L’affaire de Tarnac en cinq couacs
L'enquête sur le sabotage d'une ligne de TGV en Seine-et-Marne, le 8 novembre 2008, a été émaillée de plusieurs ratés de la police et de la justice. Inventaire.
JUSTICE – Vous souvenez-vous de l'affaire de Tarnac ? Le 11 novembre 2008, la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, annonce en grande pompe que ses services ont mis le grappin sur un groupe de "l'ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome" qui gravite autour du village de Tarnac (Corrèze). Vingt arrestations, neuf gardes à vue et des mises en examen pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste". Motif ? Ils sont soupçonnés d'avoir posé des crochets pour arracher des caténaires et stopper net des TGV lors de leur passage, le 8 novembre 2008, sur la commune de Dhuisy (Seine-et-Marne).
L'enquête de la Sous-direction antiterroriste (Sdat) passe dans les mains d'un juge antiterroriste, Thierry Fragnoli. Mais, au fil des semaines, la justice distille les libérations. Quatre d'abord, à l'issue des 96 heures de gardes à vue, trois autres au bout de trois semaines, une autre deux mois plus tard et enfin celle de la figure emblématique de l'affaire : Julien Coupat. Plus de six mois après son arrestation. Le dossier d'instruction a alors largement fuité dans la presse, révélant faiblesses, voire incohérences, que les avocats des accusés martèlent.
Près de quatre ans après, toujours pas de procès. Pire, selon des révélations du Canard Enchaîné et du Nouvel Observateur, un nouvel élément vient mettre en doute la présence de la compagne de Julien Coupat, Yldune Lévy, à proximité du lieu du sabotage. Retour sur les couacs de l'affaire de Tarnac.
1 Drôle de témoin
C'est un gros point noir dans l'instruction. Les neuf jeunes âgés de 22 à 34 ans sont encore en garde à vue que la fuite d'un rapport de la Sdat destiné au parquet dépeint un groupe de dangereux terroristes. Au centre du rapport, un témoin sous X soutient que "lors de réunions", Julien Coupat a évoqué "la possibilité d'avoir à tuer, précisant que la 'vie humaine a une valeur inférieure au pouvoir politique' et que l'objectif final du groupe était le renversement de l'Etat".
Un mois plus tard, rapportera Le Monde (article payant) en 2009, le témoin livre de nouveaux éléments à décharge sous sa véritable identité : Jean-Hugues Bourgeois, agriculteur bio de 30 ans. Le 14 novembre 2009, lors d'un reportage où son visage est flouté, il dit en substance à TF1 avoir signé un PV auquel les policiers auraient "ajouté des éléments, extraits de leurs dossiers", explique Libération. Le juge Fragnoli est contraint d'auditionner à nouveau le témoin en Loire-Atlantique. Julien Coupat et Yldune Lévy déposent une plainte pour subornation de témoin.
2 Drôles de méthodes
La liste des procédés douteux continue. Selon Libération, "plusieurs écoutes téléphoniques visant les jeunes de Tarnac, en mars 2008, ont été dissimulées à la justice". Elles auraient eu lieu avant même l'ouverture de l'enquête préliminaire. C'est un agent de France Télécom qui était tombé sur le dispositif dans l'épicerie que géraient les jeunes.
On ignore toujours qui écoutait. Mais, en janvier 2012, la juge d'instruction de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), a ouvert une enquête pour "atteinte au secret des correspondances" et "atteinte à l'intimité de la vie privée".
Par ailleurs, en détention, Yldune Lévy "a fait l'objet, pendant deux mois, de réveils nocturnes toutes les deux heures, avec éclairage du plafonnier, dans sa cellule où elle était seule", lit-on dans un rapport de l'Acat sur la torture. Pour sa part, "Julien Coupat affirme avoir été fouillé à corps à chaque visite de son avocate ou lors de ses déplacements au tribunal et mis à nu 'devant des policiers hilares'".
3 Drôles de preuves
Après avoir dénoncé, sans succès, la qualification de "terrorisme", les avocats se sont attelés à pointer les "anomalies" de l'enquête. Ils présentent une contre-enquête, épluchant les procès-verbaux des enquêteurs qui ont suivi Julien Coupat et Yldune Lévy, non loin du lieu d'un sabotage à Dhuisy, en Seine-et-Marne. D'abord, les empreintes de pieds relevés sur le site du sabotage et les traces de pneus ne correspondent ni aux pointures du couple, ni à sa voiture, expliquent Les Inrocks.
Ensuite, les timings de déplacement de la voiture de Coupat sont curieux, le lieu où elle stationne est douteux, l'enquête se contredit sur la présence d'un piéton sur les voies et la recherche d'indices est hasardeuse. En creux, les avocats accusent la Sous-direction antiterroriste d'avoir arrangé les procès-verbaux (PV). En novembre 2008, des policiers ont d'ailleurs confié à Libération avoir suivi la Mercedes avec une "balise électronique". Or, relève "Libé" dans un autre article, l'usage de ce GPS, "illégal s'il n'est pas autorisé par un juge", n'apparaît pas dans la procédure.
Début 2011, une reconstitution est organisée sur l'insistance des avocats. "Ce n'était pas une reconstitution, nous avions demandé une reconstitution qui n'a pas eu lieu", déclare par la suite Me Thierry Lévy.
4 Drôle de juge
Devant les coups de boutoir de la presse, le juge Thierry Fragnoli tente d'éviter la déconfiture d'un non-lieu, écrit le journaliste David Dufresne dans son livre, Tarnac, Magasin général (Calmann-Lévy). Ses révélations montrent que le juge s'est entretenu à plusieurs reprises avec un journaliste hors PV. Embarrassant.
Le coup de grâce vient du Canard enchaîné en avril 2012. Alors que l'hebdomadaire s'apprête à publier un article gênant pour le juge, Fragnoli adresse un courrier électronique destiné à désamorcer l'information. Il s'adresse à des journalistes "amis de la presse libre (je veux dire celle qui n'est pas affiliée à Coupat-Assous)", Assous étant l'avocat de Coupat. Informé de l'e-mail, Le Canard s'empresse de le relayer et les avocats de dénoncer "un mépris total du magistrat, des obligations de sa fonction ainsi qu'un parti pris en faveur de la culpabilité".
Le magistrat cède et réclame son dessaisissement, s'estimant victime d'une "campagne de presse relayant des attaques personnelles" contre lui, selon une source proche du dossier. Il évite du même coup la récusation.
5 Drôle de retrait d'argent
Finalement, après des années d'instruction, un relevé bancaire révélé par Le Canard enchaîné le mercredi 23 octobre vient montrer qu'Yldune Lévy a retiré 40 euros la nuit des sabotages dans un distributeur automatique à Paris, dans le quartier de Pigalle, à 2h44, le 8 novembre 2008. L'avocat Jérémy Assous exulte : "cet élément anéantit la version policière". Pour l'avocat d'Yldune Lévy interrogé par France info, "on peut penser qu'elle a prêté sa carte bancaire pour se faire un alibi. Mais si ça avait été le cas, elle l'aurait immédiatement invoqué".
Le Nouvel Obs cite un responsable policier, qui trouve "curieux qu'Yldune Lévy, placée en garde à vue trois jours seulement après les faits, ne s'est pas rappelée avoir fait la fête à Paris la nuit des sabotages sur lesquels elle était interrogée". Et une autre source proche du dossier rappelle à l'hebdo que le couple n'a "jamais nié se trouver en Seine-et-Marne", expliquant avoir fait l'amour dans la voiture. L'affaire n'est pas finie.
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