judiciaire est ouverte contre la Société générale. C'est dans ce cadre que le juge d'instruction a recueilli le témoignage de Nathalie Le Roy, l'enquêtrice qui estime avoir été "instrumentalisée" par la banque.

Une enquête préliminaire a aussi été ouverte en mai 2014 après une plainte de Jérôme Kerviel pour "subornation de témoin", au sujet de son supérieur direct à la Société général, Eric Cordelle. Il accuse ce dernier d'avoir perçu un million d'euros en échange de son témoignage en faveur de la banque. En réponse à ce déluge d'accusations, la Société générale a, en 2012, porté plainte pour "dénonciation calomnieuse" contre Jérôme Kerviel.

Mais est-on certain que la Société générale n'a rien à se reprocher ?

Dans cette affaire, la justice considère, jusqu'ici, que Jérôme Kerviel est l'unique coupable. Mais l'affaire a peut-être été relancée par deux témoignages. Celui de Nathalie Le Roy, tout d'abord, révélé en mai par Mediapart (article payant). Cette commandante de police, ancienne membre de la brigade financière, confie au juge d'instruction avoir "la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier". En charge de l'enquête en 2008 puis en 2012, elle affirme s'être sentie "instrumentalisée par la Société générale", qui aurait profité du manque d'expertise de l'enquêtrice dans le domaine de la finance. Elle déplore également que le parquet se soit rangé trop facilement à la version de la banque. Des accusations alors balayées par l'entreprise.

Mais Nathalie Le Roy revient à la charge, le 17 janvier, en dévoilant, par l'intermédiaire de l'avocat de Jérôme Kerviel, l'enregistrement d'une conversation avec la magistrate Chantal de Leiris, effectué à l'insu de cette dernière. Cette ancienne vice-procureure a aussi suivi l'enquête, du côté du parquet, et appuie ses accusations. "Vous étiez entièrement manipulée par la Société générale. (...) La Société générale savait… C’est évident !" lâche-t-elle.

Sans savoir qu'elle est enregistrée, elle explique avoir elle-même été encouragée à ne pas "mettre en défaut" la Société générale par le chef de la section financière du parquet, Michel Maes. Selon Chantal de Leiris, ce dernier est proche des avocats de la banque. La magistrate raconte également à Nathalie Le Roy comment la hiérarchie de cette dernière s'est concertée pour dénigrer son témoignage.

Cet enregistrement peut-il changer quelque chose ?

C'est ce qu'espèrent les soutiens de Kerviel. Le timing de ces nouvelles révélations n'est pas innocent : lundi a eu lieu la demande de révision du procès. Et mercredi s'ouvre le procès en appel sur la question des dommages et intérêts. Par ailleurs, c'est l'avocat du trader, David Koubbi, qui a rendu public le document. "Le moment est venu pour ceux qui ont truqué ce dossier de rendre des comptes", a-t-il lancé, lundi, à son arrivée au Palais de justice de Paris.

Pour Jérôme Kerviel, la Cour de révision et de réexamen est la seule chance d'obtenir un nouveau procès. Sa commission d'instruction, réunie lundi, a reporté sa décision en mars. Elle décidera alors de rejeter la requête ou de la transmettre à la Cour proprement dite, qui pourra demander un nouveau procès. Une décision rare : ce n'est arrivé que dix fois depuis 1945.

Les deux témoignages de Nathalie Le Roy et Chantal de Leiris peuvent également avoir leur importance dans le déroulement du procès au civil, qui doit s'ouvrir mercredi. Si la Cour de cassation a estimé que Jérôme Kerviel n'avait pas à dédommager son ex-employeur, c'est qu'elle a jugé que la Société générale aurait dû mieux contrôler son travail. Les déclarations de l'enquêtrice et de la magistrate, convaincues que la banque "savait", vont dans ce sens. Reste à savoir si la cour d'appel jugera ces témoignages exploitables. 

La Société générale n'a rien à craindre, si ?

Si les nouveaux témoignages conduisaient à un nouveau procès, ce serait une mauvaise nouvelle pour la Société générale. Mais la banque peut aussi s'inquiéter de l'issue du procès au civil. En 2009 et 2010, l'Etat lui avait accordé des crédits d'impôt d'une valeur de 2,2 milliards d'euros. Un dispositif qui permet de venir en aide aux entreprises victimes d'une fraude, mais à certaines conditions : la fraude doit avoir été commise à l'insu des dirigeants, et ceux-ci ne doivent avoir aucune responsabilité dans l'affaire.

Or la Cour de cassation a estimé que Jérôme Kerviel n'avait pas à dédommager la Société générale, car celle-ci avait failli à ses obligations de contrôle. Doit-elle, dans ce cas, rembourser l'argent ? "On peut reconsidérer [le crédit d'impôt], mais dans le cadre d'une décision de justice", estimait, en octobre, le ministre des Finances, Michel Sapin. 

Je m'y perds encore un peu : vous pouvez me résumer l'affaire en quelques lignes ?

En 2008, la Société générale accuse Jérôme Kerviel de lui avoir fait perdre 4,9 milliards d'euros, à l'insu de sa hiérarchie, et d'avoir fraudé pour cacher ses activités. Le trader est condamné à cinq ans de prison, dont deux avec sursis, en 2010, peine confirmée en 2012.

Lundi, la commission d'instruction de la Cour de révision et de réexamen a décidé de statuer, le 21 mars, sur la tenue d'un éventuel nouveau procès. Mercredi, une cour d'appel décidera si Jérôme Kerviel doit dédommager la banque à hauteur du préjudice subi. Pour cela, elle doit déterminer si la banque est en partie responsable de la fraude, en ayant fermé les yeux ou en ayant mal contrôlé son employé. Si Jérôme Kerviel obtient gain de cause, c'est la Société générale qui pourrait devoir rembourser plus de 2 milliards d'euros à l'Etat, une somme qui correspond au crédit d'impôt dont elle a bénéficié.

Les principaux éléments nouveaux mis en avant par son avocat sont les témoignages d'une policière et d'une magistrate qui ont participé à l'enquête. Ces deux femmes estiment que la Société générale a "manipulé" les enquêteurs, et était consciente des risques pris par son trader. Mais le témoignage de la magistrate a été enregistré à son insu : difficile de savoir ce qu'en fera la justice.

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